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L’abbé Lemire et la création des jardins ouvriers

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22 octobre 2019

A l’approche du colloque « Droit(s) et jardin », penchons-nous sur l’abbé Lemire, prêtre nordiste et député qui, en 1896 fonde la Ligue du Coin de Terre et du Foyer pour encourager la création de jardins ouvriers.

Rentrée des chambres, octobre 1910, abbé Lemire

Il voit dans le jardin le moyen de combattre certains maux qui touchent les ouvriers (insalubrité, alcoolisme…) car il apporte complément alimentaire et loisir au grand air.

 

Les hommes du jour, no 95, 13 novembre 1909
 

La Révolution industrielle amène un bouleversement de l’économie et de la société françaises. Des populations rurales nombreuses viennent s’installer près des mines et des industries pour trouver du travail. Cette importante population ouvrière inquiète les autorités pour des raisons sanitaires mais aussi politique dans un siècle de révolutions. La question sociale inspire Les Misérables de Victor Hugo ainsi qu’Extinction du paupérisme du futur Napoléon III, mais aussi le catholicisme social. Ce courant politique est encouragé par l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII en 1891, texte qui promeut la doctrine sociale de l’Église. Des initiatives locales influencées par ce courant proposent le jardin comme solution à la question sociale. L’abbé Lemire en est la personnalité la plus connue mais ce n’est pas la seule ni la première.

Tandis que, délaissant leurs enfants et leurs femmes,
D'autres au cabaret gaspillent leur santé,
Nos ouvriers, l'outil sur l'épaule jeté,
Gagnent le frais jardin qui sourit à leurs âmes.

Extrait d’un poème dédié aux fondateurs de l’Oeuvre des jardins ouvriers

En 1891, Félicie Hervieu crée à Sedan la Reconstitution de la famille par le travail de la terre. Deux ans plus tôt, elle avait encouragé financièrement des familles ouvrières à louer un terrain pour le cultiver. Son initiative fait florès, inspirant par exemple le père Volpette, un Jésuite qui crée à Saint-Étienne en 1894 l’Association pour le jardin et le foyer de l’ouvrier. Félicie Hervieu envoie également une brochure à l’abbé Lemire qui va s’en inspirer. Ce dernier vient d’être élu en 1893 député du Nord, siège qu’il conservera jusqu’à sa mort en 1928.

L’abbé Lemire est originaire des environs d’Hazebrouck, ville dont il sera maire de 1914 à sa mort. Ordonné prêtre en 1873, il est enseignant à Hazebrouck. Il accompagne en 1888 son frère Achille jusqu’en Australie, voyage dont il tire D’Irlande en Australie. Lors de ce voyage, il rencontre le cardinal Manning, adepte du catholicisme social. La question sociale va être le grand thème de sa vie. Élu député tout en étant prêtre, ses positions sociales le mettent plusieurs fois en conflit avec sa hiérarchie plus conservatrice. Il défend en effet la création d’un ministère du Travail, l’interdiction du travail de nuit des enfants, l’abolition de la peine de mort… le 9 décembre 1893, il est blessé lors de l’attentat d’Auguste Vaillant à la Chambre des députés.


Jardins ouvriers de Roubaix, 1919

En 1896, l’abbé Lemire crée la Ligue française du Coin de Terre et du Foyer. Il est inspiré par le terrianisme dont le but est de doter chaque famille d’une parcelle de terre inaliénable pour subvenir à ses besoins. Plusieurs objectifs président à la création des jardins ouvriers : nourrir sainement, économiser l’argent de l’alimentation, profiter du grand air pour des ouvriers travaillant dans des industries polluantes et habitant des locaux insalubres propices aux épidémies. Un but moral consiste à offrir un loisir à l’ouvrier, l’éloignant ainsi de l’oisiveté et du cabaret. Ce dernier est vu comme lieu de perdition où l’ouvrier s’abrutit dans l’alcoolisme, dépensant l’argent du ménage et étant perméable à la propagande politique qui s’y pratique. L’objectif politique des tenants des jardins ouvriers n’est jamais très loin de l’objectif social.


Sceaux depuis trente ans (1882-1912)

Dans toute la France, des personnalités locales créent des jardins ouvriers, d’Abbeville à Bordeaux, de Roubaix à Poitiers. En région parisienne, Hugues Renaudin est notaire à Sceaux. Devenu veuf, sans enfant, il décide de consacrer ses revenus à des œuvres sociales. Ancien maraîcher, il perçoit les vertus qu’apporteront les jardins ouvriers qu’il crée en 1900. Il ne s’arrête pas là puisqu’il bâtit aussi des maisons ouvrières, une école, un hospice-hôpital…, le tout sous le nom d’œuvre Marguerite Renaudin, ainsi baptisée en l’honneur de sa femme. Il est en contact avec l’abbé Lemire qui vient visiter ses réalisations.


Jardins ouvriers de Sceaux, 1907

Le mouvement des jardins ouvriers s’organise au niveau national, réunissant des congrès. La Ligue du Coin de Terre est reconnue d’utilité publique en 1909 puis devient en 1921 la Fédération nationale des jardins ouvriers de France. En 1926, l’abbé Lemire crée au Luxembourg l’Office International du Coin de Terre et des Jardins Familiaux car de nombreux jardins ouvriers existent en Belgique, Allemagne, Royaume-Uni… Les jardins ouvriers traversent le siècle mais se transforment car la population change avec la désindustrialisation de la France à la fin du XXème siècle. On parle désormais de jardins familiaux et la Ligue du Coin de Terre se rebaptise Fédération Nationale des Jardins Familiaux en 1992.

 

La création des jardins ouvriers à la fin du XIXème siècle correspond à un moment de tensions politiques et sociales. Les buts politiques et moraux n’en sont pas absents dans cette volonté d’encadrer les ouvriers hors de l’usine pour éviter qu’ils ne le soient par le parti ou le syndicat. C’est l’époque des grands patrons paternalistes. Il n’en reste pas moins que ces jardins se sont transformés en jardins familiaux, partagés, collaboratifs… Ils rejoignent la question de l’agriculture urbaine et de la place de la nature en ville.

Pour aller plus loin

- Toujours dans le cadre du colloque « Droit(s) et jardin », le blog Gallica a successivement mis à l’honneur la communauté des maîtres jardiniers de Paris, Jean de La Quintinie, créateur du Potager du roi, l’intendance du jardin royal des plantes et Adolphe Alphand et les parcs et jardins de Paris.
- Poursuivez encore votre exploration du thème « Droit(s) et jardin », en consultant la bibliographie sélective qui lui a été consacrée.

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