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Quand la France des années 60 formait les paysans du futur

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Ingénieur agronome et des eaux et forêts, Armand Chartier (1914-2002) a dirigé la Cinémathèque du Ministère de l’agriculture de 1947 à 1983. Il a aussi réalisé de nombreux films d’éducation populaire qui témoignent de la modernisation de la France d’après-guerre. Ici, l’enseignement agricole.

La leçon des chemins de l'été, Armand Chartier, 1957

L’enseignement agricole au 20e siècle

Pour le monde agricole, le 20e siècle est celui des changements : utilisation de la génétique dans les productions animales et végétales, utilisation croissante des engrais. Progressivement, la population active agricole passe de 42% en 1900 à moins de 4 % aujourd’hui.
On impute la faiblesse de la productivité agricole à l’insuffisance de formation générale et technique des agriculteurs. En 1902 naissent les écoles d’agriculture d’hiver, les écoles d’agriculture itinérantes.

Suivra une succession de nouvelles structures de formation :
La loi du 2 août 1918 réorganise l’enseignement agricole avec des cours post-scolaires agricoles et ménagers agricoles et la reconnaissance de l’enseignement agricole féminin. 
- En 1923, naîtra la première Ecole nationale d’agriculture pour jeunes filles
- En 1935, apparaît la Maison familiale, affiliée à l’enseignement agricole privé, sous l’impulsion de l’Abbé Granereau. Jean Zay, ministre de l’Education nationale de 1936 à 1939, institutionnalise les classes d’observation active du milieu naturel.

À partir des années 1950, on voit apparaître une revendication de parité entre les ministères de l’Agriculture et de l’Education nationale, sous l’impulsion de la Jeunesse agricole catholique (JAC), du CNJA et de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA).

Alors que la Politique agricole commune est lancée en 1957, la loi du 2 août 1960 relative à la modernisation de l’enseignement agricole et à la formation professionnelle (Debré-Rochereau) est l’acte de naissance de l’enseignement agricole moderne. Sa mission : contribuer au développement accéléré de l’agriculture française qui entre dans le Marché commun.

Les films à vocation pédagogique du Ministère de l’agriculture

L’arrivée d’Armand Chartier à la tête de la Cinémathèque du Ministère de l’agriculture en 1947 coïncide avec cette modernisation de la formation. Il y produit des films à l’évident caractère didactique, avec des moyens techniques importants et un vrai souci de qualité cinématographique. Dès 1947, il passe lui-même à la réalisation.
 
Rappelons que nous sommes une dizaine d'années avant l’apparition du son direct. Pour contourner la difficulté de la prise de son documentaire, Armand Chartier a presque toujours recours à une voix off qui assume en même temps une fonction pédagogique. Toutefois celle-ci va s’estomper au fil des années, et Chartier l’utilisera avec une maîtrise et une subtilité grandissantes.
 
La formation aux métiers agricoles et, plus généralement, la transmission, comptent justement parmi ses thèmes de prédilection. Cinq de ses films abordent directement le sujet.
 

La leçon des chemins de l'été (1957, 19 min) montre la fin de l’année scolaire dans un petit village du Jura :

Le film est un plaidoyer pour un enseignement agricole réformé et liste toutes les connaissances qu’un paysan “moderne” doit désormais acquérir : mécanisation, récoltes, élevage… Plein de fraîcheur et de pittoresque, il affirme un objectif toujours actuel :

conserver à [la] terre les jeunes paysans, leur donner toutes les raisons d’y vivre mieux.

Le thème de la fin de l’école apparaît de nouveau quelques années plus tard dans La dernière garden party (1962, 18 min) qui se passe le jour de la garden-party annuelle de l'Ecole vétérinaire d'Alfort.

Ce documentaire fictionnalisé - comme la plupart des productions du Ministère de l’époque - s’ouvre sur la question qui constitue son sujet même : “Qu’est-ce que peut faire un élève de 4e année le jour de la garden-party de l’école vétérinaire ?”. La préparation de cette garden-party est le prétexte pour passer en revue les différents débouchés professionnels pour un élève vétérinaire : vétérinaire rural, fonctionnaire aux services vétérinaires départementaux, enseignant, chercheur dans le secteur privé ou public…
Film jumeau réalisé la même année, L'art vétérinaire en France (1962, 39 min) énumère aussi, mais sous une forme plus classique, les facettes du métier de vétérinaire dans les années soixante (services de contrôle biologique, armée, vétérinaire municipal ou d'Etat...)

  
L’incertitude d’un avenir professionnel pour les jeunes issus du monde rural est également au cœur du film La sonnette (1966, 34 min) :

Primé à Berlin, ce documentaire se penche sur le quotidien de jeunes internes en lycée agricole. Le procédé de la voix off a évolué : entremêlant les témoignages des lycéens, il leur permet de se confier sur l’école, les copains, les filles… Quand le réalisateur les interroge sur leurs projets, on sent des inquiétudes quant à l’avenir. Il y a “beaucoup de fermes qui vont mal”, dit l’un d’eux.

Enfin, dans "La voix", une série de treize portraits de femmes issues du monde agricole, Armand Chartier revient à l'enseignement agricole dans deux épisodes très différents.

Dans Sylvie (1971, 26 min) nous suivons une jeune fille de dix-sept ans du même nom, blonde aux yeux verts, qui termine ses études dans un collège agricole, option « accueil en milieu rural ».

À ce portrait délicat et tranquille d'une jeune fille qui envisage sereinement son avenir s'oppose celui, plus tourmenté, de Danielle (1969, 26 min) :

Cette femme qui fut provisoirement affectée au lycée agricole d'Antibes pour l'animation socio-culturelle fait le bilan désenchanté de la vie et de son travail. La franchise de Danielle, qui parle librement de suicide, de sensualité, de couple, avait provoqué la réaction de la censure qui y a vu une mauvaise image pour une éducatrice.

Si ces films permettent de mesurer aujourd'hui la distance parcourue par l'enseignement depuis les années soixante, ils restent aussi très émouvants. Au point qu'on peut se demander si Armand Chartier, lui-même ancien étudiant agronome, n'y a pas glissé un peu de ses souvenirs de jeunesse en filmant avec tendresse les paysans de demain.
 

Aller plus loin

Intervention de l'état, réseaux agricoles... : les aides apportées aux agriculteurs (série Armand Chartier, billet n°2)
Réseaux agricoles d’après-guerre à l'écran (série Armand Chartier, billet n°3)
Et les vaches seront bien gardées, 1ère partie : l'élevage en mutation (série Armand Chartier, billet n°4)
Et les vaches seront bien gardées, 2ème partie : au temps de l'élevage intensif (série Armand Chartier, billet n°5)
Agricultrices, mères et filles (série Armand Chartier, billet n°6)
La forêt, un patrimoine très convoité (série Armand Chartier, billet n°7)
Exploitations forestières : des forêts à dompter (série Armand Chartier, billet n°8)
L'agriculture japonaise des années 1960 (série Armand Chartier, billet n°9)
Tourisme agricole au pays du soleil levant (série Armand Chartier, billet n°10)

Tous les films d’Armand Chartier sur Gallica
Répertoire du Service audiovisuel du ministère de l'agriculture aux archives nationales
Site de la cinémathèque du ministère de l'agriculture

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