Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Tourisme agricole au pays du soleil levant

0

De 1963 à 1964, Armand Chartier entreprend un long voyage au Japon. Il en rapportera quatre courts-métrages et un long-métrage dont le propos dépasse le seul cadre agricole.

Photogramme extrait du film Hamas (1963)

Notre billet L'agriculture japonaise des années 1960 montre combien les années 60 sont une décennie de modernisation agricole pour le Japon, un pays que sa géographie rend peu propice à l'agriculture.

Ce n'est pas un hasard si c'est ce moment que choisit le réalisateur Armand Chartier pour se rendre sur place. Il emmène avec lui quelques-uns de ses fidèles collaborateurs : son épouse, scripte et assistante, Simone Deleule (qui signe parfois Simone Chartier) ainsi que Jean Boffety, chef opérateur talentueux qui travaillera, entre autres, sur de nombreux films de Robert Enrico et Claude Sautet.

Les questions agricoles occupent une place importante dans les cinq films qu’il tourne là-bas, sans en constituer pour autant le sujet exclusif. C’est manifeste dans les deux courts-métrages Honorable Japon (1964, 14 min) et De Tokyo à Tokyo (1964, 14 min).

De Tokyo à Tokyo (1964, 14 min) propose un tour (au sens touristique du terme) à travers le Japon et ses principales activités.

Dès les premières minutes, une voix off s’adresse au spectateur et lui présente Tokyo sur un ton vif et enjoué : “tu débarques à Tokyo un matin et tu achètes un appareil photographique ultra-moderne”. S’ensuivent plusieurs visites d’usines. De l’usine d’appareils photo à “l’usine des perles”, le film nous conduit à une séquence de pêche aux perles sauvages, objet d’un spectacle pour touristes…. payant bien sûr. Le lien entre l’appareil photographique du début et les pêcheuses apparaîtra dans une ultime séquence coquine.

Honorable Japon (1964, 14 min) poursuit le voyage à travers artisanat et industrie japonais :

La religion, l’art de la poterie et de la kokeshi (poupée de bois issue des temps de famine où les filles étaient supprimées à la naissance), le parc d’attraction Dreamland ou encore la construction de bateaux en acier sont autant de haltes de ce circuit touristique mené tambour battant et qui rassemble ce que l’on devine être des images tournées sur le vif.

Tous ces thèmes se retrouvent dans le long-métrage Le pays des quatre vertus (1963, 73 min), l’un des plus longs films de Chartier :

Seul titre de la série tourné en noir et blanc, le film n’est pas exempt de clichés et de naïveté. Pour autant, la volonté d'Armand Chartier de comprendre ce pays encore mal connu en ce début des années 60 est sincère. Sa peinture d’un Japon tiraillé entre tradition et modernité, entre Orient et Occident, se conclura sur ces mots : “Dieu qu’il est difficile d’être Japonais ! ”. Comme toujours, son soutien va au paysan dont il explique précisément en quoi la condition est peu enviable : une étendue dérisoire de terres cultivables, un climat peu favorable, un morcellement de parcelles, une grande pauvreté.
 
Le commentaire est assuré par plusieurs voix, dispositif inhabituel chez Chartier. Outre les noms japonais de Kyo Komatsu (ami et traducteur de Malraux, qui apparaît à l’écran), Takenori Nomi et Hiroshi Futamura, sont présents au générique les comédiens Thérèse Quentin et Marcel Cuvelier (acteur, entre autres, chez Melville, Clouzot et Resnais), mais aussi Claude Gensac, épouse de Louis de Funès dans la série des Gendarmes, ou encore Georges Aminel, voix française de Dark Vador !

De la série, les deux films les plus évocateurs restent peut-être, justement, ceux qui traitent le plus directement de l’agriculture au Japon : Heures paysannes du Japon (1964, 14 min) et surtout Hamas (1963, 25 min).

Heures paysannes du Japon (1964, 14 min) montre les principales cultures au Japon :

Rapide et précise, la caméra d’Armand Chartier filme les plantations de thé vert, la récolte du riz, la recherche agronomique sur les agrumes, les coopératives laitières ou encore la protection de la forêt. Son commentaire se fait lyrique lorsqu’il compare les paysannes japonaises au travail, “silhouettes mélancoliques et compliquées”, à des “insectes ou des prêtresses d’un culte solaire ignoré.”

Hamas (1963, 25 min) est sans doute le meilleur des cinq films :

Un long carton dispense dès le début les informations indispensables :

Dans le sud de Honshu, île principale du Japon, près de Toba, il existe, en bordure du Pacifique, des villages communautaires. Agriculture et pêche, succédant l’une à l’autre au fil des jours, sont réglées minutieusement par une organisation élue assistée de coopératives. Le riz et les coquillages font des femmes de ces villages, tantôt des paysannes à lourde silhouette, tantôt des plongeuses au corps doré, les plus habiles du monde : les Hamas. Par 15 mètres de fond, en plongées successives de 180 secondes, elles vont cueillir les Oreilles de mer, puis remontent exhaler une plainte rituelle. Quant au riz, il est la Vie.

Le reste du film pourra alors nous offrir de longues séquences muettes, sans commentaire ni musique, aussi bien dans les rizières qu’en mer. Fait rare chez Chartier, les échanges entre Japonais sont sous-titrés. On profitera notamment du pittoresque d’un téléphone communautaire où les destinataires des appels sont appelés auprès du téléphone par haut-parleur. Plus tard, ce haut-parleur servira à battre le rappel des pêcheuses au moment de la sortie en mer. Monté sans effet, le départ en mer se gorge d’une réelle tension dramatique.

Signalons que le montage de ce film, comme celui du Pays des quatre vertus, est signé par Marguerite Renoir, ancienne compagne de Jean Renoir et monteuse de tous ses films des années trente, puis monteuse pour Jacques Becker, Jean-Pierre Mocky et bien d’autres.

Aller plus loin

Quand la France des années 60 formait les paysans du futur (série Armand Chartier, billet n°1)
Intervention de l'état, réseaux agricoles... : les aides apportées aux agriculteurs (série Armand Chartier, billet n°2)
Réseaux agricoles d’après-guerre à l'écran (série Armand Chartier, billet n°3)
Et les vaches seront bien gardées, 1ère partie : l'élevage en mutation (série Armand Chartier, billet n°4)
Et les vaches seront bien gardées, 2ème partie : au temps de l'élevage intensif (série Armand Chartier, billet n°5)
Agricultrices, mères et filles (série Armand Chartier, billet n°6)
La forêt, un patrimoine très convoité (série Armand Chartier, billet n°7)
Exploitations forestières : des forêts à dompter (série Armand Chartier, billet n°8)
L'agriculture japonaise des années 1960 (série Armand Chartier, billet n°9)

Tous les films d’Armand Chartier sur Gallica
Répertoire du Service audiovisuel du ministère de l'agriculture aux archives nationales

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.