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Abécédaire Gallica de la manifestation : Seconde partie. Opéra – Zola, Émile

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Dans le cadre des « Rendez-vous du politique » 2019-2020, consacrés à l’exercice de la citoyenneté, poursuivons notre exploration de l’histoire des mouvements sociaux, à travers la seconde partie de cet abécédaire Gallica de la manifestation.
 

Premier mai, gravure de Théophile Steinlen, 1894
 
Au terme du premier volet, nous nous quittions dans l’atmosphère pesante du IIIe Reich. Reprenons sur un ton plus léger, de prime abord tout au moins…
 

Opéra

L’opéra représente, aux yeux du peuple, en 1789, la classe privilégiée. Ce qui explique, qu’au lendemain du renvoi par Louis XVI de Jacques Necker, ministre dont la politique est appréciée du tiers état, le peuple fait fermer l’opéra.
L’opéra Lohengrin de Richard Wagner connut, en France, manifestations et annulations, conséquences de la guerre franco-prussienne, et des rapports tendus entre les deux pays. Avant même la guerre franco-allemande, les représentations du Tannhäuser à l’opéra de Paris furent chahutées, si bien que l’opéra ne fut joué que trois fois.

 

De la même manière, les représentations théâtrales peuvent faire l’objet de manifestations, comme ce fut le cas pour celles d’Hernani. Si la première de la pièce de Victor Hugo, le 25 février 1830, a constitué un triomphe, du fait de la présence de nombreux partisans de l’auteur, en dépit d’une campagne de dénigrement, les représentations suivantes furent très perturbées pour des motifs tenant tant à la politique qu’à l’esthétique théâtrale.
Concernant toujours le spectacle vivant, en 1916, des manifestants protestent contre la fermeture du Cabaret des Métèques, situé boulevard de Clichy, par décision du préfet de police. « Motif : un censeur qui avait assisté aux représentations jugea trop grivoises et déplacées des chansons » (Le Petit Parisien, 4 avril 1916).
 

Protection des animaux

Camille Crespin Du Gast, pilote automobile avant de s’investir dans le nautisme, vice-présidente de la Ligue française du droit des femmes, a également présidé la Société protectrice des animaux, et organisé, à ce titre, des manifestations retentissantes contre les corridas en 1930.
 

C. Crespin Du Gast avant son départ pour la corrida de Melun, 1930 (Agence Meurisse)

Quartier latin

Bien avant mai 1968, le quartier latin, où sont situés le bâtiment historique de la Sorbonne, le centre universitaire du Panthéon, le Collège de France,… ou encore, la Faculté de médecine de Paris, un quartier animé, est la scène de manifestations étudiantes, des « carabins », les étudiants en médecine, notamment.

La plus ancienne de ces manifestations date de fin 1892 et est une conséquence de la loi du 30 novembre 1892, qui supprime une catégorie de médecins sous-formés, les officiers de santé, et en crée une nouvelle : les chirurgiens-dentistes. Les années précédant la Grande guerre sont ponctuées de manifestations visant l’agrégation, à l’instar de celles de décembre 1908. Les manifestants critiquent les concours successifs auxquels doivent se présenter les étudiants en médecine, concours auxquels viennent de s’ajouter des épreuves d’admissibilité à l’agrégation. Le manque de prise en compte de la pratique, dans l’organisation des études, fait aussi partie des revendications. Dans d’autres cas, il s’agit de chahuts à l’encontre de professeurs, comme c’est le cas à plusieurs reprises envers le professeur d’anatomie Nicolas. Une autre manifestation, en 1920, s’inscrit dans le cadre de la propagande en faveur de l’emprunt en France. Certaines sont patriotiques (manifestations à la statue de Strasbourg, en souvenir de l’Alsace-Lorraine), nationalistes (celles d’Action française, dont celle du 2 janvier 1933 contre le décret Chéron supprimant pour un an tout recrutement de fonctionnaires).

 

Le Petit Parisien : supplément littéraire illustré, 4 décembre 1892

L’Humanité daté du 12 novembre 1944 mentionne deux autres manifestations qui confèrent aux étudiants une image plus héroïque que certaines de celles citées précédemment. En effet, la veille de la publication du quotidien, 15000 lycéens et étudiants ont commémoré la manifestation du 11 novembre 1940, cortège d’étudiants parisiens sévèrement réprimé par l’occupant allemand, qui ferme par la suite les facultés, pendant plusieurs mois.
Hors de l'Hexagone, Gallica contient les griefs des étudiants à l’origine des manifestations universitaires qui se sont produites à Alger en février 1911. Les étudiants reprochaient notamment au recteur de l’université de ne pas défendre leurs intérêts, en n’imposant pas à l’Institut Pasteur installé à Alger de les accueillir, et en ne pourvoyant pas les chaires les plus utiles.
 

République

Charles Péguy, dans les Cahiers de la quinzaine, décrit la manifestation qui a eu lieu lors de l’inauguration de la statue commandée par le Conseil municipal de Paris au sculpteur Jules Dalou pour la place de la Nation, « le Triomphe de la République », le 19 novembre 1899. Il partage l’avis du Petit Parisien, qui définit cette journée comme « une immense manifestation républicaine. » :
Vive la République. Ce n’était pas vive la République amorphe et officielle, mais vive la République vivante, vive la République triomphante, vive la République parfaite, vive la République sociale, vive cette République de Dalou qui montait clair et dorée dans le ciel bleu clair, éclairée du soleil descendant.
Cahiers de la quinzaine, 1er janvier 1900, p. 45.

La manifestation intervenait au moment de l’affaire Dreyfus, qui a ébranlé la République.
Plus de trente ans après, la République reste fragile, comme l’ont montré les événements des 6-7 février 1934 qui l’ont fait trembler, provoquant le sursaut républicain des contre-manifestations des 9 au 12 février 1934.

La manifestation du 19 novembre 1899 nourrissait le même objectif que celle appelée de ses vœux par le Gouvernement provisoire, le 20 avril 1848 : « Que tous les citoyens se rallient autour des bannières républicaines ; que les pénibles souvenirs du passé disparaissent dans cette solennité, où la garde nationale, l’armée, tout le peuple en un mot, doivent se donner la main et s’unir dans une étreinte fraternelle. » Le Constitutionnel, 21 avril 1848. En dépit de l’importance du cortège, la République sera bien éphémère…
 

 
Parmi les pays voisins, certains connaissent également des manifestations de soutien à la République menacée. Nous l’avons déjà vu en Allemagne, où en dépit de mobilisations successives, le 31 août 1921, en juin 1922, ou le 7 février 1933, l’ascension d’Hitler et du nazisme sera irrésistible.

 

 
En Espagne, il en est de même. La manifestation en faveur du gouvernement de la République de 1932 n’empêchera pas la guerre civile qui déchirera le pays quatre ans plus tard et l’arrivée au pouvoir de Franco.
 

Suffragistes et suffragettes / Séverine

La Grande-Bretagne a connu, en 1926, une manifestation féminine contre la vie chère, qui n’est pas sans rappeler la marche des femmes sur Versailles, le 5 octobre 1789. Si cette dernière constitue la première mobilisation féminine, elle n’est pas motivée par la revendication des droits des femmes, mais par la famine…
Les premières femmes à obtenir le droit de vote sont les Néo-zélandaises en 1893, et les Australiennes, en 1902. Au Royaume-Uni, les suffragistes menées par Millicent Garret sont légalistes, tandis que les suffragettes, mouvement fondé par Emmeline Pankhusrt et ses filles, prônent un activisme violent (manifestations interdites, prises de parole intempestives, interruptions de réunions publiques…). La manifestation organisée par les secondes, le 21 juin 1908 à Hyde Park est une démonstration de force. Les Anglaises devront néanmoins attendre 1918 et la reconnaissance de leur rôle durant la guerre, pour pouvoir se rendre aux urnes.
Aux États-Unis, si la Constitution garantit le droit de vote aux femmes depuis le 26 août 1920, les manifestations en faveur de l’égalité des droits se poursuivent, cette date passée, comme en atteste cette photographie représentant l’aviatrice Amelia Earhart au milieu de manifestantes, en 1932.
 

Christabel Pankhurst, suffragette anglaise, en 1912 (Agence Meurisse) ; Amelia Earhart entourée de manifestantes pour des droits des femmes, 1932 (Acmé)
 
En France, au début du XXe siècle, l’Union française pour le suffrage des femmes et la Ligue française pour le droit des femmes dirigée par l’avocate Maria Vérone organisent conférences et meetings féministes. Du 26 avril au 3 mai 1914, période d’élections législatives, le quotidien Le Journal instaure le « vote blanc », référendum sur le suffrage féminin, qui recueille « 505 972 OUI contre 114 NON ».

En 1790, Condorcet se prononçait en faveur du vote des femmes. C’est donc en son honneur que les suffragettes manifestent le 5 juillet 1914, dans les rues de Paris, à l’appel de Séverine, journaliste libertaire, féministe et pacifiste, qui signait déjà l’appel au « vote blanc ».
Les manifestations continuent dans les années 1920. A la mort de Séverine, en 1929, l’une d’elles se déroule en son honneur. Une autre journaliste, prend le relais, dans ce combat pour l’obtention du suffrage féminin, organisant des manifestations et allant même jusqu’à se présenter illégalement aux élections municipales à Paris en 1935 et 1936 : Louise Weiss.

 
Le droit de vote n’est accordé aux Françaises que par l’ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération, signée par Charles de Gaulle.
 

Travail (Fête du travail)

Le congrès international socialiste réuni à Paris du 14 au 21 juillet 1889 décidait l’organisation d’ « une grande manifestation internationale à date fixe, de manière que, dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail ». L’American Federation of Labour, ayant décidé d’une semblable manifestation pour le 1er mai 1890, cette date fut adoptée pour la manifestation internationale.
 
1er mai, par Grandjouan, dans L’Assiette au beurre, 1906
 
Le 1er mai était déjà la date anniversaire des manifestations du 1er mai 1886, qui s’étaient déroulées à New York et Chicago principalement, « dans le but d’obtenir la fixation de la journée de travail à huit heures », manifestations qui avaient donné lieu, les jours suivants, à des affrontements meurtriers entre manifestants et forces de l’ordre, et qu’il s’agissait aussi de commémorer.
 
La Défense des travailleurs : organe socialiste de Saint-Quentin et de l'Aisne est dithyrambique dans sa description de la « fête ouvrière du 1er mai » 1890, « véritable triomphe pour la classe ouvrière », partout « grandiose et pacifique ». Le cri de ralliement était :
Huit heures de travail, / Huit heures de loisir, / Huit heures de sommeil.
Dès lors, le pli est pris. Chaque année, Paris et la province voient défiler des manifestants aux revendications sociales, le 1er mai, qui devient fête ouvrière, fête des travailleurs, Journée internationale des travailleurs ou fête du travail. La fête tourne parfois au drame. Dès 1891, à Fourmies, dans le Nord, la troupe tire sur les ouvriers, faisant plusieurs victimes. Les cortèges du 1er mai sont parfois interdits, pour éviter tout débordement.
La journée de huit heures est adoptée par la loi du 23 avril 1919, et fait même l’objet de l’article 247 du traité de Versailles, qui fixe « l'adoption de la journée de huit heures ou de la semaine de quarante-huit heures comme but à atteindre partout où elle n'a pas encore été obtenue ». Les manifestations du 1er mai se poursuivent malgré cela, porteuses de revendications variées et parfois de troubles à l’ordre public... L’Humanité du 30 avril 1920 titre « Premier mai de combat ! ».
Acte de reconnaissance officielle, la loi du 30 avril 1947 instaure un jour férié et chômé, le 1er mai.

Notons, enfin, que la « fête nationale de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme », créée par une loi du 10 juillet 1920, se déroule « le deuxième dimanche de mai, jour anniversaire de la délivrance d’Orléans [8 mai 1429] ». Elle a, de manière bien compréhensible, une antériorité plus importante à Orléans. Certains mouvements d’extrême droite firent de cette fête patriotique leur point de ralliement.

Universelles… ?

Les scènes de manifestations que Gallica nous donne à voir ne se déroulent pas toutes dans le ressort de l’Hexagone. Beaucoup sont européennes, qu’elles aient eu lieu en Europe du Nord, comme en Irlande encore sous la couronne anglaise, ou aux Pays-Bas ou au Danemark, marqués par des manifestations communistes en 1932, en Europe centrale, à Prague par exemple, ou dans le Sud de l’Europe, de l’Espagnecontre le statut d’autonomie de la Catalogne en 1932 - à Athènes, en faveur de la République fin 1923. L’une de ces scènes, représentant une manifestation festive révolutionnaire, a lieu en Russie, en 1920.

  D’autres ont lieu au Proche-Orient, dans le cadre des guerres balkaniques (1912-1913) ou du mouvement d’indépendance en Syrie, en 1920. L’Asie est assez bien représentée, plusieurs mobilisations se déroulant au Japon - notamment cette manifestation de danseuses japonaises, en 1933, contre une nouvelle taxe qui leur est imposée -, en Chine ou en Inde, où une manifestation importante a lieu en mars 1930 : la « marche du sel » conduite par Gandhi.


1er mai à Tokyo, 1931 (Agence Meurisse)

En Amérique du Nord, outre les mouvements sociaux aux États-Unis, ce sont les taxis qui déplorent, à Mexico, la concurrence des autobus et autocars, en 1932. L’Amérique du Sud, l’Océanie et l’Afrique sont les continents les moins représentés dans l’iconographie des manifestations présentes dans la bibliothèque numérique. On remarque, en ce qui concerne l’Afrique, que les mouvements anti-impérialistes sont plutôt définis comme révoltes, soulèvements, lutte, guerre. Lorsque l’on trouve dans la presse mention de manifestations sur le territoire des colonies, il s’agit de mouvements de contestation menés par les colons comme c’est le cas à Rabat en 1934, et probablement aussi des manifestations universitaires à Alger en 1911.

Même en Europe, certains régimes politiques découragent, par le traitement brutal qu’ils leur réservent, les manifestants. C’est bien sûr le cas de l’Allemagne nazie et de l’Espagne franquiste. Ça l’est aussi dans la France occupée, où les manifestations ne sont pas davantage tolérées. Le 11 novembre 1940, une manifestation d’étudiants parisiens est sévèrement réprimée par l’occupant, qui ferme les facultés, pendant plusieurs mois. Quatre ans plus tard, le 11 novembre 1944, un hommage peut enfin être rendu aux martyrs de 1940.
 

Violence

La violence peut être le fait des manifestants eux-mêmes. C’est ainsi qu’en août 1922, les manifestations des métallurgistes font de nombreux dégâts au Havre. Idem, à Paris, le lendemain de l’exécution, le 23 août 1927, aux États-Unis, des anarchistes Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, de violentes émeutes causent des dégâts matériels et des blessés au sein de la police. En 1915, c’est le torpillage du paquebot britannique Lusitania par les forces allemandes qui provoque des manifestations violentes contre les populations d’origine germanique.
 
Le Havre, dégâts dus aux manifestations lors des grèves des métallurgistes, 1922 (Agence Rol)
La violence peut être engendrée par les forces de l’ordre. Nous avons déjà mentionné le 1er mai 1891 endeuillé, du fait du drame de Fourmies, où la troupe a tiré sur les ouvriers. Des leçons ont été tirées de manifestations sanglantes. La reconnaissance progressive du droit à manifester nécessitait la mise en place d’un maintien de l’ordre moins répressif, confié, non plus à l’armée, mais à la police. Le 1er mai 1910, c’est la Garde républicaine à cheval qui assure le maintien de l’ordre, à Paris. En revanche, pour faire face aux manifestations qui perturbent l’agrégation, les policiers veillent aux abords de l’école de médecine, le 25 mai suivant. Leur seule présence au sein de l’université est vécue comme une agression par les étudiants. L’année précédente, les policiers avaient chargé les manifestants. Gallica fournit plusieurs exemples de charges policières. Les manifestations donnent, en outre, parfois lieu à des arrestations.
 

1er mai 1907 arrestation d'un enfant, et Londres, arrestation de suffragette, 1914 (Agence Rol)
 
La violence constitue parfois le motif de la manifestation. Dès 1795, le départ en déportation d’anciens députés provoque des émeutes. Des manifestations de protestation contre la mort infligée, l’exécution du pédagogue Francisco Ferrer en Espagne en 1909, celle des anarchistes, Sacco et Vanzetti aux États-Unis en 1927, ou contre des assassinats – celui du président Sadi Carnot en 1894 - ou tentatives d’assassinat, à l’instar de celle qui vise Léon Blum en 1936, sont fortement mobilisatrices.

 

 

L'Humanité, 17 février 1936

 

Wolinski, Georges

Un précédent billet de ce blog annonçait « Plus de mille dessins de Georges Wolinski (1934-2015) dans Gallica ». Parmi les sujets traités par Wolinski, figurent les manifestations
 

« Merci, chers manifestants », dessin de presse de Georges Wolinski (1934-2015)
 

Xénophobie

Les populations d’origine étrangère sont parfois l’objet d’hostilité lors de manifestations en France.
C’est le cas, par exemple, à la fin du XIXe siècle, dans le Nord de la France, où les travailleurs belges représentent un fort pourcentage des mineurs employés. Le Grand écho du Nord de la France, daté du 12 septembre 1892, relate les revendications proclamées lors d’une réunion de « 600 personnes environ », chez un débitant, et notamment le renvoi des porions, c’est-à-dire des contremaîtres, belges. Plus tardivement, en 1935, concernant la manifestation des étudiants en médecine qui s’est déroulée à Paris le 1er février 1935, l’Action française titre « Les étudiants contre l’invasion des métèques ».
 

Youth (terme anglais. Jeunesse)

Cette photographie représentant une « manifestation enfantine à Londres contre la guerre aérienne et les gaz » a été prise en 1932, année où débute à Genève, la Conférence pour le désarmement, et où l’opinion publique est favorable au pacifisme. Rappelons que Londres, en tant que principale région productrice d’armements du Royaume-Uni, fut une cible privilégiée de la guerre aérienne menée par les Allemands, au cours de la Première guerre mondiale. Était-ce pour tenter d’influer sur les débats que ces enfants manifestèrent ?...
 

Manifestation enfantine à Londres contre la guerre aérienne et les gaz, 1932 (Planet)
 
En France, des enfants sont présents au cours de certaines manifestations de rue. L’un d’eux est même appréhendé par un agent de police, le 1er mai 1907… On en voit lors d’une manifestation de la ligue des patriotes de 1911, ou de mobilisations de la ligue des familles nombreuses. Attardons-nous un peu sur cette dernière…
À l’aube du XXe siècle, un nouveau modèle familial s’impose, et les grandes familles n’ont pas bonne presse. Un mouvement nataliste et familial émerge avec la création en 1896 de L’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française.
En 1908, Simon Maire, un capitaine d’artillerie à la retraite, père de huit enfants, crée la Ligue populaire des pères et mères de familles nombreuses. Il œuvre avec énergie en faveur du développement d’une politique familiale, en donnant de nombreuses conférences.
En 1911, il prépare une manifestation qui est interdite par le préfet de Police, Lépine. Faisant fi de l’interdit, la manifestation a lieu le 9 avril 1911. Le capitaine Maire est interpellé, mais gagne l’attention de la presse sur la cause des familles nombreuses. Il signe un article du quotidien Le Matin du 24 avril. Une nouvelle manifestation de la Ligue des familles nombreuses a lieu l’année suivante.

Zola, Emile

Les manifestations sont des événements romanesques. L’action de L’île des pingouins (1908) d’Anatole France, par exemple, se déroule sur fond de manifestations boulangistes. Les Cloches de Bâle de Louis Aragon, Le vin blanc de la Villette (1911) de Jules Romain, ou Les Thibault (1936) de Roger Martin du Gard, romans non encore accessibles sur Gallica, comportent également des scènes de manifestation. C’est cependant Zola, qui porte le roman social à son expression la plus aboutie…
La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quelques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'horizon. La route, devenue torrent roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s'épuiser [...]. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée.

Le Cri du Peuple publie Germinal d’Émile Zola, affiche, 1885
Après avoir dépeint ces trois mille manifestants républicains déferlant sur la route de Nice, au lendemain du coup d’Etat du 2 décembre 1851, par lequel Louis-Napoléon Bonaparte instaurait le Second Empire, Zola décrira, dans Germinal (1885), une « marche de la faim » des mineurs : « Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue [...]. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc [...]. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. [...] Quels visages atroces !" balbutia Madame Hennebeau. [...] Un grand cri s'éleva, domina la Marseillaise : Du pain ! du pain ! du pain ! » Germinal, 1885.
 

Pour aller plus loin

- Le premier volet de cet abécédaire Gallica de la manifestation s’étendait de l’art au national-socialisme...
- Toujours dans le cadre des « Rendez-vous du politique » 2019-2020, poursuivez cette exploration de l’histoire des mouvements sociaux avec le billet « Mémoire du peuple français en insurrection ».
- Sélection bibliographique :
 Fillieule, Olivier. Stratégies de la rue. Paris, Presses de Sciences Po, 1997.
 Fillieule, Olivier, Tartakowsky, Danielle. La manifestation. [2e] éd. revue et augmentée par Olivier Fillieule. [Paris], Sciences po, les presses, DL 2013.
 Pigenet, Michel, Tartakowsky, Danielle (dir.). Histoire des mouvements sociaux en France : de 1814 à nos jours. [Nouvelle éd.]. Paris, la Découverte, impr. 2014.
 Tartakowsky, Danielle. « L’imaginaire des manifestations chez quelques écrivains du XXe siècle ». Béroud, Sophie, Régin, Tania (dir.). Le roman social : littérature, histoire et mouvement ouvrier. Paris, les Éd. de l'Atelier, 2002.
 Tartakowsky, Danielle. Les manifestations de rue en France : 1918-1968. Paris, Publications de la Sorbonne, collection Histoire de la France au XIXe et XXe siècle, 1997.
- Sur le mouvement des « Gilets jaunes » qui sort du cadre temporel de Gallica, se reporter à la bibliographie sélective « Les « Gilets jaunes », un an après ».
 
 
 

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