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Le cas énigmatique de Marguerite Haverman

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Un an à peine après son admission, Marguerite Haverman se voit brusquement évincée de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Son refus de présenter un deuxième tableau dérive vers une suspicion de fraude qui sert la méfiance des académiciens envers la gent féminine. Cette remarquable peintre disparaît du monde artistique sans que le mystère qui entoure cette affaire soit totalement élucidé.
 

Flower still life on a stone slab with butterfly and other insects [Nature morte de fleurs sur une dalle de
pierre avec papillon et autres insectes]
.Marguerite Haverman (Statens museum for kunst, Copenhague) (Wikimedia) détail

 

De l’exclusion de Marguerite Haverman, neuvième académicienne

Le 31 janvier 1722, à 29 ans, l’épouse de l’architecte Jacques de Mondoteguy, Marguerite (Margareta, Margaretha ou Margarita) Haverman (Havermann ou Havermans) née à Breda en Hollande, est reçue à l’Académie sur présentation d’un tableau de fleurs dans le genre de Van Huysum ». D’après les Procès-verbaux de l'Académie Royale de peinture et de sculpture restitués au 19e siècle par Anatole de Montaiglon, la réception pour l’admission de Mlle Haverman se montre sous de bons augures ; elle s’engage à donner un second tableau à l’Académie :
 


Réception de Mlle Havermann, Procès-verbaux de l'Académie Royale de peinture et de sculpture, T.4 : 1705-1725, 1881

 

Cependant, dans ses Mémoires pour servir à l’Académie, Van Hultz, membre honoraire amateur de l’Institution, exprime un propos bien différent dans lequel Marguerite Haverman se voit accusée de fraude : ce ne serait pas elle qui aurait peint « le tableau d’admission » mais son maître, le vénérable Van Huysum, Marguerite Haverman ne savait rien moins que tenir un pinceau.

L’Académie décide d’exclure Marguerite Haverman. Cette réaction est d’autant plus inexplicable que des œuvres signées de sa main apparaissent dès 1716. L’élève semble déjà en pleine possession de ses moyens et n’a donc aucune raison de présenter l’une des œuvres de son maître. Il n’est donc pas impossible que les académiciens aient tout simplement refusé de croire au talent de Marguerite Haverman et ne l’ait expulsée à tort :

Du refus de Marguerite Haverman de présenter un tableau de réception ?

Ainsi, en partant du principe que l’attribution du tableau d’admission lui revient sans conteste, pourquoi l’artiste en refusant de présenter un second tableau pour sa réception définitive, prend-elle le risque d’enfreindre le règlement de l’Académie ?
 

Georges Lafenestre, Maîtres anciens, études d'histoire et d'art, Paris, 1882

 
Il n’est pas inutile de rappeler ici que dans les conditions préalables à l’admission définitive, le candidat doit se former dans l’atelier d’un maître académicien. En ce cas, la jeune artiste redoute-t-elle d’être dans l’obligation de livrer les secrets d’une technique jalousement gardés ? Par ailleurs, malgré le sillage glorieux laissé par une Chéron ou une Rosalba, trouver sa place au sein de l’Institution n’a pas toujours semblé couler de source. Les démissions antérieures de quelques-unes de ces consœurs témoigne en ce sens : il ne suffit pas de mettre sur le compte d’une vocation tardive le départ précipité pour un couvent de deux précédentes académiciennes, Madeleine Boulogne et Anne-Renée Strésor pour justifier cette impression de malaise au sein de l’Académie, de même le renoncement à son art de Catherine Duchemin, la première académicienne, au profit de son mari ne peut que confirmer la difficulté pour une femme d’y prendre place.

À ce jour, aucune source ne permet d’élucider les raisons qui ont conduit Marguerite Haverman à refuser de se plier aux règles du contrat académique et la question reste ouverte. Il est à noter cependant qu’en 1790, un article du code de l’Académie montre que le « Morceau de réception » ne sera plus obligatoire pour les femmes.

Marguerite Haverman : l’unique élève de Van Huysum ?

Jan Van Huysum (1682-1749), passé maître dans l’art de la nature morte, fait l’admiration de tous pour son incomparable virtuosité à rendre l’éclat et la couleur des fleurs. Aussi, fort Jaloux de sa technique, le peintre garde close la porte de son atelier, même à ses frères. Or, il semble que Marguerite Haverman soit parvenue à se faire accepter comme élève. Là réside encore un autre mystère : on peut en effet légitimement se demander pourquoi Van Huysum autorise la présence d’une femme dans un espace farouchement préservé des regards extérieurs ? Estime-t-il qu’aucune rivalité ne soit à craindre venant d’elle ? Autrement dit qu’une femme artiste ne peut représenter une sérieuse concurrence ?
 


Vase de Fleurs : (estampe, 1er état, épreuve avant la lettre), Jan Van. Huysum fecit. 1722 ; Richard Earlom graveur, 1778
Vase de Fleurs : (estampe, 1er état, épreuve avant la lettre), Jan Van. Huysum fecit. 1722 ; Richard Earlom graveur, 1781
 

Tel n’est pas l’avis de la romancière Louise Colet qui, dans Les cœurs brisés, récit de la vie romancée du maître Jan van Huysum, nous montre comment la jeune Marguerite Havevann [sic], séduite puis délaissée par le peintre, parvient à lui dérober ses secrets et à acquérir un talent égal sinon supérieur au sien. Ce roman a le mérite de rendre à Marguerite Haverman sa faculté à tenir un pinceau et d’en user avec une grande virtuosité.
 

L’art de Margarita Haverman : l’orgueil de la Hollande

« Que l’Italie s’enorgueillisse de sa Rosalba Carriera, la Hollande de Marguerite Haverman, l’Allemagne d’Angelica Kauffmann, cela est de toute justice ; mais à ces noms illustres nous pouvons en opposer d’autres qui les valent amplement… ». Voilà ce que révèle le discours pour la distribution des prix aux élèves de l’Ecole nationale de dessin. Dans cette liste qui met en balance le talent des artistes françaises et celui des artistes étrangères apparaît en première ligne le nom de Marguerite Haverman comme figure représentative de l’art hollandais. « Au XVIIe siècle, en Flandres et aux Pays Bas, la nature morte est un genre beaucoup plus estimé et répandu qu’en France ; les artistes avaient pour habitude de signer et de dater leurs œuvres ; aussi le nombre de femmes artistes qui pratiquent ce genre dans ces pays peut paraître plus élevé qu’ailleurs ». Considérée comme l’égale de Van Huysum, des œuvres de l’artiste, collectées par plusieurs collectionneurs comme MM Louis et Edouard Fould, François Ignace de Dufresne ou le Marquis de Larochebousseau, circulent au 19e siècle dans des catalogues de vente.

Aujourd'hui, on ne connaît que deux peintures florales signées d'elle, Un vase de fleurs (1716) se trouve au Metropolitan Museum of Art et l'autre au Statens Museum for Kunst. Avec l’étude de ce tableau, Gerrit Albertson et Annette de la Renta, chercheurs au Département de la conservation des peintures du Metropolitan museum of art réhabilitent définitivement la peintre en « apportant la preuve par l’analyse d’un vase de fleurs attribué avec certitude à Marguerite Haverman de la valeur de la carrière de cette peintre surdouée » : Honoring a legacy : the conservation of Margareta Haverman’s Avase of flowers [Honorer un héritage: la conservation du vase de fleurs de Margareta Haverman].
 


Vase de fleurs. Marguerite Haverman (Metropolitan museum of art, New York) (Wikimedia)

 
La neuvième académicienne est précédée dans le genre par trois de ses consœurs Catherine Duchemin, Geneviève et Madeleine Boulogne ainsi que Catherine Perrot sans compter la talentueuse Louise Moillon, qui exerce son art hors de l’Académie.
Alors que Rosalba Carriera vient de regagner Venise, Marguerite Haverman, malgré ses mérites, est évincée de l’Académie et sa « mésaventure n’était pas faite pour encourager les membres de l’Académie à recevoir d’autres femmes. Pendant trente-cinq ans, on ne compte aucune académicienne ». L’Académie en cessant de pratiquer son hospitalité galante redevient un bastion masculin jusqu’en 1757. Marguerite Haverman disparaît de la scène artistique.
Marie-Thérèse Reboul, dixième académicienne élue en 1757, sera le sujet de notre prochain billet de la série Les femmes artistes à l’Académie.

Voir aussi :

« Margareta Haverman ». Dans Femmes peintres, 1550-1950 / Ann Sutherland Harris, Linda Nochlin. Paris : Des femmes, 1976. p. 32-35
« Honorer un héritage: la conservation du vase de fleurs de Margareta Haverman » sur le site du Metropolitan museum of art.

Vous pouvez aussi consulter les cinq premiers billets de cette série sur les Femmes artistes à l’Académie.

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