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Abécédaire Gallica de la manifestation : Première partie. Art – National-socialisme

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Les 12 et 16 novembre, s’ouvrira la deuxième saison des « Rendez-vous du politique », consacrée à l’exercice de la citoyenneté. Dans cette optique, revenons sur l’histoire des mouvements sociaux, plus particulièrement sur un mode d’action collective : la manifestation.

La manifestation, gravure de Félix Vallotton, 1893
En guise d’introduction, empruntons à Olivier Fillieule sa définition du fait manifestant. La manifestation sera ainsi entendue comme toute « occupation momentanée par plusieurs personnes d’un lieu ouvert public ou privé et qui comporte directement ou indirectement l’expression d’opinions politiques » (Fillieule, Olivier. Stratégies de la rue. Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 44). À travers l’abécédaire qui suit, prenons la mesure de la diversité des motifs qui ont pu animer les manifestants.
 

A comme… Art

Les tensions sociales sont un thème récurrent dans l’œuvre de Félix Vallotton, à une époque où émerge un art engagé, où artistes et ouvriers partagent critique de la société et aspiration à un monde plus harmonieux. Cet artiste pluridisciplinaire, collaborateur de la Revue blanche, a représenté La manifestation, Les manifestants dans son œuvre gravée.
 
Parmi les artistes engagés, on peut aussi citer Théophile Alexandre Steinlen, collaborateur de la presse anarchiste puis socialiste, particulièrement sensible au mouvement social.
L’art renforce parfois aussi le message, sur les affiches annonçant des manifestations
 

Banderoles

Les manifestants usent donc d’affiches, mais aussi de banderoles, ou de pancartes, pour faire connaître leurs revendications ou l’identité du collectif contestataire auquel ils appartiennent. Ils le font aussi oralement, par le biais des cris et slogans, qui sont parfois repris par la presse : « du travail ou du pain », « vive la grève », « vive Jaurès ! À bas la guerre » ou encore « à bas les décrets-lois ! Laval, démission ! », et entonnent parfois l’Internationale, la Carmagnole, ou la Marseillaise
 

Champagne

La Champagne est marquée par des manifestations de vignerons, au début du XXe siècle, notamment celle qui se déroule le 9 avril 1911 dans l’Aube, conséquence du décret du 17 décembre 1908, qui exclut le territoire de l’Aube de la délimitation champagne. Il faut attendre la loi du 22 juillet 1927, pour que ce département réintègre officiellement la zone d’appellation et que la délimitation de la Champagne viticole soit fixée.
 
 
 

9 avril 1911, manifestation de l'Aube, agence Rol

 

Décret-loi

Le décret-loi du 23 octobre 1935 « portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l’ordre public » fait suite aux événements des 6-7 février 1934. Une manifestation antiparlementaire avait fait des morts et plusieurs centaines de blessés et provoqué la chute du gouvernement Daladier. Ce décret-loi fait entrer le terme de « manifestation » dans le droit, en déterminant les conditions d’exercice de ce droit. Si son texte est abrogé en 2012, la plupart de ses dispositions sont reprises par le code de la sécurité publique.
Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique.

​(Extrait de l’article 1er du décret-loi du 23 octobre 1935)
 

Expulsions locatives

Georges Cochon, ouvrier tapissier, préside plusieurs organisations de locataires (Fédération des locataires, syndicat des locataires…). Ses interventions à l’encontre des expulsions locatives sont médiatisées. Il prend part à plusieurs manifestations sur le thème du logement, et fonde, en 1917, Le Raffût, organe du syndicat des locataires. La revue Regards lui consacre un article intitulé « Quelques tours de Cochon », en 1936.

 

27 juillet 1913, fort Lannes, Cochon haranguant la foule, Agence Rol

Fonctionnaires et salariés des services publics

Les parias de l’État en révolte… Malgré le mauvais temps et l’interdiction gouvernementale, plus de 10 000 fonctionnaires ont manifesté dans les rues de Paris », titre L’Humanité du 18 janvier 1926.

Le quotidien Le Matin n’annonce, lui, que « deux mille fonctionnaires et cheminots la plupart communistes », participant à cette manifestation du 17 janvier 1926.

Aux élections législatives du 11 mai 1924, la victoire du Cartel des gauches est porteuse d’espoir pour les fonctionnaires de l’État et salariés des services publics, dont les traitements n’ont pas suivi l’augmentation des prix. Or, en 1926, ils regrettent que leur situation ne connaisse pas d’amélioration et s’unissent pour descendre dans la rue manifester leur mécontentement. En dépit de l’interdiction opposée par le gouvernement, la manifestation a bien lieu.
Outre cette mobilisation de l’ensemble des fonctionnaires et salariés des services publics, se sont déroulées des manifestations de postiers, dans le cadre des grèves de 1909 notamment, ou de travailleurs municipaux parisiens, le 13 juillet 1921, motivés par des revendications de salaires.
En Angleterre, les policiers ont manifesté en civil en 1918.
Quant aux cheminots, 1909-1910 sont des années de fortes revendications, dans deux domaines : les salaires et les retraites. Si la loi Berteaux du 21 juillet 1909 a constitué un progrès, en instituant un régime de retraite unifié, les salaires peu élevés motivent grèves et manifestations. Lors de la mobilisation du 12 décembre 1909, ils réclament « 5 francs par jour », « cent sous », revendications que l’on retrouve l’année suivante lors de la « grève de la thune ». Il faut noter que les grèves de cheminots ne sont pas l’apanage de la France : il s’en produit également en Allemagne ou en Angleterre, telles que celle de 1924 qui conduit les banlieusards londoniens à se rendre au travail en patins à roulettes…

Guerre (Première guerre mondiale (1914-1918))

Après la guerre franco-allemande, chaque année, le souvenir de l’Alsace-Lorraine française est entretenu par le biais d’une manifestation.

La manifestation du 25 mai 1913 au Pré-Saint-Gervais, forte de 150 000 manifestants, correspond à la plus grande manifestation de masse en faveur de la paix avant 1914.

 
La guerre éclate néanmoins. À la déclaration de guerre, les Français descendent dans la rue.
C’est de nouveau le cas le 26 mai 1915 : lorsque l’Italie se rallie à la Triple-Entente, des manifestations franco-italiennes ont lieu.
En 1917, une manifestation honore la Roumanie. Ce royaume, qui a rejoint l’Entente en 1916, subit alors l’occupation des puissances centrales et est contraint de capituler, après avoir perdu le soutien de l’armée russe, à la suite de l'armistice entre la Russie bolchevique et les puissances centrales.
L’entrée en guerre américaine, le 6 avril 1917, est une nouvelle occasion de manifester, en l’honneur des États-Unis donc, cette fois.
La foule réinvestit la rue, enfin, à l’occasion de l’Armistice, et, en Allemagne, en opposition aux traités de paix.

Hugo, Victor

Le 22 mai 1885, Hugo meurt. Des funérailles nationales sont organisées, et constituent une manifestation d’une ampleur sans précédent. C‘est un cortège de plus de deux millions de personnes qui suit le corbillard jusqu'au Panthéon. Manifestation que décrit Maurice Barrès dans Les Déracinés (1897).
 

Innondés de 1910

Les inondés de la crue de 1910 ont manifesté l’année suivante contre les confiscations par le fisc.
 
 

Manifestation des inondés de 1910, Agence Rol.

 

Jaurès, Jean

Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès, fondateur de l’Humanité, est assassiné. Un cortège fourni se rend à ses obsèques, le 4 août. Le 29 mars 1919, Raoul Villain, l’assassin, est acquitté. Le verdict est suivi d’une manifestation en l’honneur de Jaurès, dont le déroulement est décrit dans le Figaro.
Au cours de sa vie, Jaurès a marqué, par sa présence et les discours prononcés, certaines manifestations. Le 25 mai 1913 au Pré-Saint-Gervais, il réunit 150 000 personnes pour protester contre la loi qui devait porter de deux à trois ans le service militaire obligatoire et qui sera adoptée le 7 août 1913.
 

Krach boursier

Le krach boursier de 1929 a été suivi aux États-Unis, en Angleterre, en France de marches de la faim.
 

La marche de la faim sur Washington, Acme Newspicture, 1932.

Si beaucoup de ces marches sont spontanées, certaines manifestations sont encadrées par le parti communiste, comme ce fut le cas le 6 mars 1930, journée de manifestations nationales aux États-Unis, organisée par le parti communiste, marquée par une forte mobilisation, mais aussi une violente répression.
 

Un groupe raccommodant ses chaussures avant la manifestation, Planet News, 1932.

En 1935, La Marche de la faim est le titre de l’organe périodique de l'Union des comités des chômeurs des Ardennes, qui relate certaines de ces manifestations.
 

Ligues

Au matin du 6 février 1934, le journal L’Action française appelle les ligues d'extrême droite à une manifestation, au cri de « À bas les voleurs ! », contre le gouvernement dirigé par Daladier et les parlementaires qui le soutiennent, dans un contexte de scandale financier : l'affaire Stavisky. Au nombre de ces ligues, les jeunesses patriotes - héritière de la ligue des patriotes fondée par Paul Déroulède, organisatrice de fréquentes manifestations -, la Solidarité française, les Croix-de-feu et L’Action française, ligue la plus ancienne, fondée notamment par Charles Maurras. Les associations d’anciens combattants (l’Union nationale des combattants ou encore l’Association républicaine des anciens combattants) se joignent au cortège, fort de plus de 30 000 personnes. La manifestation dégénère.
Les affrontements avec la garde mobile font plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés. Ces événements de février 1934 provoqueront la démission d’Édouard Daladier, remplacé par l’ancien président de la République Gaston Doumergue, feront l’objet d’une enquête par une commission parlementaire, dont le rapport est accessible sur Gallica, et seront à l’origine du décret-loi du 23 octobre 1935 « portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l’ordre public ».

L’autre conséquence de ces événements est la mobilisation de la gauche, qui appelle à manifester à son tour à partir du 9 février 1934, pour « briser la vague fasciste », contre-manifestation qui sera, elle aussi, sanglante.
 

Mur des fédérés

La statue de Strasbourg sur la place de la Concorde, Champigny-sur-Marne, lieu d’une bataille meurtrière lors de la guerre franco-allemande, où Paul Déroulède, fondateur de la ligue des patriotes prononcera chaque année un discours, ou encore les fêtes de Jeanne d’arc, deviendront des lieux de commémoration et de rassemblement des mouvements nationalistes, -avant que ne s’exprime, à Champigny, une volonté de rapprochement franco-allemand-. Le Mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise sera, lui, associé aux manifestations de la Gauche.
En mémoire des communards tombés en martyrs du gouvernement versaillais en mai 1871, chaque année, militants politiques de gauche, syndicalistes et francs-maçons manifestent au Mur des Fédérés. Au début du XXe siècle, socialistes et anciens communards s’y rendent séparément. Il faut attendre la crise de février 1934, face à la montée des ligues d’extrême-droite, pour que la gauche surmonte ses divisions et montre un front uni devant le Mur des Fédérés. C’est ainsi que le 24 mai 1936
Communistes, socialistes, radicaux, chrétiens, syndiqués de l’industrie, des services publics et des administrations, écrivains, artistes, intellectuels antifascistes, anciens combattants, officiers et sous-officiers républicains, sportifs, jeunes gens et jeunes filles, aux accents de cuivre, aux chants des chorales, ont fait aux héros de la Commune et des journées de février, l’offrande de leur victoire et leur volonté d’action ! 
L’Humanité, 25 mai 1935.
Le Front populaire a, en effet, entre-temps, remporté les élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936, la SFIO devenant le premier parti du pays, et Léon Blum premier président du Conseil des ministres socialiste.
 

Une consacrée à la manifestation au Mur des Fédérés du 24 mai 1936

 
Outre ces commémorations de la Commune de Paris, Gallica témoigne du déroulement de manifestations communistes ou socialistes, en France comme à l’étranger…
 

National-socialisme

La montée du nazisme en Allemagne (1920-1933) tire son origine de la défaite subie par le pays lors de la Grande guerre, de l’antisémitisme exacerbé et de l'émergence progressive d'Adolf Hitler, qui constituent trois facteurs de mobilisation.
La défaite de l'Allemagne de 1918 a profondément marqué le pays. Celui-ci est ruiné, et les Allemands ont du mal à accepter la situation. Ils manifestent dès 1920, contre la vie chère. La conférence de Paris (24-29 janvier 1921) qui fixe l’échelonnement du paiement des réparations de guerre est suivie de manifestations en Allemagne.
Dès l'après-guerre, l'antisémitisme se développe très fortement. Le 1er février 1933, en particulier, jour de boycott antisémite…
 Partout les mêmes scènes. Des miliciens racistes porteurs de placards aux inscriptions antijuives veillaient à ce que personne n’entrât dans les magasins israëlites tandis que des cortèges de propagande contre les « menées juives à l’étranger » circulaient dans les rues commerçantes.
L’Excelsior, 2 février 1933.
Quand à Hitler et au Parti national-socialiste ouvrier allemand (NSADP), parti nazi, dont il devient le leader en 1920, leur ascension est retracée par l’image par Gallica, au fil des manifestations nationalistes, défilés militaires, manifestations nazies, qui opposent nationalistes et communistes... Hitler devient chancelier le 4 janvier 1933, obtient rapidement les pleins pouvoirs et imposent le nazisme.
 
Sans parvenir à endiguer cette accession au pouvoir, socio-démocrates et communistes allemands tentent de mobiliser la population, mais il faut, au début des années 1920, deux assassinats d’hommes politiques par des groupes d’extrême droite, Matthias Erzberger et Walter Rathenau, pour obtenir effectivement que la population descende dans la rue, le 31 août 1921 et en juin 1922.
Hitler devenu chancelier, les manifestations se poursuivent, comme l’indique L’Humanité, au lendemain de la mobilisation du 7 février 1933 : « La lutte contre la dictature hitlérienne se renforce en Allemagne », mais, rapidement, liberté d’expression, droit de grève et de manifester sont suspendus.

Pour aller plus loin

- L’abécédaire Gallica de la manifestation se poursuit dans un second billet
- Toujours dans le cadre des « Rendez-vous du politique » 2019-2020, le billet « Mémoire du peuple français en insurrection » vous permettra de continuer cette exploration de l'histoire des mouvements sociaux.
- Sur le mouvement des « Gilets jaunes » qui sort du cadre temporel de Gallica, se reporter à la bibliographie sélective « Les « Gilets jaunes », un an après ».
 
 

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