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Heur(t)s et malheurs du funiculaire de Belleville (1891-1924), épisode 2/3

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Qui prenait le funiculaire de Belleville, au tournant du XXe siècle, n’était pas assuré d’arriver à destination ! L’exploitation de ce tramway, émaillée d’accidents, lui valut une piètre réputation. Il rendit pourtant un fier service aux Bellevillois qu’il transportait cahin-caha sur les hauteurs de l’Est parisien, avant d’être remplacé par un service d’autobus, puis par la ligne 11 du métro.

« La place de la République », Paris et ses environs, 1890-1900

Des incidents en cascade

Après une « mise en train » laborieuse, le funiculaire continue à défrayer la chronique !

Dès le mois de décembre 1891, une voiture se décroche du câble et dévale la rue de Belleville, arrêtée seulement par la voiture suivante, qui est brisée par le choc. Bilan : douze voyageurs blessés, dont cinq grièvement. En juin 1892, c’est une grève des ouvriers et employés, pour obtenir un meilleur salaire et des conditions de travail moins difficiles, qui perturbe le fonctionnement du service. En janvier 1906, les freins d’une voiture entamant la descente vers la place de la République lâchent, et dans la panique, des voyageurs se blessent en sautant du véhicule. En février 1910, une collision a lieu avec un tramway Raincy-Opéra, blessant trois usagers de ce dernier. En septembre 1913, c’est, cette fois, un arrêt brusque qui occasionne une bousculade et cinq blessés. Sans parler des passants renversés ou des voyageurs tombés des voitures ! Le Rapport de l'inspecteur général chargé du contrôle des tramways et du métropolitain du 1er janvier 1916 répertorie le nombre d’incidents survenus au cours de l’année précédente.

Un accident particulièrement impressionnant a lieu en janvier 1914, faisant quatorze blessés. Une voiture s’emballe du fait d’un “nœud” du câble et dévale la pente « tamponnant tout ce qu’elle rencontre ».

Le Journal, 24 janvier 1914

Le funiculaire, objet de railleries : Funny… culaire !

« Les Parisiens ne s’expliquent pas tous pourquoi ce tramway de Belleville qui a tant de peine de faire son premier pas s’appelle Funiculaire. Les Américains seulement l’appellent le bien nommé du mot anglais Funny qui veut dire : drôle et risible. »

(La Coulisse, 22 juin 1891)

La presse fait des gorges chaudes de tous ces dysfonctionnements, raillant en particulier les longueurs de sa mise en service :

« L’été de 1891 […] restera légendaire, autant que le funiculaire de Belleville, qu’on attendit toujours, lui aussi, et qui n’arriva jamais ». (La Gazette des femmes, 15 juin 1891)

« Lorsque marchera le funiculaire, les poules auront plus de trent’-deux dents… » (Le Rappel, 27 juin 1891)

« Seul, au milieu du mouvement outré de Paris-qui-roule, le funiculaire de Belleville, ce funiculaire sur lequel l’Europe a les yeux, et qui devient une inénarrable légende, est dans le plus superbe statu quo ! » (Le Carillon d'Arbois, 13 septembre 1891)

« De remises en remises et d’ajournements en ajournements, le chemin de fer funiculaire [...] qu’on nous avait promis pour l’automne dernier, en est revenu au même point qu’auparavant. [...] aussi l’appellera-t-on, jusqu’à nouvel ordre, le fumisticulaire de Belleville. » (Gazette anecdotique, littéraire, artistique et bibliographique, 31 mars 1891)

Un titre est même consacré au sujet : Le Funiculaire de Belleville : journal des gens pas pressés, dont le rédacteur en chef a pour pseudonyme « I. Restanpanne » !

Prenant la mesure du danger que représente un trajet en funiculaire, après la descente incontrôlée de la rue de Belleville par une de ses voitures, l’hebdomadaire La Diane suggère en une d’un numéro de décembre 1891 que « Le funiculaire remplace la guillotine » !

« Le funiculaire remplaçant la guillotine », La Diane, 8 décembre 1891

« Cet instrument de supplice est recommandé à la Justice et aux personnes attendant un héritage. Très utile aussi contre les belles-mères. »

Et en page suivante on peut lire :

La Diane, 8 décembre 1891

Dans son Dictionnaire d’argot fin-de-siècle, Charles Virmaître inscrit d’autres néologismes « Être funiculé » et « avoir les pieds funiculés », qui signifient « refuser de marcher », « allusion, précise-t-il, au funiculaire de Belleville qui marche quand il veut. »

Nul doute que le funiculaire offrait à ses contemporains un sujet de conversation de choix lorsqu’il ne fonctionnait pas ! Il ne serait pas juste cependant de passer sous silence que pendant la trentaine d’années de son exploitation, il connut des jours plus heureux et une fréquentation plus qu’honorable !

Le succès au rendez-vous

La mise en service de cette ligne qui s’est fait tant attendre correspondait bien à un besoin de la population bellevilloise, que les accidents ne dissuadèrent pas d’emprunter le funiculaire.

« En 1897, d’après la statistique officielle du ministère des Travaux publics, la Compagnie a transporté 4 692 234 voyageurs ». (Le Génie civil : revue générale des industries françaises et étrangères, 3 février 1900)

Le ministère des Travaux publics édite en 1906 un Album de statistique graphique, qui met en évidence le succès remporté par le funiculaire, par rapport à d’autres lignes. Il arrive en deuxième position, derrière la ligne de chemin de fer d’Auteuil, en ce qui concerne le nombre de voyageurs transportés par kilomètre exploité, au tournant du siècle.

Album de statistique graphique / Ministère des Travaux publics. Direction des cartes, plans et archives de la statistique graphique. Paris, Impr. Nationale, 1906

Georges Montorgueil, dans Paris au hasard, semble voir dans le funiculaire de Belleville un facteur d’apaisement du faubourg révolutionnaire : « Comme un enfant, Belleville, qui a abdiqué ses haines et couché ses révoltes, pour ce qu’il est distrayant et commode s’en amuse. [...] Aujourd’hui, ô Blanqui ! ô Félix Pyat ! quand un pavé se remue sur l’ancienne voie révolutionnaire déclassée, c’est qu’un homme d’équipe, empressé de savoir pourquoi ça ne marche pas, interroge la ficelle du funiculaire. » Les Bellevillois s’y seraient-ils attachés ? C'est ce que nous verrons dans le prochain billet...

Paris au hasard / Georges Montorgueil ; ill. par Auguste Lepère. Pars, Henri Béraldi, 1895

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