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La communauté des maîtres jardiniers de Paris

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4 novembre 2019

La communauté ou corporation des « maîtres jardiniers de la ville, fauxbourgs et banlieue de Paris » regroupait les « jardiniers, maraîchers et préoliers » qui fournissaient les Halles de Paris en légumes, fruits et « herbages ». Ils cultivaient d’anciens marais (d’où le terme « maraîchers ») situés dans les faubourgs et la banlieue de Paris. À quelques jours du colloque « Droit(s) et jardin », penchons-nous sur cette communauté.

Le jardinier, Jacques Callot, 1628

Ancienneté de la communauté

Le Livre des métiers du prévôt de Paris Etienne Boileau, qui y recueillit au XIIIe siècle les statuts des communautés de métiers de Paris, ne mentionne pas de communauté de jardiniers. Une indication sur la profession est donnée par le rôle de la taille de 1292, qui indique pour chaque artisan le métier qu’il exerce et le montant versé. Ce document ne mentionne que cinq courtilliers (nom que portaient alors les jardiniers, de « courtil », enclos cultivé clos de haies ou de murs) à Paris et alentours, dont la contribution à la taille est de deux à huit sous. Ce faible nombre et leurs moyens modestes ne permettaient probablement pas la création d’une corporation.
 

Albucasis. Observations sur la nature...

En 1467, Louis XI promulgue l’ordonnance dite « des bannières », qui regroupe les métiers de Paris en 61 compagnies armées qui doivent participer à la défense de la ville. La cinquante et unième bannière est celle des mareschers et jardiniers, ce qui témoigne du développement de ce métier depuis 1292. Il faut attendre 1473 pour trouver un texte juridique qui se réfère à la communauté des jardiniers. Il s’agit d’une ordonnance de police du 8 février, qui concerne principalement le commerce de piquets de bois ou de brins d’osier utilisés pour soutenir la vigne et fabriquer des treilles. Cette ordonnance mentionne « les jurés de ladite marchandise », ce qui indique que la communauté existait à l’époque. Le Dictionnaire universel du commerce de Jacques Savary Des Bruslons note qu’il y est parlé des maîtres jurez jardiniers comme d’un corps déjà établi et d’une assez grande antiquité.  Le texte de l’ordonnance sera placé en tête des éditions des statuts en 1697 et 1765, ce qui tend à indiquer qu’il faisait office de statuts. 
 

Des statuts publiés tardivement

Les statuts de 1473 sont publiés à son de trompe et cri public en 1545 puis confirmés par Henri III en 1576 et enregistrés au parlement la même année. Mais c’est en 1599 que des statuts plus complets sont mis par écrit puis approuvés par le roi Henri IV. Constatant que d’« aucuns particuliers tâchent à les troubler et entreprendre sur leur métier [et] commettent plusieurs abus et tromperies qui ne sont pas à tolérer », les maîtres jardiniers adressent une supplique au roi afin qu’il confirme leurs statuts par lesquels ils ont été gouvernés «de toute ancienneté».

Parmi les signataires figure un certain Pierre le Nostre, « probablement l’ancêtre du célèbre dessinateur de jardins » selon René de Lespinasse (Les métiers et corporations de la ville de Paris, 1886-1897). Les statuts sont publiés à son de trompe et cri public le 31 mai 1600 « en la place des Halles, au milieu du marché aux Poirées, sur le Quai de la Mégisserie et Vallée de Miserre […] ». La communauté fait imprimer ses statuts  en 1697 dans un recueil qui comprend aussi les lettres patentes et toutes les ordonnances relatives au métier. Une deuxième édition  est publiée en 1765 par les quatre maîtres jurés en charge de la communauté.

 

Paris, Jean Sauvé, 1666-1690 

 

Devenir maître jardinier

La communauté est structurée en maîtres, compagnons et apprentis. Elle comporte quatre jurés élus parmi les maîtres. Les jurés doivent veiller à l’observation des règlements et aux intérêts de la communauté et inspecter régulièrement les jardins maraîchers.

Avant de présenter un chef d’œuvre pour accéder à la maîtrise, il faut avoir passé quatre ans comme apprenti puis avoir servi encore deux ans comme compagnon. Les enfants de maîtres sont reçus à la maîtrise sans avoir fait de chef d’œuvre ni de compagnonnage. Quant aux veuves des maîtres, elles jouissent des privilèges de leur défunt mari  « tant qu’elles se contiennent en viduité » ; les apprentis peuvent terminer leur apprentissage sous leur direction « pourvu qu’elles se mêlent du métier ». Par contre elles ne peuvent pas prendre de nouvel apprenti et doivent déléguer le commerce des marchandises à des compagnons.

 

Le jardinier émondant un arbuste, Jacques Callot, 1629-1630

 

Privilèges

Nul, s’il n’est jardinier, ne peut apporter à Paris pour les vendre « aucun concombres, melons, artichauts, herbages et autres choses dépendant du métier de jardinage » (art. 12). Seuls les bourgeois propriétaires de jardins font exception à cette règle, le mercredi et le samedi uniquement. Leurs denrées devront cependant être « visitées » par les jurés de la communauté. Si les légumes sont jugés impropres à la vente, le bourgeois s’expose à  la confiscation de sa marchandise et doit verser une amende de vingt sols, pour moitié au roi et pour moitié aux jurés. Par ailleurs les revendeurs et revenderesses ne peuvent acheter « aucune chose dépendant de l’état de jardinage ailleurs qu’en ladite Halle » afin que les jurés en aient connaissance (art. 13). Les visites des jurés seront sujettes à contestation, notamment de la part des habitants du village du Roulle, qui considèrent qu’ils sont hors de leur juridiction ; ils seront déboutés en 1618 et en 1619 et devront « souffrir d’être visités quatre fois l’année », les maîtres jardiniers ne prenant pour chaque visite que dix sols tournois (p. 27-28 des statuts édités en 1765).

 
  

Traité des arbres fruitiers. T. 1, Henri-Louis Duhamel Du Monceau 

 

Le blason et les jetons de la corporation

La corporation a son blason :
de sable, à trois lis de jardin d’argent, tigés et feuillés de sinople posés deux en chef et un en pointe, et un chef d’azur chargé d’un soleil d’or.
Il est représenté dans Les métiers et corporations de la ville de Paris. Cet ouvrage reproduit également un jeton de la corporation qui représente une main armée d’une hache entourée de la devise « Manus fortis divitias parat » (la main vigoureuse prépare les richesses). Un autre jeton attribué aux jardiniers est recensé dans la Collection de plombs historiés trouvés dans la Seine et recueillis par Arthur Forgeais ; il représente d’un côté deux bêches et de l’autre ce qui ressemble à deux fruits.
 

La confrérie de Saint Fiacre

Selon l'historien David Garrioch, « au XVIIe siècle, les communautés de métier et leurs confréries sont en général inséparables. Elles ont souvent une administration commune, les élections ont lieu le jour de la fête du saint patron, et les fonds de la corporation paient les frais des offices religieux. Les funérailles et la célébration des fêtes religieuses font partie de la vie communautaire et de l’identité corporative » (Garrioch David, « Confréries de métier et corporations à Paris (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2018/1 (n° 65-1), p. 95-117.). Les statuts de 1599 indiquent que les maîtres jardiniers doivent s'acquitter d'un droit de confrérie et de 32 sols 6 deniers pour le « service divin ». Les membres des corporations étaient très attachés à leur confrérie ; David Garrioch rapporte que malgré leur relative pauvreté, en 1716 les maîtres jardiniers versent 550 livres pour rénover leur chapelle dans l'église Saint-Sulpice. Le calendrier de toutes les confréries de Paris établi par Jean-Baptiste Masson en 1621 mentionne six confréries de jardiniers, dont une à Saint-Nicolas des Champs où les jardiniers fêtent Saint Jacques et saint Christophe le 25 juillet. Toutes les autres confréries, à Saint-Sulpice, Saint-Roch, Saint-Martin-des-Champs, Saint-Yves et au Mont-Sainte-Geneviève où se trouve « une autre bande de jardiniers » fêtent Saint Fiacre le 30 août.


Saint Fiacre, patron des jardiniers, 1842

Saint Fiacre était un saint très populaire au Moyen-Âge. Moine originaire d’Irlande, il s’installe en ermite près de Meaux et reçoit de nombreux pauvres et pèlerins. La légende raconte que pour nourrir ses hôtes, le saint demande un plus grand terrain à l’évêque de Meaux. Celui-ci lui accorde la surface qu’il pourra entourer d’un fossé en une seule journée. Saint Fiacre traîne alors simplement son bâton derrière lui ; les arbres se déracinent et le fossé se creuse tout seul. Le saint est généralement représenté avec une bêche à la main.

Boues et fiens de pourceaux

Les statuts de la communauté interdisent de « fumer aucune terre d’immondices ni de fiens de pourceaux » (art. 14) afin d’éviter de transmettre des maladies contagieuses aux cultures. Ceci sous peine de voir la marchandise renversée et d’une amende de deux écus. Il était cependant admis d’utiliser les boues de Paris à condition qu’elles ne soient pas trop fraîches. Ces boues étaient les ordures ménagères que la ville stockait  dans des enclos ou voieries. Ces règles sont rappelées dans la déclaration de 1697 dans laquelle Louis XIV renouvelle les statuts de la communauté  : le roi demande aux jurés qu’ils « tiennent la main à ce que les arrest et reglements de police qui contiennent la prohibition de fumer de boues de Paris fraiches et de matières fecalles les jardins et terres sur lesquelles on fait venir des légumes soient observés » ; il les charge de visiter à cet effet deux fois l’année toutes les terres en marais et en jardinage.
 

Le cochon, Rembrandt, 1643 

Sous Louis XVI, le nettoiement de la généralité de Paris est adjugé à des entreprises privées qui entourent les voieries de barrières et exigent un droit d’enlèvement des boues de 15 sous pour chaque cheval. On trouve trace des protestations des jardiniers contre cette taxe dans les cahiers de doléances de 1789 édités par l’historien Charles-Louis Chassin. Deux mémoires dans lesquels les habitants de la banlieue réclament un retour à la gratuité de l’accès aux boues à l’intendant de Paris y sont insérés sous le titre « L’affaire des boues ».
 

L'abolition des jurandes

Avant même l’intervention du décret du 14 juin 1791, dit « loi Le Chapelier » qui met définitivement fin aux corporations, en mars 1776 les jurandes et communautés de commerce sont abolies par un édit de Turgot qui libéralise l’accès au commerce. Cet édit soulève une vive opposition ; il est suivi en août d’un nouvel édit, qui rétablit six corps de marchands et quarante-quatre communautés d’art. Mais cet édit ne reprend pas l’intégralité des communautés existant auparavant, et la profession de jardinier fait partie des vingt et un métiers qui pourront désormais être exercés librement. C’est la fin de la communauté des maîtres jardiniers de Paris.
 

Pour aller plus loin

- Toujours dans le cadre du colloque « Droit(s) et jardin », le blog Gallica a successivement mis à l’honneur l’abbé Lemire et la création des jardins ouvriers, Jean de La Quintinie, créateur du Potager du roi, l’intendance du jardin royal des plantes et Adolphe Alphand et les parcs et jardins de Paris.
- Poursuivez encore votre exploration du thème « Droit(s) et jardin », en consultant la bibliographie sélective qui lui a été consacrée.
 

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