Abécédaire Gallica de la manifestation : Seconde partie. Opéra – Zola, Émile
Dans le cadre des « Rendez-vous du politique » 2019-2020, consacrés à l’exercice de la citoyenneté, poursuivons notre exploration de l’histoire des mouvements sociaux, à travers la seconde partie de cet abécédaire Gallica de la manifestation.
Opéra
De la même manière, les représentations théâtrales peuvent faire l’objet de manifestations, comme ce fut le cas pour celles d’Hernani. Si la première de la pièce de Victor Hugo, le 25 février 1830, a constitué un triomphe, du fait de la présence de nombreux partisans de l’auteur, en dépit d’une campagne de dénigrement, les représentations suivantes furent très perturbées pour des motifs tenant tant à la politique qu’à l’esthétique théâtrale.
Concernant toujours le spectacle vivant, en 1916, des manifestants protestent contre la fermeture du Cabaret des Métèques, situé boulevard de Clichy, par décision du préfet de police. « Motif : un censeur qui avait assisté aux représentations jugea trop grivoises et déplacées des chansons » (Le Petit Parisien, 4 avril 1916).
Protection des animaux
Quartier latin
La plus ancienne de ces manifestations date de fin 1892 et est une conséquence de la loi du 30 novembre 1892, qui supprime une catégorie de médecins sous-formés, les officiers de santé, et en crée une nouvelle : les chirurgiens-dentistes. Les années précédant la Grande guerre sont ponctuées de manifestations visant l’agrégation, à l’instar de celles de décembre 1908. Les manifestants critiquent les concours successifs auxquels doivent se présenter les étudiants en médecine, concours auxquels viennent de s’ajouter des épreuves d’admissibilité à l’agrégation. Le manque de prise en compte de la pratique, dans l’organisation des études, fait aussi partie des revendications. Dans d’autres cas, il s’agit de chahuts à l’encontre de professeurs, comme c’est le cas à plusieurs reprises envers le professeur d’anatomie Nicolas. Une autre manifestation, en 1920, s’inscrit dans le cadre de la propagande en faveur de l’emprunt en France. Certaines sont patriotiques (manifestations à la statue de Strasbourg, en souvenir de l’Alsace-Lorraine), nationalistes (celles d’Action française, dont celle du 2 janvier 1933 contre le décret Chéron supprimant pour un an tout recrutement de fonctionnaires).
Hors de l'Hexagone, Gallica contient les griefs des étudiants à l’origine des manifestations universitaires qui se sont produites à Alger en février 1911. Les étudiants reprochaient notamment au recteur de l’université de ne pas défendre leurs intérêts, en n’imposant pas à l’Institut Pasteur installé à Alger de les accueillir, et en ne pourvoyant pas les chaires les plus utiles.
République
Vive la République. Ce n’était pas vive la République amorphe et officielle, mais vive la République vivante, vive la République triomphante, vive la République parfaite, vive la République sociale, vive cette République de Dalou qui montait clair et dorée dans le ciel bleu clair, éclairée du soleil descendant.
La manifestation intervenait au moment de l’affaire Dreyfus, qui a ébranlé la République.
Plus de trente ans après, la République reste fragile, comme l’ont montré les événements des 6-7 février 1934 qui l’ont fait trembler, provoquant le sursaut républicain des contre-manifestations des 9 au 12 février 1934.
La manifestation du 19 novembre 1899 nourrissait le même objectif que celle appelée de ses vœux par le Gouvernement provisoire, le 20 avril 1848 : « Que tous les citoyens se rallient autour des bannières républicaines ; que les pénibles souvenirs du passé disparaissent dans cette solennité, où la garde nationale, l’armée, tout le peuple en un mot, doivent se donner la main et s’unir dans une étreinte fraternelle. » Le Constitutionnel, 21 avril 1848. En dépit de l’importance du cortège, la République sera bien éphémère…
Manifestation pacifique et fraternelle, A. Collette, 1848
En Espagne, il en est de même. La manifestation en faveur du gouvernement de la République de 1932 n’empêchera pas la guerre civile qui déchirera le pays quatre ans plus tard et l’arrivée au pouvoir de Franco.
Suffragistes et suffragettes / Séverine
Les premières femmes à obtenir le droit de vote sont les Néo-zélandaises en 1893, et les Australiennes, en 1902. Au Royaume-Uni, les suffragistes menées par Millicent Garret sont légalistes, tandis que les suffragettes, mouvement fondé par Emmeline Pankhusrt et ses filles, prônent un activisme violent (manifestations interdites, prises de parole intempestives, interruptions de réunions publiques…). La manifestation organisée par les secondes, le 21 juin 1908 à Hyde Park est une démonstration de force. Les Anglaises devront néanmoins attendre 1918 et la reconnaissance de leur rôle durant la guerre, pour pouvoir se rendre aux urnes.
Aux États-Unis, si la Constitution garantit le droit de vote aux femmes depuis le 26 août 1920, les manifestations en faveur de l’égalité des droits se poursuivent, cette date passée, comme en atteste cette photographie représentant l’aviatrice Amelia Earhart au milieu de manifestantes, en 1932.
En 1790, Condorcet se prononçait en faveur du vote des femmes. C’est donc en son honneur que les suffragettes manifestent le 5 juillet 1914, dans les rues de Paris, à l’appel de Séverine, journaliste libertaire, féministe et pacifiste, qui signait déjà l’appel au « vote blanc ».
Les manifestations continuent dans les années 1920. A la mort de Séverine, en 1929, l’une d’elles se déroule en son honneur. Une autre journaliste, prend le relais, dans ce combat pour l’obtention du suffrage féminin, organisant des manifestations et allant même jusqu’à se présenter illégalement aux élections municipales à Paris en 1935 et 1936 : Louise Weiss.
Manifestation de suffragettes à Paris, 1914 ; et affiche invitant à la manifestation à la mémoire de Séverine, 1929
Le droit de vote n’est accordé aux Françaises que par l’ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération, signée par Charles de Gaulle.
Travail (Fête du travail)
La Défense des travailleurs : organe socialiste de Saint-Quentin et de l'Aisne est dithyrambique dans sa description de la « fête ouvrière du 1er mai » 1890, « véritable triomphe pour la classe ouvrière », partout « grandiose et pacifique ». Le cri de ralliement était :
Huit heures de travail, / Huit heures de loisir, / Huit heures de sommeil.
La journée de huit heures est adoptée par la loi du 23 avril 1919, et fait même l’objet de l’article 247 du traité de Versailles, qui fixe « l'adoption de la journée de huit heures ou de la semaine de quarante-huit heures comme but à atteindre partout où elle n'a pas encore été obtenue ». Les manifestations du 1er mai se poursuivent malgré cela, porteuses de revendications variées et parfois de troubles à l’ordre public... L’Humanité du 30 avril 1920 titre « Premier mai de combat ! ».
Acte de reconnaissance officielle, la loi du 30 avril 1947 instaure un jour férié et chômé, le 1er mai.
Notons, enfin, que la « fête nationale de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme », créée par une loi du 10 juillet 1920, se déroule « le deuxième dimanche de mai, jour anniversaire de la délivrance d’Orléans [8 mai 1429] ». Elle a, de manière bien compréhensible, une antériorité plus importante à Orléans. Certains mouvements d’extrême droite firent de cette fête patriotique leur point de ralliement.
Universelles… ?
D’autres ont lieu au Proche-Orient, dans le cadre des guerres balkaniques (1912-1913) ou du mouvement d’indépendance en Syrie, en 1920. L’Asie est assez bien représentée, plusieurs mobilisations se déroulant au Japon - notamment cette manifestation de danseuses japonaises, en 1933, contre une nouvelle taxe qui leur est imposée -, en Chine ou en Inde, où une manifestation importante a lieu en mars 1930 : la « marche du sel » conduite par Gandhi.
En Amérique du Nord, outre les mouvements sociaux aux États-Unis, ce sont les taxis qui déplorent, à Mexico, la concurrence des autobus et autocars, en 1932. L’Amérique du Sud, l’Océanie et l’Afrique sont les continents les moins représentés dans l’iconographie des manifestations présentes dans la bibliothèque numérique. On remarque, en ce qui concerne l’Afrique, que les mouvements anti-impérialistes sont plutôt définis comme révoltes, soulèvements, lutte, guerre. Lorsque l’on trouve dans la presse mention de manifestations sur le territoire des colonies, il s’agit de mouvements de contestation menés par les colons comme c’est le cas à Rabat en 1934, et probablement aussi des manifestations universitaires à Alger en 1911.
Violence
La violence constitue parfois le motif de la manifestation. Dès 1795, le départ en déportation d’anciens députés provoque des émeutes. Des manifestations de protestation contre la mort infligée, l’exécution du pédagogue Francisco Ferrer en Espagne en 1909, celle des anarchistes, Sacco et Vanzetti aux États-Unis en 1927, ou contre des assassinats – celui du président Sadi Carnot en 1894 - ou tentatives d’assassinat, à l’instar de celle qui vise Léon Blum en 1936, sont fortement mobilisatrices.
L'Humanité, 17 février 1936
Wolinski, Georges
« Merci, chers manifestants », dessin de presse de Georges Wolinski (1934-2015)
Xénophobie
C’est le cas, par exemple, à la fin du XIXe siècle, dans le Nord de la France, où les travailleurs belges représentent un fort pourcentage des mineurs employés. Le Grand écho du Nord de la France, daté du 12 septembre 1892, relate les revendications proclamées lors d’une réunion de « 600 personnes environ », chez un débitant, et notamment le renvoi des porions, c’est-à-dire des contremaîtres, belges. Plus tardivement, en 1935, concernant la manifestation des étudiants en médecine qui s’est déroulée à Paris le 1er février 1935, l’Action française titre « Les étudiants contre l’invasion des métèques ».
Youth (terme anglais. Jeunesse)
À l’aube du XXe siècle, un nouveau modèle familial s’impose, et les grandes familles n’ont pas bonne presse. Un mouvement nataliste et familial émerge avec la création en 1896 de L’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française.
En 1908, Simon Maire, un capitaine d’artillerie à la retraite, père de huit enfants, crée la Ligue populaire des pères et mères de familles nombreuses. Il œuvre avec énergie en faveur du développement d’une politique familiale, en donnant de nombreuses conférences.
En 1911, il prépare une manifestation qui est interdite par le préfet de Police, Lépine. Faisant fi de l’interdit, la manifestation a lieu le 9 avril 1911. Le capitaine Maire est interpellé, mais gagne l’attention de la presse sur la cause des familles nombreuses. Il signe un article du quotidien Le Matin du 24 avril. Une nouvelle manifestation de la Ligue des familles nombreuses a lieu l’année suivante.
Zola, Emile
La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quelques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'horizon. La route, devenue torrent roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s'épuiser [...]. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée.
Pour aller plus loin
- Toujours dans le cadre des « Rendez-vous du politique » 2019-2020, poursuivez cette exploration de l’histoire des mouvements sociaux avec le billet « Mémoire du peuple français en insurrection ».
- Sélection bibliographique :
Fillieule, Olivier. Stratégies de la rue. Paris, Presses de Sciences Po, 1997.
Fillieule, Olivier, Tartakowsky, Danielle. La manifestation. [2e] éd. revue et augmentée par Olivier Fillieule. [Paris], Sciences po, les presses, DL 2013.
Pigenet, Michel, Tartakowsky, Danielle (dir.). Histoire des mouvements sociaux en France : de 1814 à nos jours. [Nouvelle éd.]. Paris, la Découverte, impr. 2014.
Tartakowsky, Danielle. « L’imaginaire des manifestations chez quelques écrivains du XXe siècle ». Béroud, Sophie, Régin, Tania (dir.). Le roman social : littérature, histoire et mouvement ouvrier. Paris, les Éd. de l'Atelier, 2002.
Tartakowsky, Danielle. Les manifestations de rue en France : 1918-1968. Paris, Publications de la Sorbonne, collection Histoire de la France au XIXe et XXe siècle, 1997.
- Sur le mouvement des « Gilets jaunes » qui sort du cadre temporel de Gallica, se reporter à la bibliographie sélective « Les « Gilets jaunes », un an après ».
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