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L'agriculture japonaise des années 1960

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Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, les Japonais souffrent de la faim. Mais rapidement, dès le milieu des années 1960, l’extraordinaire augmentation de la production agricole mènera au « miracle japonais ».

Le Japon artistique : documents d'art et d'industrie / réunis par S. Bing. Japon artistique (Paris) ; Marpon et Flammarion (Paris), 1888-11-01

Source : Japan. Toyodo engraving office (Tokyô), 1913

Le Japon d’avant-guerre

Dans les premières décennies qui suivent la restauration Meiji, beaucoup de petites fermes familiales complètent déjà leur revenu agricole avec un emploi  dans une exploitation plus importante. En effet, avant la Seconde Guerre mondiale, la moitié des terres, de surfaces importantes, appartiennent à des familles ne les cultivant pas par elles-mêmes. La main d’œuvre extérieure est une réelle opportunité. Ces activités extra agricoles se pratiquent également dans le domaine artisanal ou industriel, celui de la sériciculture, de la filature ou du tissage de la soie.

Une géographie pourtant peu propice à l’agriculture

Le Japon est composé aux trois quarts de sols montagneux. Les différences thermiques sont importantes, entre le Nord, tempéré et froid, et le Sud, tropical humide, offrant un paysage cultural varié. Les terres sont souvent de médiocre qualité.
 

Source : Relief map of Japan-Korea area. Mercator projection / Geological survey (Etats-Unis). U.S. Geological Survey (Washington), 1945

La « modernisation » de l’agriculture : entre prospérité agricole et croissance industrielle

Après la Seconde guerre mondiale, la production de riz, principale nourriture des Japonais, est insuffisante.

« Jusqu’en 1960, les surfaces cultivées augmentent et la société reste hantée par les famines. »

Source : Hérodote : stratégies, géographies, idéologies / dir.-gérant Yves Lacoste. F. Maspero (Paris) ; Ed. La Découverte (Paris), 1995-10-01

L’administration américaine, qui gère, en 1945, les affaires du pays, remplace le riz par le blé. Pour combler le déficit alimentaire, la politique agricole japonaise n’a qu’une priorité : augmenter la production rizicole pour nourrir une population qui passe de 30 millions en 1886 à 98 millions en 1963.
En novembre 1945, un projet de réforme agraire est approuvé par le Parlement japonais. L'année suivante, la loi relative aux mesures spéciales pour la création de paysans propriétaires sera adoptée. Les terres sont redistribuées, les domaines agricoles se morcellent, le paysage rural se transforme. Les petits exploitants autonomes vont assurer l’essentiel de la production agricole japonaise. Le système du fermage qui règne depuis l’époque d’Edo est démantelé.
Les lois agricoles de 1947 et de 1952, respectivement relatives à la coopérative agricole pour la défense des droits paysans et à la délimitation de l’usage des terres cultivables hors agriculture, favorisent les petites exploitations tout en évitant la spéculation sur les terres. En quelques mois, apparaissent des milliers de coopératives. Une dynamique nouvelle anime alors les villages.

La production même est infléchie par les coopératives, surchargées d’employés heureux d’avoir quelque chose à faire.

Source : Le pays des quatre vertus / Armand Chartier. 1963, 73 min.

Pour optimiser la production, la stratégie suivie est multiple : améliorer les variétés de riz, afin notamment qu’elles résistent au froid, comme la variété bôzu ; mettre au point de nouveaux engrais dont l’usage deviendra intensif (ils remplaceront la fumure naturelle) ; éliminer les maladies des plantes et les insectes nuisibles grâce à l’utilisation de pesticides parfois même pulvérisés par hélicoptère.
Ces méthodes de culture associées à une irrigation perfectionnée ne laissent plus la terre en repos : le repiquage du riz, en rangées plus serrées, survient plus tôt en saison, avant l’époque des typhons.
 

[Le Coup de vent dans les rizières d'Ejiri dans la province de Suruga]. In : Fugaku-sanjū-rokkei ; [18]富嶽三十六景 ; [18][Trente-six vues du mont Fuji] ; [18]. [Ejiri dans la province de Suruga] : [estampe] / [Zen-hokusai-iitsu a dessiné] / Katsushika, Hokusai (1760-1849). Eijudō [Nishimuraya Yohachi] (Tōkyō), 1831-1834

Source : [Album de 100 phot. du Japon] / Studio Shin-e-Do, Kinbei Kusakabe [et autres photographes]. 1890-1900

Plusieurs récoltes annuelles sur une même parcelle sont alors possibles. Le rendement du riz par unité de surface cultivée augmente dès les années 1950. Par ailleurs, la mécanisation des outils agricoles est en route, malgré le morcèlement des terrains. De petites charrues mécaniques apparaissent. L’emploi des batteuses à moteur est généralisé. Les motoculteurs se développent rapidement. En 1955, 460 000 agriculteurs possèdent des tracteurs, soit 7,5% d’entre eux. En 1960, le pourcentage s’élève à 35% (Source : Heures paysannes du Japon / Armand Chartier. 1964,14 min). Les années suivantes, on assiste à une récolte record de riz assurant l’autosuffisance alimentaire.

La « Révolution verte » porte ses fruits. La transformation de l’agriculture japonaise en petite agriculture familiale moto-mécanisée utilisant des intrants chimiques est presque achevée.
Pourtant, ces exploitations seront fortement ébranlées par les réformes à venir. En effet, les années 1960 sont une époque charnière durant laquelle la société japonaise se transforme radicalement, passant d’une société agricole à celle d’une société industrielle. L’espace agricole se réduit et les campagnes perdront habitants et main d’œuvre au profit de l’emploi industriel.
« 500 000 paysans abandonnent chaque année les campagnes pour la ville. »
Source : Le pays des quatre vertus / Armand Chartier. 1963, 73 min)

En 1961, le gouvernement japonais adopte  la loi fondamentale sur l’agriculture. La « modernisation » de l’agriculture est poussée à l’extrême. Il s’agit d’agrandir les exploitations en privilégiant celles de plus de 2 hectares, d’aménager des réseaux d’irrigation et mener des  travaux d’amélioration des terrains agricoles.

« Les Japonais se sentent à l’aise que s’ils sont intégrés à un gigantesque dispositif de production. »
Source : Honorable Japon / Armand Chartier. 1964, 14 min).

Si  en 1966, le rendement en riz avoisine presque 4  tonnes à l’hectare, les travailleurs du secteur primaire ne représente plus que 25% du total des travailleurs.
Une aide dite de « développement sélectif » est attribuée à certains produits agricoles. Le riz, les fruits sont subventionnés ainsi que les produits de l’élevage, ce dernier s’étant développé par rapport au début du XXe siècle.

 

Source : Comptes rendus des travaux. 1928-1929, t. IV, Notes sur les conditions de la production et du commerce du riz au Japon / M. Devisme ; Gouvernement général de l'Indochine. Inspection générale de l'agriculture, de l'élevage et des forêts. Agriculture, élevage, forêts. Impr. d'Extrême-Orient (Hanoï), 1930

Entre les années 1960 et 1980, l’agriculture japonaise s’intègre à l’économie de marché. Les prix des produits agricoles sont en partie libéralisés. Seul le riz reste encore sous contrôle de l’état.

Progressivement, les familles s’inquiètent du modèle productiviste en cours. Elles s’élèvent contre les épandages excessifs de produits chimiques. Dans les années 1970, naît le Teikei, système apparenté à l’AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne). À travers ces mouvements, producteurs et consommateurs se rapprochent.
 

L’importance du riz dans la culture japonaise

Source : Hérodote : stratégies, géographies, idéologies / dir.-gérant Yves Lacoste. F. Maspero (Paris) ; Ed. La Découverte (Paris), 1995-10-01

Au Japon, le riz n’est pas une simple céréale. Il participe à l’accomplissement de l’ikigai  « ce qui donne un sens à leur existence ».

« Ne pas désirer un bon repas, ne pas désirer une position élevée […]. Un beau voyage près de sa maison, voilà ce qu’il faut désirer »

Source : Le pays des quatre vertus / Armand Chartier. 1963, 73 min.

Source : Les Amis de l'Art Japonais se réuniront à dîner au Restaurant du Cardinal le Vendredi 20 Mars : [carton d'invitation, estampe] / Auriol, George (1863-1938). Graveur ; Société des amis de l'art japonais. Commanditaire du contenu. [Société des amis de l'art japonais] (Paris), 1908

Les  kami, divinités du shintoïsme, sont sollicitées pour favoriser les bonnes récoltes. Le riz leur est alors offert sous forme de sake, alcool de riz «qui soulage le cœur » et de mochi, une pâte de riz. C’est aussi l’occasion pour les familles de se retrouver autour d’un repas de fête composé de produits agricoles locaux.
 

Source : La cérémonie du saké. In : Paris illustré. 1886-05-01

 

Conclusion

Depuis les années 1980, le Japon mène  une agriculture offensive qui tente de résister aux marchés mondiaux. De 1961 à 2017, la surface totale cultivée a diminué de 40 %. Les terres sont souvent abandonnées par les plus âgés des paysans. Elles sont converties en terrains constructibles ou destinés à d’autres usages.

« Les filles de paysans deviennent ramasseuses de balles. »

Source : Le pays des quatre vertus / Armand Chartier. 1963, 73 min.

Le Japon est en changement perpétuel et le constat en 1991 est sans appel :

« Plus mécanisée, bénéficiant d'exploitations plus grandes, ayant recours aux technologies de pointe, cette agriculture ne pourra, cependant, plus jamais rendre le pays autonome sur le plan agro-alimentaire. »

Source : Journal officiel de la République française. Avis et rapports du Conseil économique. Direction des journaux officiels (Paris), 1991-08-19

Pour aller plus loin :

Quand la France des années 60 formait les paysans du futur (série Armand Chartier, billet n°1)
Intervention de l'état, réseaux agricoles... : les aides apportées aux agriculteurs (série Armand Chartier, billet n°2)
Réseaux agricoles d’après-guerre à l'écran (série Armand Chartier, billet n°3)
Et les vaches seront bien gardées, 1ère partie : l'élevage en mutation (série Armand Chartier, billet n°4)
Et les vaches seront bien gardées, 2ème partie : au temps de l'élevage intensif (série Armand Chartier, billet n°5)
Agricultrices, mères et filles (série Armand Chartier, billet n°6)
La forêt, un patrimoine très convoité (série Armand Chartier, billet n°7)
Exploitations forestières : des forêts à dompter (série Armand Chartier, billet n°8)
Tourisme agricole au pays du soleil levant (série Armand Chartier, billet n°10)
 

Commentaires

Soumis par Andree Le Guillou le 04/12/2022

Champ très vaste qui englobe à la fois le monde d'aujourd'hui, l'histoire du pays et la vision artistique avec les estampes japonaises.
Une belle ouverture sur ce pays si longtemps "fermé" aux étrangers.
Merci

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