• Histoire du texte et métatexte – Textes réadaptés
L’histoire de la publication du roman est en soi intéressante. Paru en 1841 dans un quotidien, le roman est déjà sous presse pour une parution en volume. De ce fait, la version du feuilleton est à bien des égards postérieure à celle de l’édition de 1842, qui sera elle-même légèrement remaniée pour l’insertion dans la Comédie humaine. La version du roman publiée dans la presse, sous forme de feuilleton, subit de nombreuses altérations notamment afin de respecter les règles de bienséance et de ne pas choquer les lecteurs.
Dans le feuilleton, mais aussi dans la première édition en volume, le roman est coupé en 3 parties et non pas 2, comme c’est le cas dans la version retenue aujourd’hui. Cette découpe propose une lecture légèrement différente du roman. Dans cette version primitive, le roman est pensé en trois moments : le passage de l’état de jeune fille à celui de femme ; l’échec du premier mariage de Louise ; le second mariage de celle-ci. Lorsque Balzac réunit les deux premières parties, il crée une dynamique différente.
Par ailleurs, l’histoire de la publication, qui implique un état premier du texte, fixé avant la publication dans le feuilleton, est tout particulièrement intéressante. En effet, la version du feuilleton est modifiée et surtout censurée par le responsable du journal afin d’éviter de choquer le lectorat. Disparait ainsi toute allusion à la sexualité de Louise dans la Lettre XXVIII (qui deviendra XXVII dans la version finale) : « Hélas, mon cher ange aimé […] elles fleurissent notre vie à deux. » Alors que Louise évoque la découverte de sa sexualité dans le mariage, le feuilleton coupe de nombreux morceaux et change certains termes. Il en est de même de toute la partie du roman, que l’on trouvera dans la Lettre XXXII (qui deviendra XXXI), où Renée explique le sentiment charnel qui l’unit à son enfant : « O ! Voilà le bonheur […] est le monde pour vous ! » Tout ce qui renvoie au sein de la mère a été enlevé.
• Famille – Amour et lien filial
Le roman s’intéresse également à la famille. On la voit déchirée et distante dans le cas des parents de Louise au début du roman ; mais c’est surtout au travers de la conception du foyer des deux femmes, et également de la question de la maternité, que se pose la question de la famille.
Dans ce cadre, l’extrait de la Lettre XXXII/I est également intéressant : même dans sa version simplifiée et rendue plus « politiquement correcte », ce texte se concentre sur le rapport de la mère à son enfant et sur la force de ce lien. On retrouvera l’intensité de cette relation dans l’épisode où le fils de Renée, Armand, tombe gravement malade. On aurait tort néanmoins de voir en Renée une apologiste en quelque sorte linéaire du mariage de convenance et de la maternité. Dans la Lettre XXI (qui deviendra XX), elle s’élève avec vigueur contre la logique qui veut que la femme soit sacrifiée dans le mariage : « Si l’amour est la vie du monde […] avec une inquiète curiosité. »
Louise représente a priori une facette complètement différente de la vie de couple : sans enfants, elle est une femme entièrement tournée vers la passion amoureuse et à de nombreuses reprises elle se déclare soulagée de n’être pas mère – incapable comme elle l’est de diviser son amour, et de supporter que son amant aimât quoique et qui que ce fut d’autre. Il s’agit pourtant là très largement d’une posture : Louise aussi est travaillée par la question de la maternité, destin de la femme qu’elle ne peut accomplir – ce qui est à la fois une raison et un indice de son inévitable malheur. Elle le déclare ouvertement dans la fin de la Lettre XLVII (qui deviendra XLVI), qui conclut la deuxième partie (qui deviendra la première) : « Ah, Renée, si je ne suis pas morte […] la part de mes douleurs !... »
• Amour – Désir et passion
Ne pouvant s’accomplir dans la maternité, le personnage de Louise est tout entier consommé par la passion amoureuse, une passion qu’elle vit mais également qu’elle désire pour elle-même et dont elle connaît deux formes.
Dans un premier temps, l’amour de Louise pour Felipe est passionnel, et il est surtout présenté en sens inverse : Louise suscite le désir. De façon intéressante, elle raconte dans sa Lettre XXVII (devenue XXVI) les conseils de sa mère, qui mettent en perspective la passion et l'amour, et la durabilité de l'un et l'autre : « Tu te maries [...] la veille de notre mariage. »
Plus tard, alors qu’elle vit une passion avec le jeune Marie Gaston, elle décrit à la Lettre XLVIII un amour total et inversé par rapport à sa première passion. Elle est désormais celle qui aime, et non plus en premier lieu celle qui est aimée : « En ce moment j’ai la certitude […] pour toute la journée. »