Personnalités féministes

Sélection de textes écrits par des personnalités féministes qui ont particulièrement marqué l’histoire du féminisme en France par leurs publications, leurs actions et leurs luttes en faveur de l’égalité des sexes, de la fin du XVIIe siècle à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

Journaliste polyglotte, militante abolitionniste, elle signe ses premiers articles sous le nom de "Savioz". Elle enquête sur les conditions de vie des prostituées, des femmes au travail ou en prison. Elle prône le principe "A travail égal, salaire égal". Libre-penseuse et franc-maçonne, elle est  membre de la commission du travail féminin puis de la section féminine du Musée social. Fondatrice  et secrétaire générale du Conseil national des femmes françaises (CNFF), avant d’en être présidente, elle défend le vote des femmes. En 1904, elle est chargee par le gouvernement Combes d’enquêter sur la police des mœurs et devient déléguée des associations féminines internationales auprès de la Société des Nations.

Ses Idées anti-proudhoniennes sur l’amour, la femme et le mariage (1858) développent une critique acerbe de la pensée misogyne de Proudhon et plus généralement s’attaquent aux préjugés masculins les plus répandus. Ses convictions républicaines, affichées même sous le Second Empire, s’expriment par la rédaction d’articles sur la condition des femmes. Elle rejoint pendant une courte période le mouvement suffragiste d’Hubertine Auclert mais elle ne cesse de revendiquer le droit des femmes à l’autonomie. La Nouvelle Revue, qu’elle fonde en 1879 et anime pendant vingt ans, accueille, quoique de façon relativement modeste, des contributions attestant l’essor de la question féminine.

Née dans une famille républicaine, elle devient dès les années 50 une des rares écrivaines reconnues qui s’engagent totalement pour la cause des femmes. Le roman Un mariage scandaleux (1862) dénonce le caractère profondément inégalitaire de cette institution. Membre de la Première Internationale, elle fonde avec Léon Richer en 1868 la Ligue en faveur des droits de la femme. Sa lutte contre « les effets démoralisants de la dépendance » (La Femme et les Mœurs. Liberté ou monarchie, 1869), s’intensifie pendant la Commune, dont elle est une grande figure politique, pour culminer lors de son exil en Suisse dans une critique anarchiste du capitalisme et du patriarcat.

Journaliste, écrivaine, républicaine convaincue, Hubertine Auclert privilégie, contrairement à beaucoup de ses contemporaines, la lutte pour les droits politiques des femmes, « clé de voûte » des autres droits. Affirmant que le vote des femmes doit marquer l’avènement d’une société réellement démocratique, également profitable aux hommes, elle fonde le journal La Citoyenne (1881) et multiplie les actions, parfois spectaculaires, en faveur du suffragisme. Revendiquant l’égalité totale entre les sexes, elle dénonce l’interdiction de l’avortement, les violences conjugales, le travail domestique gratuit, défend le droit des femmes arabes en Algérie et appelle à féminiser la langue française. Grande figure du féminisme français, elle est la première à donner au mot « féministe » son sens actuel (1882).

L’institutrice Marthe Bigot s’engage très tôt dans le syndicalisme via Fédération de l’enseignement, le socialisme via L’Equité, « organe socialiste du prolétariat féminin »), puis le communisme - dont elle s’éloigne à cause des critiques faites à Trotsky - et enfin, l’antimilitarisme via le Comité international des femmes pour la paix permanente en 1916 et La Ligue des femmes contre la guerre - fondée en 1921. Outre La servitude des femmes (1921) et « Cent ans de féminisme » (La Révolution Prolétarienne, août 1948), doivent être rappelées ses idées en faveur du suffrage féminin, du travail des femmes, de l’union libre et de la maternité hors mariage.

Léon Blum s’intéresse très tôt à l’émancipation des femmes. En 1907, il préconise une réforme du mariage offrant aux jeunes filles une liberté sexuelle équivalente à celle des hommes (Du mariage). Député, il soutient les projets de loi en faveur du suffrage féminin et défend l’égalité des sexes, affirmant que la condition des femmes sera transformée par le socialisme. Si les femmes n'obtiennent pas le droit de vote sous le Front populaire, le Sénat refusant de débattre du texte voté par la Chambre des Députés, Léon Blum, Président du Conseil, nomme cependant trois femmes sous-secrétaires d'Etat (Cécile Brunschvicg, Suzanne Lacore, Irène Joliot-Curie) alors qu'elles ne sont ni électrices ni éligibles (juin 1936). Sans se dire explicitement féministe, il œuvre, toute sa vie, pour la cause des femmes.

Ecrivaine, Louise Bodin s’installe à Rennes après son mariage (1897), y mène une vie bourgeoise et entre à l’Union française pour le Suffrage des Femmes. Durant la Première Guerre mondiale, ardemment pacifiste puis socialiste, elle rejoint la section française du Comité international des femmes pour une paix permanente. Rédactrice à l’hebdomadaire féministe La Voix des femmes (1917), collaborant également à L’Humanité (1920), elle devient communiste (1921) puis sympathisante trotskyste. Confrontée à la difficulté de concilier communisme et féminisme, elle finit par privilégier l'éducation révolutionnaire des femmes. Elle est une des rares journalistes à avoir vigoureusement protesté contre la loi du 23 juillet 1920 réprimant la contraception et l'avortement (L'Humanité, 9 août 1920).

Institutrice, membre de la Confédération générale du travail (C.G.T.) et de la Section française de l'Internationale ouvrière (S.F.I.O), Hélène Brion milite dans de nombreuses associations féministes. Prônant un double combat féministe et socialiste préservant l’autonomie du féminisme, elle souhaite l’union des femmes de toutes les classes contre leur oppression commune. Pacifiste (1915), elle est accusée de défaitisme et emprisonnée (1917). Première femme jugée en Conseil de guerre, elle se défend brillamment lors de son procès en mars 1918, se proclamant ennemie de la guerre « par féminisme » (Déclaration d’Hélène Brion, 29 mars 1918). Condamnée à trois ans de prison avec sursis, radiée de l’Education nationale, elle est réintégrée (1925). Elle adhère au Parti communiste puis le quitte, se consacrant à la rédaction d’une Encyclopédie féministe restée inachevée.

Issue d'une famille de la bourgeoisie parisienne juive, Cécile Brunschvicg s'engage dans la philanthropie puis dans le féminisme. Elle défend le travail féminin et lutte pour le droit de vote des femmes. Présidente de l'Union française pour le Suffrage des Femmes (1924), directrice du journal La Française (1926), elle s’investit également dans le mouvement féministe international. Antifasciste, membre du Parti radical, elle est nommée sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale dans le gouvernement de Léon Blum (juin 1936), devenant une des premières femmes ministres. Menacée par les persécutions antisémites (1940-1944), elle entre dans la clandestinité et reprend ses activités après la Libération. Grande figure du suffragisme, elle apporte une contribution décisive à l’organisation du mouvement féministe.

Militante du catholicisme social, elle crée l'Union féminine civique et sociale (UFCS) en 1925 et dirige avec Ève Baudoin le journal La Femme dans la vie sociale (1927-1958) afin d'encourager l'instruction civique des femmes et de favoriser leur rôle économique et social. Son "féminisme chrétien" s’exprime dans de multiples petits syndicats d’employées et d’ouvrières (réunis plus tard en Fédération française des unions de syndicats professionnels féminins) et contribue fortement à l’élaboration du statut et du diplôme d’assistante sociale. Celle qui crée en 1932 la Ligue de la mère au foyer a dans son journal en 1941 de manifestes accents maréchalistes.

Savant réputé dans toute l’Europe, Condorcet est aussi un homme politique, d’abord proche de Turgot, puis député girondin, qui souhaite réformer l’instruction publique et le droit pénal. Son universalisme rigoureux et sa confiance en l’avènement des Lumières lui font considérer, dans le Journal de la Société de 1789 dont il est le directeur, que la reconnaissance de la « capacité d’être raisonnables et sensibles » commune aux hommes et aux femmes entraîne nécessairement « l’admission des femmes au droit de cité », condition d’une véritable société démocratique.

Journaliste et militante des droits des femmes. Après l'obtention de son Brevet d'aptitude à l'enseignement supérieur (seul diplôme accessible aux jeunes filles), elle s’inscrit  aux cours du Muséum d'histoire naturelle puis participe au concours de  l’Académie impériale des sciences et belles lettres de Lyon où elle remporte le premier prix pour son mémoire La femme pauvre par une femme pauvre. Première femme française « bachelière » (à 37 ans), elle devient également « licenciée ès lettres » en 1871. Elle fonde l’Association pour l’émancipation progressive de la femme où elle dénonce les insuffisances de l’éducation des femmes qu’elle encourage à s’impliquer en politique.

Proche des républicains puis des saint-simoniens, Claire Démar, dans son Appel d'une femme au peuple sur l'affranchissement de la femme, revendique l’amour libre et dénonce le mariage comme une prostitution légale. Elle se suicide en 1833. Dans son ouvrage posthume Ma loi d'avenir, publié par Suzanne Voilquin, elle défend le secret de la vie privée contre le principe de publicité des mœurs de Barthélémy-Prosper Enfantin, conteste la famille, l’autorité paternelle, la loi du sang et propose de confier l’éducation des enfants à une mère sociale afin d’abolir l'exploitation de l'humanité par l'humanité. Sa « parole souverainement révoltante », d’une radicalité et d’une modernité saisissantes, allie révolution sociale et « révolution des mœurs conjugales », prônant une profonde transformation des relations entre les sexes.

Intellectuelle érudite, philosophe, républicaine, franc-maçonne fondatrice de la loge mixte Le Droit Humain et grande oratrice, Maria Deraismes dénonce les préjugés religieux, philosophiques et scientifiques sur l’infériorité féminine qui n’est pas « un fait de la nature » mais une « fiction sociale » (Eve dans l’humanité, 1895). Affirmant un féminisme universaliste, elle fustige l’« universel de poche » des démocrates excluant la moitié de l’humanité. Présidente de la Société pour l'amélioration du sort de la femme, elle participe à la création de banquets féministes et organise, avec Léon Richer, le premier Congrès féministe international (1878). Luttant pour les droits civils et économiques des femmes, elle refuse de revendiquer prématurément leurs droits politiques, craignant de fragiliser la Troisième République naissante, mais défend le principe de l’égalité complète entre les sexes.

Lingère devenue institutrice, Jeanne Deroin, indignée par la « soumission des femmes », participe d’abord au mouvement saint-simonien qui prône l’égalité et le droit de vote des femmes. En 1848, elle milite aussi pour l’amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière : « la cause du peuple et la cause des femmes sont intimement liées » et, sans beaucoup de soutiens, se porte candidate aux élections législatives de mai 1849. Son projet de mettre fin au salariat lui vaut d’être emprisonnée pendant plus d’une année, peu avant la proclamation de Second Empire. Son combat se poursuit à Londres, de 1852 à sa mort.

Militante pacifiste et féministe, elle fonde en 1913 l’Office français du travail féminin à domicile puis le Comité intersyndical contre l’exploitation de la femme. En mai 1915, elle est présidente de la Section française du Comité international des femmes pour la paix permanente (CIFPP) qui est issue du Congrès international des femmes de La Haye. Très proche du discours pacifiste du Parti communiste français, elle devient secrétaire de la section française de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté ; antifasciste, elle préside le Comité mondial de lutte contre la guerre et le fascisme.

Comédienne puis journaliste, elle fonde en 1897 La Fronde, « quotidien politique, littéraire, dirigé, administré, rédigé, composé par des femmes ». Ce journal propose toutes les rubriques d'un quotidien d'information, prend position dans les grands combats politiques, en soutenant notamment les dreyfusards,  et affirme le principe de l'égalité des sexes. En 1900, Marguerite Durand est secrétaire du Congrès international de la condition et des droits des femmes qui se tient à Paris dans le cadre de l'Exposition universelle et qui remporte un grand succès. En 1931, elle fonde le premier « office de documentation féministe »,  bibliothèque qui porte son nom.

Pour Fourier, philosophe-fondateur du socialisme utopique, l’émancipation et la liberté des femmes est indispensable. Il écrit dans la Théorie des quatre mouvements et des destinées générales : « Les progrès sociaux et changements de période s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté ; et les décadences d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes. » Elles doivent être éduquées au même titre que les hommes et sortir de leur statut de femme au foyer. Ainsi, sur la base de leurs compétences, tous les emplois importants, doivent leur être ouverts.

Couturière puis éducatrice de jeunes enfants, d’une famille ouvrière, Désirée Véret écrit dans La Femme libre, « journal des prolétaires saint-simoniennes » (1832). Devenue fouriériste, elle rencontre en Angleterre la féministe irlandaise Anna Wheeler et épouse Jules Gay, disciple français de Robert Owen. Jugeant primordial le combat pour la liberté des femmes, elle réclame, en 1848, l’organisation du travail féminin, dénonce la tutelle masculine sur celui-ci, puis dirige le journal La Politique des femmes pour promouvoir le point de vue féminin sous le « vaste étendard du socialisme ». Présidente de la section des femmes de la Ière Internationale (1866), elle correspond, à la fin de sa vie, avec Victor Considérant, demeurant attachée à l’émancipation du peuple et de « ses sœurs ».

Olympe de Gouges, de son vrai nom Marie Gouze, est une romancière et autrice de pièces de théâtre engagée politiquement en faveur des Noirs et de l’égalité des sexes. Son écrit politique le plus célèbre est la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (septembre 1791). Prenant pour modèle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle affirme que « la femme naît et demeure égale à l’homme en droits ». Elle considère, en effet, que la femme détient des droits naturels au même titre que l’homme et doit pouvoir participer en tant que citoyenne à la vie politique et au suffrage universel.

Diplômée de médecine homéopathique et sage-femme, c’est la moins connue des féministes de son époque. Pourtant, elle se bat pour l'émancipation des femmes et pour "une société juste et raisonnable reposant sur l'égalité des sexes". Elle joue un rôle public et actif pendant la Révolution de 1848 en fondant avec d'autres femmes la Société pour l'émancipation des femmes. Elle s’oppose aux théories prônant l’infériorité intellectuelle naturelle des femmes (Proudhon). En 1860, elle publie son principal ouvrage, La Femme affranchie : réponse à MM. Michelet, Proudhon, É. de Girardin, A. Comte et aux autres novateurs modernes.

Institutrice et militante anarchiste, elle défend un féminisme égalitaire. Sa participation active à la Commune de Paris en 1871 lui vaut d’être condamnée à la déportation. Conduite en Nouvelle Calédonie en 1873, elle se lie d’amitié avec les Kanaks, cherche à les instruire et les soutient lorsqu’ils se révoltent. En 1880, Louise Michel est amnistiée et rejoint Paris. Elle reprend aussitôt ses activités politiques, donnant des conférences en France, comme à l’étranger et publiant de nombreux écrits. Elle militera ainsi jusqu’à sa mort, en 1905.

Fille d’un aristocrate polonais saint-simonien, Paule Mink fonde une organisation féministe et mutualiste, la Société fraternelle de l’ouvrière, et revendique les droits politiques des femmes. Elle combat les Prussiens à Auxerre (1870) puis participe très activement à la Commune de Paris. Proche du blanquisme, elle milite ensuite au sein du Parti ouvrier français. Journaliste, elle poursuit son combat féministe, dénonçant l’asservissement des femmes dans le mariage et l’oppression des Algériennes (Le Coup de feu, janvier 1886). Politiquement, elle conseille aux femmes d’éviter la « boue plus ou moins gluante » du Parlement (Le Coup de feu, octobre 1885) et les invite à défendre le socialisme en soutenant les travailleurs car « le peuple et la femme doivent être libres l’un par l’autre ».

Journaliste et militante féministe réformiste, fondatrice du journal La Française, elle est membre du comité exécutif de l'Union française pour le suffrage des femmes et du Conseil national des femmes françaises. Lorsqu'elle crée l'hebdomadaire La Française qu'elle dirige jusqu'en 1924, Jane Misme est déjà une journaliste expérimentée : critique théâtrale, journaliste au Figaro et au Temps avant de rejoindre La Fronde. Journal du progrès féminin, La Française n’est pas seulement écrit par des femmes, il n'exclut pas les hommes de sa collaboration mais deviendra l’organe de presse du Conseil national des femmes françaises (CNFF).

Née en Martinique, première étudiante noire inscrite à la Sorbonne, Paulette Nardal devient une figure du « Paris noir ». Cofondatrice de La Revue du monde noir (1931), elle y publie « Eveil de la conscience de race » (1932), réflexion majeure sur l’émergence d’une conscience noire féministe. Elle montre que les femmes noires isolées en métropole ont saisi, avant les hommes, l’importance d’une solidarité raciale. Dénonçant l'occupation de l'Ethiopie par Mussolini (1935), elle appelle les femmes colonisées à s'unir pour revendiquer leurs droits. En 1945, elle crée en Martinique le Rassemblement féminin et son journal, La Femme dans la cité. Elle contribue, avec sa sœur Jane, à inspirer le courant de la négritude et est une pionnière du féminisme noir.

Ecrivaine saint-simonienne puis fouriériste et socialiste, journaliste, elle obtint également un brevet en 1838 pour une encre indélébile. Elle s'engage dans la révolution de 1848, crée un club de femmes, la Société de la voix des femmes, et devient la porte-parole des ""femmes de 1848"". Figure incontournable du féminisme, elle a fondé et collaboré à une dizaine de journaux dont La Voix des femmes (1848) et Journal pour toutes (1864).  Elle s’est impliquée dans la plupart des luttes de son époque :  l’éducation et le vote des femmes, la réforme des prisons, l’abolition de la peine de mort, l’abolition de l’esclavage.

Première femme interne en psychiatrie (1903), franc-maçonne, socialiste puis communiste, Madeleine Pelletier prône un féminisme intransigeant. Elle revendique le suffrage féminin, le droit à la contraception et à l’avortement, l’abolition de la famille. S’habillant de façon masculine, elle préconise une éducation virilisante pour les filles, l’égalité des sexes impliquant le refus de la féminité asservissante. Grande théoricienne, analysant « les facteurs sociologiques de la psychologie féminine » (1908), elle mène une réflexion pionnière sur la construction sociale du genre. Son combat précurseur pour une société où la femme serait « un individu avant d’être un sexe » confère à cette féministe radicale, dénoncée comme avorteuse et internée dans un asile, une place essentielle dans l’histoire du féminisme.

Ancien prêtre, docteur en Philosophie et disciple de Descartes, il est connu pour trois de ses œuvres : De l'égalité des deux sexes (1673), De l’éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et dans les mœurs. Entretiens (1674) et De l’excellence des hommes contre l’égalité des sexes (1675). Ces trois traités constituent l'une des analyses les plus détaillées de l'assujettissement des femmes écrites au XVIIe siècle. Pour Poullain de la Barre, il doit y avoir égalité absolue entre hommes et femmes. Au même titre que les hommes, les femmes doivent pouvoir accéder à la connaissance et à toutes les fonctions sociales.

Son essai de 1801, Opinion d’une femme sur les femmes, affirme que l’inégalité entre les sexes est due au « malheur des temps, et non [à] l’essence des choses ». Les hommes et les femmes ayant la raison en partage, étant de surcroît nécessairement complémentaires dans la reproduction et dans la société, l’égalité naturelle justifie une réforme de l’éducation offerte aux filles et l’instauration d’une égalité civile et politique. Dans Idées d’une Française sur la constitution faite ou à faire (1814) et sa revue Le Véridique (1814-1815), Fanny Raoul plaide pour une pleine citoyenneté des femmes dans un régime authentiquement républicain.

Clerc de notaire, Léon Richer prend conscience de l’injustice du Code civil envers les femmes. Devenu journaliste, il milite en faveur de l’émancipation féminine et fonde le journal Le Droit des femmes. Il organise des banquets féministes, des congrès féministes internationaux et crée la Ligue française pour le Droit des femmes (1882), dont Victor Hugo est président d’honneur. Partisan de l’égalité des sexes « dans la dissemblance », il défend l’égalité civile, notamment le divorce. S’il est favorable aux droits politiques des femmes, il estime néanmoins cette revendication prématurée. Cette stratégie des « petits pas » suscite des divisions au sein du mouvement féministe. A sa mort, l’ensemble des féministes rendent néanmoins hommage au « véritable fondateur du féminisme », selon Simone de Beauvoir.

Féministe néo-malthusienne, libre-penseuse, pacifiste, Nelly Roussel, oratrice charismatique, développe dès les années 1900 des idées novatrices, ancrées dans sa propre expérience, sur la liberté de la maternité et le droit des femmes à l’accouchement sans douleur. Elle conçoit la maternité comme une fonction sociale méritant une compensation financière tout en affirmant que les femmes ne doivent être mères « qu’à leur gré ». Contrairement à beaucoup de féministes de son époque, elle considère la contraception comme un enjeu majeur de l'émancipation féminine. Elle lutte simultanément pour l’accès des femmes à la citoyenneté et pour leur droit à disposer de leur corps, revendiquant leur droit au bonheur individuel. Son combat pionnier préfigure le féminisme des années 1970.

George Sand se révolte tout d’abord contre le mariage institué à son époque parce qu’il enveloppe une inégalité de nature entre les sexes et une inégalité des droits. Le Code civil, qui fait des femmes des mineures juridiques, doit être réformé afin qu’elles obtiennent les droits civiques et le rétablissement du divorce. Malgré ses liens et sa collaboration avec de grandes figures de la démocratie comme Leroux, Louis Blanc et Ledru-Rollin, George Sand pense que la revendication politique est prématurée, compte tenu du fait que l’instruction des femmes ne leur permet pas encore d’être des citoyennes à part entière.

Rencontré en 1879, Jules Vallès, « le tuteur de mon esprit », forme Séverine au journalisme et à la critique socialiste de la vie politique.  A la mort de son mentor en 1885, elle dirige seule pendant quelques années Le Cri du peuple, le grand journal de la Commune reparu en 1883. Elle défend la cause des femmes à partir de 1897 par les billets quotidiens publiés dans La Fronde, journal « féminin et féministe » fondé par Marguerite Durand, et milite en faveur du droit de vote des femmes en participant aux grandes manifestations suffragistes.

La violence conjugale dont elle a été victime l’a rendue extrêmement sensible à la condition des femmes et à l’injustice sociale. Celle qui se dit « Aristocrate déchue, Femme socialiste et Ouvrière féministe » fait état par ses Promenades dans Londres (1840) de l’exploitation des femmes : « L’homme le plus opprimé peut opprimer un être qui est sa femme. Elle est le prolétaire du prolétaire ». L’union ouvrière qu’elle souhaite ardemment, pour affranchir hommes et femmes de l’esclavage dû au capitalisme industriel, motive le « tour de France » qu’elle raconte dans L'Émancipation de la femme, ou Le Testament de la paria (posth., 1846).

« La femme paie l’impôt, elle doit voter. » Ce slogan résume le combat de Maria Vérone. Secrétaire du Congrès de la Libre Pensée française à quinze ans, en 1889, institutrice en maternelle à Paris et dispensant des cours dans des universités populaires à vingt ans, elle est rédactrice à La Fronde, le journal fondé par Marguerite Durand, et devient une des premières femmes avocates en 1907. Présidente de la Ligue française pour le droit des femmes, elle ne cesse de participer à des manifestations suffragistes. Elle serait devenue la première femme ministre en 1936 si la maladie ne l’avait forcée à décliner la proposition de Léon Blum.

Issue de la classe ouvrière et membre active du mouvement saint-simonien, elle est rédactrice en chef de la revue féministe Tribune des femmes (anciennement, La Femme libre) de 1832 à 1834. Participant à une expédition en Égypte, Suzanne Voilquin suit une formation de sage-femme qui lui permet d'aider les femmes dans les harems égyptiens. De retour en France, elle crée une association d’aide aux filles-mères. Elle repart comme sage-femme en Russie, revient à Paris ou elle écrit des articles dans La Voix des femmes d'Eugénie Niboyet. En 1866, elle publie son autobiographie Souvenirs d'une fille du peuple, ou La saint-simonienne en Égypte.

Journaliste, elle dirige durant seize ans L'Europe nouvelle puis embrasse la cause suffragiste et crée en 1934 l'association La Femme nouvelle. Ses actions en faveur des droits des femmes la distinguent d'autres figures du féminisme militant qu'elle juge trop éloignées du champ politique. Son engagement pacifiste (depuis la Société des Nations en 1924 où elle fait partie de la délégation française) et sa participation à la construction européenne (doyenne du Parlement à Strasbourg en 1979) donnent une grande visibilité à la cause des femmes.

Petite-fille de François Guizot, protestante, Marguerite de Witt-Schlumberger participe à différentes œuvres sociales et lutte notamment contre la prostitution réglementée. Militante nataliste, elle s'intéresse également à l'éducation sexuelle. Son engagement féministe est lié à son intérêt pour les questions morales. Persuadée du rôle du suffrage féminin dans ce domaine, elle rejoint l'Union française pour le suffrage des femmes, qu’elle préside jusqu’à sa mort. Fondatrice de la commission morale du Conseil national des femmes françaises (1916), elle devient vice-présidente de l'Alliance internationale pour le suffrage des femmes. Elle écrit dans Jus Sufragii, le journal de l’association, publie différents articles dans la presse féministe et fait partie de la délégation défendant les revendications féministes à la Société des Nations (1921).

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Le mot « féministe » apparaît en 1872 sous la plume d'Alexandre Dumas fils et revêt un sens péjoratif avant qu’Hubertine Auclert, en 1882, ne lui donne son acception actuelle. Le féminisme désigne, désormais, « la contestation de l’inégalité entre les sexes » (Dictionnaire des féministes, PUF, 2017, p. XIII) et s’applique rétrospectivement à des idées et des attitudes antérieures à la fin du XIXe siècle.

L’objet de ce corpus est de retracer l’apport intellectuel et l’engagement, dans l’espace politique, d’un certain nombre de personnalités féministes (des femmes en majorité, mais aussi certains hommes) qui ont particulièrement marqué l’histoire du féminisme en France par leurs écrits et leurs actions, de la fin du XVIIe siècle, avec les travaux précurseurs du philosophe Poullain de la Barre, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

Les documents proposés (ouvrages, presse féministe…) témoignent des luttes individuelles et collectives pour l’égalité entre les sexes, expriment des revendications en faveur des droits et de la liberté des femmes, remettent en cause les normes de genre et développent les idées philosophiques et politiques qui ont inspiré ces combats.

Ils sont autant de sources permettant d’appréhender la manière dont le féminisme, en tant que mouvement politique et social, se structure progressivement tout au long du XIXe siècle avant de connaître successivement, sous la IIIème République, un essor et une diversification au tournant des XIXe et XXe siècle, puis un déclin amorcé au milieu des années trente.

Cette sélection documentaire, appelée à s'enrichir, donne accès, par ordre alphabétique des autrices et auteurs, à des documents libres de droits (majoritairement antérieurs, de ce fait, à 1940), en langue française, numérisés à partir des collections patrimoniales de la BnF et de ses partenaires.

Elle ne peut prétendre à l’exhaustivité mais voudrait s’efforcer de redonner une visibilité à certaines figures pionnières, parfois méconnues, et inviter à découvrir ou relire leurs œuvres, susceptibles de nourrir les réflexions et les débats d’aujourd’hui.

Sources / Bibliographie sélective

- Bard, Christine (dir.)
Dictionnaire des féministes : France, XVIIIe-XXIe siècle. Paris : PUF, 2017.

- Offen, Karen M. [traduit de l'anglais (américain) par Geneviève Knibiehler]
Les féminismes en Europe, 1700 - 1950 : une histoire politique. Rennes : Presses universitaires de Rennes ; Dinan : Terre de brume, 2012. (Archives du féminisme)

- Offen, Karen M.
The woman question in France, 1400 – 1870. Cambridge : Cambridge University Press, 2017

- Ozouf, Mona.
Les mots des femmes : essai sur la singularité française. Édition augmentée d’une postface. [Paris] : Gallimard, 1999. (Collection Tel)

- Pavard, Bibia ; Rochefort, Florence ; Zancarini-Fournel, Michelle
Ne nous libérez pas, on s'en charge : une histoire des féminismes de 1789 à nos jours. Paris : la Découverte, 2020.

- Riot-Sarcey, Michèle
Histoire du féminisme. 3e éd. Paris : Éd. la Découverte, 2015.

- Ripa, Yannick
Histoire féminine de la France : de la Révolution à la loi Veil (1789-1975). Paris : Belin, 2020.

- Les principales féministes, in Le maitron.fr (en ligne) (consulté le 21/06/2021)

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