• Les Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet
Les contes publiés dans le journal sont déjà surtitrés « De mon moulin » ce qui invite l'idée que l’ensemble est déjà pensé. Cela est sans doute vrai, mais l’ordre de publication retenu dans le recueil n’est pas le même que celui qui se met en place, dans le journal, avec les dates de publication. Il y a donc ici un intéressant effet de reconstruction : les textes sont ensuite republiés dans un ordre spécifique.
Par ailleurs, les « Lettres » mettent en scène le narrateur, prétendument en voyage dans la région. Il prend par exemple la parole au début de « La Mule du Pape » et introduit son texte en lui donnant un contexte dans la parole populaire commune : « De tous les jolis dictons […] pour sinets. »
Dans « Le Portefeuille de Bixiou », le personnage devenu aveugle s’exprime sur l’étendue de ses pertes, et en particulier sur la lecture du journal : « Au bout d’un moment […] l’improvisation de Bixiou. » Son malheur se mélange dans cet extrait à d’autres, alors qu’il se lance dans une déclamation tout à fait dans le style journalistique.
• Histoires insolites de Villiers de L'Isle Adam
Cette évolution est également sensible lorsque l'on observe les changements de titre. « Tomolo Kë Kë » devient « Le Navigateur sauvage » dans le recueil : le changement de titre met l’accent non plus sur l’exotisme, mais sur la morale (ou du moins la chute) de la nouvelle.
Quant à « Louis Veuillot bénédictin », il devient « Une entrevue à Solesmes » dans le volume : cela modifie le cœur du propos, en n’annonçant pas immédiatement le point focal, le bénédictin.
• L’Ève future de Villiers de L’Isle Adam
Le texte publié dans la presse est plus court que la version finale de L’Ève future. Ainsi, le chapitre IV, « Sowana », n’existe pas dans le feuilleton. De même, un chapitre se glisse avant celui que l’on trouve ici sous le titre « Hypothèse » (et qui apparaît bien en volume, mais en tant que chapitre XV et non XIII), intitulé « Analyses ». Par ailleurs, le passage à la deuxième partie qui intervient par la suite au chapitre « Magie blanche » n’existe pas en feuilleton. Dans le cas du chapitre intitulé « Dissection », le titre seul change : dans la version en volume, le long titre présent en feuilleton redevient une citation en exergue attribuée à Balzac. Ce long titre de chapitre est réduit dans le volume à « Dissection ». La publication s’interrompt à la fin de ce qui est, dans cet état du texte, la première partie, car le public n’apprécie pas suffisamment le texte.
• La Lanterne magique de Théodore de Banville
Le recueil La Lanterne magique, dans sa version en volume, réutilise les textes qui portent déjà ce titre dans le Gil Blas, mais en choisissant un ordre différent. Cette réorganisation des textes permet principalement la mise en place d'une plus grande continuité thématique.
Ainsi, la première douzaine commence avec la publication du 20 octobre 1882 dans sa totalité, suivie des textes publiés le 3 novembre 1882 à l’exception de la dernière section, « La femme du Diable », qui n’est pas reprise à cet endroit. Les quatre derniers éléments paraissent en une publication le 29 septembre 1882.
La deuxième douzaine rend le montage et la réorganisation plus évidents encore : le premier texte, « Les Anges », est seul extrait de la publication du 30 juin 1882. Il est suivi de « High life » que l’on trouve dans la première publication (chronologique) du Gil Blas, celle du 26 mai 1882. Vient ensuite l’ensemble des saisons, qui est tiré des textes parus le 13 octobre 1882 : seul le dernier, nommé « Luxembourg », n’est pas repris car il n’appartient pas à cet ensemble thématique. Pour finir, la publication du 22 septembre 1882, qui correspond aux moments du jour, est inclue dans son ensemble. Le dernier texte, « Une rencontre », est seul tiré du numéro du 7 juillet 1882.
On retrouve une reconstruction similaire dans les autres parties du texte paru en volume.
• La Comtesse de Salisbury d’Alexandre Dumas
Les publications en feuilleton de ce roman donnent à voir l’histoire du texte : il paraît deux fois dans la presse. On constate tout d’abord un décalage des publications, avec par exemple un passage au chapitre « II » qui n’est pas au même endroit du texte entre La Presse et Le Siècle.
De même, le titre diffère, puisque dans La Presse il ne s’agit pas encore de La Comtesse de Salisbury alors que ce titre est utilisé par Le Siècle. D’ailleurs entre le premier numéro et le suivant au 28 juillet le titre change montrant une hésitation et le brouillage avec le genre historique. Enfin, le texte de 1855 a subi de nombreuses modifications et a été amplifié : la première publication de 1836 s'arrête avant le dénouement du roman achevé.
• Le Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau
La version du roman que l’on rencontre dans le journal est une première version : celle de La Revue blanche puis du volume est fortement remaniée. L’incipit en lui-même change, avec de nombreuses modifications de détail, dont la date de cette première entrée de journal, ainsi que de nombreux éléments de formulation : « Je suis entrée aujourd’hui […] Ah ! vrai ! » Cela devient en volume : « Aujourd’hui, 14 septembre […] désormais, je vais vivre… » Dans la version reprise en volume, la mise en place du départ pour la Normandie est plus explicitée.
C’est un indice des nombreux changements de construction qui donnent un ton et un style plus élevé au roman en volume. On relève avec intérêt le changement dans le rapport au temps : la deuxième entrée du journal dans L’Écho de Paris est datée de Dimanche, ce qui insiste sur le quotidien ; tandis que dans le volume le second chapitre est daté du 15 septembre, lendemain de la première entrée. Cela correspond à cette entrée autour de la messe, qui est la deuxième publication dans le journal, et se situe dans un troisième chapitre en volume.
• La 628-E8 d’Octave Mirbeau
La publication dans la presse ne correspond qu'à quelques éléments du texte final. Ces textes font partie du texte qui devient La 628-E8 : on peut ainsi comparer cet extrait de la troisième publication « Il faut bien le dire […] comme le rêve. » avec le texte du volume, que l’on trouve dans la première partie sous le titre « La vitesse » : « Il faut bien le dire […] comme la fièvre. »
La publication suivante (la quatrième) dans L’Auto est également reprise, avec des modifications, dans le volume. Néanmoins, le texte qui correspond à ce quatrième chapitre est versé dans la dernière partie de la version définitive, « Bords du Rhin ».
• Le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau
La construction du roman, à partir d’éléments tirés du journal, en fait un cas intéressant pour observer l’évolution du texte.
L’exemple de la partie intitulée « Frontispice » est intéressant de ce point de vue : le roman présente une conversation, où la question du meurtre et de l’assassinat est discutée par un groupe d’écrivains. Or, les différentes variantes du texte d’abord intitulé « L’École de l’assassinat » se présentent comme des textes pris en charge par un narrateur. Dans le volume, ce discours est présenté au discours direct comme faisant partie de la conversation. On peut comparer cet extrait dans la presse : « Je suis allé dimanche […] ces braves gens étaient heureux ! » avec la version du volume qui fait rentrer ce discours dans le cadre d’une conversation : « Fort juste ! […] étaient heureux ! » Cela est d’autant plus marquant que dans le roman publié en volume en 1899, le frontispice n’est pas présent et apparaît plus tardivement.
Par ailleurs, de petites différences montrent une reprise du texte entre les différentes publications dans la presse. Par exemple, la publication du Figaro et celle de L’Écho de Paris sont similaires mais l’organisation des paragraphes est modifiée. Par ailleurs, le dernier paragraphe (qui est découpé de la même façon dans les deux versions) laisse la parole aux brigands. Dans la première publication il s’agit d’un long discours, alors que dans la deuxième version la citation est limitée à une phrase brève – dont on peut penser qu’elle accentue encore l’impact de la prise de parole. Ces petits changements sont nombreux.
L’évolution est plus notable dans la dernière version : ainsi, le développement sur la violence fondamentale de l’homme est présenté différemment dans cette version. On peut ainsi comparer les textes du Figaro « Le besoin de tuer […] c’est son intérêt de tuer ? », de L’Écho de Paris « Le besoin de tuer […] s’appelle l’humanité. » et du Journal (même découpage que dans le précédent) « Le besoin de tuer […] s’appelle l’humanité. » Ce même extrait se trouve dans la version définitive, et rassemble des éléments présents dans les trois textes précédents : « Non, voyez-vous […] qu’est l’Humanité. »