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Suivre l'évolution des glaciers du Mont-Blanc grâce à une carte de 1865 et un peu de modélisation 3D

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2 juillet 2021

Grâce au géoréférencement d’une carte d’état-major de 1865, explorons en 2D et en 3D l'évolution des glaciers du massif du Mont-Blanc.

Le Mont-Blanc, cartographié par Jean-Joseph Mieulet, 1865.

La carte qui nous intéresse aujourd'hui a été éditée en 1865 dans un contexte bien particulier, celui du rattachement de la Savoie et du comté de Nice à l’Empire français de Napoléon III cinq ans auparavant. Le territoire national s’augmente de deux régions, il faut les cartographier pour mieux assurer la défense de la nouvelle frontière avec l’Italie. C’est donc l’armée qui prend les choses en main. Le capitaine Jean-Joseph Mieulet, chef d’escadron d’état-major, se voit attribuer la zone du massif du Mont-Blanc. Pendant deux ans, il quadrille le secteur sans relâche. Il le triangule, plutôt, car c’est à l’aide de cette technique de calculs d’angles qu’il enregistre sur sa carte les éléments du territoire, en calculant de proche en proche leurs position et altitude à partir d’un réseau de points de repère connus. On trouve dans les collections de Gallica quelques exemples de documents utilisant la triangulation :

 

Cassini et Maraldi, Triangulation du nord de la France, perpendiculaire au méridien de Paris, vers 1733-1735.

La carte de Mieulet est intéressante graphiquement puisqu’elle témoigne de l’évolution de la technique cartographique qui abandonne progressivement le figuratif au profit d’une représentation codifiée du territoire. Le relief est encore indiqué par un système de hachures dans le sens de la pente tandis qu’apparaissent sur les glaciers des courbes de niveau primitives. Le premier est probablement plus joli, donnant presque à voir le paysage qu’il évoque. Il sera à terme supplanté par les secondes, qui permettent de connaître l’altitude en tout point. En plus du levé de terrain, Mieulet réalise un impressionnant travail de recensement toponymique. Lieux-dits, sommets, glaciers, ils sont tous là, et leurs noms sont restés depuis quasi inchangés. De nombreux itinéraires et chalets d’altitude révèlent que l’activité touristique est déjà bien installée. Un bureau des guides existe à Chamonix depuis 1821. Mieulet n’oublie pas la frontière. Mais s’il la calque correctement à la ligne de crête, il déborde légèrement au niveau du Mont-Blanc pour englober son sommet, grignotant quelques 600 m de montagne du côté italien. Cette petite zone est encore aujourd’hui un objet de litige entre les deux pays.

En 1905, puis régulièrement au cours des décennies suivantes, Charles Vallot dresse une nouvelle carte du Mont-Blanc, à visée scientifique cette fois. Quarante ans la séparent de la carte de Mieulet. Les courbes de niveau ont définitivement remplacé les hachures. Quant aux glaciers, ils ont bien reculé, soumis à l’influence de deux phénomènes : la fin naturelle d’un petit âge glaciaire commencé au XIVe siècle et l’entrée de l’humanité dans l’ère industrielle. Le module ci-dessous vous permet d'explorer la carte de Mieulet et de la comparer à l'état actuel du massif et à une édition de 1943 de la carte de Vallot :

Changez la transparence de la carte de 1865 grâce au curseur en bas de l'écran. Permutez les fonds de cartes à l'aide du menu en haut à droite de l'écran. Pour voir en plein écran, cliquez ici.

L’augmentation des températures liée aux gaz à effet de serre émis par les activités humaines est sensible sur toute la planète. Elle l’est plus encore aux hautes latitudes et en altitude où les glaciers sont les premiers à réagir et leur étude aide à comprendre tendance et dynamique du phénomène. Dans le massif du Mont-Blanc, après une légère avancée dans les années 1970-1980, leur surface diminue depuis les années 1990 de façon continue ; diminution qui tend à s'accélérer depuis un peu plus d'une décennie. La perte de masse des glaciers est due à la fois à l’intensification de la fonte au cœur de l’été et à l’allongement de la période de fonte au cours de l’année. Les cartes anciennes permettent d’avoir un point de départ pour retracer cette évolution depuis que l’homme influe sur le climat ou pour simuler des scénarios sur des décennies incluant ou non les effets de cette influence. Les chercheurs se sont beaucoup appuyés sur la carte de Vallot qui a connu plusieurs actualisations au fil des décennies.

Moins précise, celle de Mieulet doit être considérée d’un œil plus critique mais elle permet de remonter au début de la seconde moitié du XIXe siècle. Son géoréférencement aide à comparer l’emprise des glaciers avec leur étendue actuelle et d’en noter le recul spectaculaire, notamment au niveau de leur front aux basses altitudes. Aux plus hautes altitudes, on aura l’impression qu’ils sont relativement stables. Du moins sur le plan horizontal, car la carte ne rend pas directement compte de leur épaisseur en 1865, d’autant moins que Mieulet s’est montré avare en précisions sur l'altitude de leur surface. Complétées par des gravures d’époque, ces données, bien que lacunaires, permettent cependant de proposer une reconstruction en 3D de la Mer de Glace. Elle est réalisée en projetant la carte de Mieulet sur une numérisation du relief actuel auquel on ajoute la variation d'épaisseur estimée du glacier. La restitution est ici comparée avec un état actuel du site (déplacer le curseur de droite à gauche sur l'image ci-dessous) :

Grâce au modume interactif ci-dessous, on peut manipuler la reconstitution 3D de la zone de la Mer de Glace vers 1865 :

Dans les régions polaires, les très vastes étendues glaciaires contribuent à réfléchir le rayonnement solaire et limitent le réchauffement de la surface terrestre. Ailleurs, ils ont davantage un rôle de réservoir d'eau et régulent le débit des fleuves et rivières notamment aux périodes les plus sèches. Sous nos latitudes, les conséquences de leur disparition seraient moindres que dans d'autres régions du monde mais non négligeables. Un déficit en eau, par exemple, aurait un impact sur l’activité touristique saisonnière ainsi que sur la production électrique. Mais c’est sans doute la montagne qui souffrirait le plus. Car les glaciers contribuent à la stabiliser, ils en tiennent les parois. Partout où ils reculent elle s’effondre, menaçant les populations à ses pieds.

Pour aller plus loin

- Les Sélections "La France en cartes" et "Cartes d'Auvergne-Rhône-Alpes".
- Les Sélections "Haute-Savoie".
- Les autres billets de cette série sur le géoréférencement : "Comment géoréférencer une carte disponible dans Gallica ?" (1/4), "Les environs de Versailles en 1899" (2/4) et "Balade cartographique dans Saint-Tropez au XVIIIe siècle" (3/4).
- Les billets de blog "Aux origines de la route des Grandes-Alpes", partie 1 et partie 2.
- Le billet de blog "Sur les Alpes avec Tartarin".
- Le billet de blog "Traverser la montagne : les tunnels ferroviaires sous les Alpes".
- Le portrait de Gallicanaute "Laurent Gontier : la mémoire et les cartes".

Et ailleurs

- Apprendre à lever des cartes au milieu du XIXe siècle grâce au Cours complet d’arpentage, de Puille d’Amiens, Librairie classique de C. Foucraut, ed. 1864. 

Sources des tracés actuels des glaciers

- Global Land Ice Measurements from Space (GLIMS). Données soumises et analysées par : Antoine Rabatel (Université Grenoble Alpes), Franck Paul (University of Zurich-Irchel), Mauro Fischer (University of Fribourg), Claudio Smiraglia (Università degli Studi di Milano).
Données sur les fronts de la Mer de Glace : Observatoire GLACIOCLIM, Institut des Géosciences de l’Environnement, Université de Grenoble, CNRS.

Remerciements

- Antoine Rabatel, glaciologue, Université Grenoble Alpes et Christian Vincent, ingénieur de recherche CNRS, tous deux à l'Institut des Géosciences et de l'Environnement (IGE).
Archives départementales de la Haute-Savoie et C. Gauchon, professeur de géographie, Université Savoie Mont-Blanc, pour le contexte de la carte de Mieulet. Cette dernière est exposée dans le hall des archives à Annecy jusqu’au 7 mai 2021 dans le cadre de l’exposition temporaire Le relief de notre territoire et d’ailleurs.

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