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Les environs de Versailles en 1899 ou la carte comme reflet d’une époque

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18 juin 2021

Editée au tournant du XXe siècle, cette carte centrée sur Versailles a beaucoup à nous dire sur son temps. Nous laisserons donc pour une fois de côté le chef-d’œuvre de Louis XIV pour nous tourner vers ce qu’elle nous révèle par de minuscules détails. Une exploration au rythme de la petite reine et des pensées de Gustave Flaubert.

Carte des environs de Versailles en 1899, par Bieuville.

Bieuville, auteur de cette carte, n’a pas marqué l’histoire. Le cartouche indique qu’il était géomètre expert, qui plus est auprès des Domaines, service qui gère les droits et possessions mobilières et immobilières de l’État. Ce qui indique un certain statut. Il nous apprend également que Bieuville aurait cartographié un bien plus vaste territoire puisqu’on est ici en présence d’un extrait. Des recherches montrent qu’il est également l’auteur de plans de Versailles datés de 1889 et 1900, mais rien de plus à son actif. Nous avons ici affaire à un spécialiste de la banlieue ouest.

La carte de Bieuville est l'incarnation d’une tradition cartographique qui s'est perfectionnée depuis la Renaissance et surtout le XVIIIe siècle en France, avec la dynastie des Cassini dont les quatre générations cartographient intégralement le royaume. L’application de la triangulation permet une précision mathématique dans les angles et les distances qui rendent les cartes plus fiables. Elles tendent désormais avec un souci du détail topographique vers une représentation exhaustive du territoire et la variété des informations qu'elles portent les rendent utiles au militaire et au diplomate comme au voyageur et au savant. Au siècle suivant, tandis que se normalisent encore les conventions cartographiques, de nouveaux outils et méthodes autorisent des mesures encore plus exactes. Lorsqu’il dresse sa carte, Bieuville dispose de tout l’arsenal technique de son temps. Il relève précisément le moindre élément du paysage, villes et lieux-dits, réseaux routier et ferré, cours d’eau, reliefs représentés par des courbes de niveau, forêts, fortifications et éléments de patrimoine. Un résultat qui rappelle la rigueur des cartes de l'état-major produites quelques décennies auparavant, et qui nous est cependant familier tant il ressemble à nos cartes IGN actuelles.

En plus de cette édition de 1899, on trouve dans Gallica deux éditions antérieures de cette carte pour 1887 et 1893. Elles se superposent exactement et ne montrent aucune évolution sensible. Pas de nouvelle maison en douze ans, ce qui paraît peu probable et laisse supposer que les trois éditions n’ont pas fait l’objet d’actualisation. Un examen attentif montre néanmoins une différence, peut-être la seule, entre 1893 et 1899 : l’apparition de la ligne de chemin de fer de Paris à Viroflay via un tunnel sous le bois de Meudon.

Le passage d’une carte à l’autre, avec le module ci-dessus, révèle le décalage des différentes couches de couleurs produit au moment de l’impression. Pour 1899, on a opté pour un vert plus soutenu, mais surtout, on a souligné de rouge quelques routes qu’on serait tenté d’assimiler à des routes nationales tant cette couleur y est pour nous aujourd’hui associée. L’unique élément de légende dans le cartouche indique leur nature réelle : des routes vélocipédiques, compatibles avec la circulation à bicyclette. D’une simple couleur ajoutée, la carte de Bieuville se met au diapason de l'époque et accompagne la pratique de l'activité la plus à la mode de son temps. Synonyme d'une vie saine et dynamique, le cyclotourisme se développe à la fin des années 1880. Il gagne vite en popularité, en particulier dans la région de Saint-Etienne où, à partir de 1891, la Manufacture française d'armes et cycles y produit la célèbre Hirondelle qui équipera les agents de la police parisienne jusqu’en 1984 :

L'Hirondelle, Catalogue : Manufacture française d'armes et cycles de Saint-Etienne, 1904.

Grâce au géoréférencement, on peut comparer ces routes vélocipédiques avec un fond cartographique dédié aux pistes cyclables actuelles, en gardant à l’esprit que les deux types de voies ne sont pas forcément comparables en terme d’aménagement ou d’exclusivité. On retrouve des tracés communs, en particulier à Versailles. Dans un autre registre, on constate également que le réseau ferroviaire est resté inchangé depuis 1899 :

Voir en plein écran.

En parcourant ainsi le territoire à travers les cartes, on découvre une infinité de détails dont la superposition de leurs états à deux époques différentes révèle avec précision les nuances. Gustave Flaubert avait raison : « Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps ». Ici, des zones rurales englouties par l'urbanisation (A) comme le triangle Reuil-Suresnes-Saint-Cloud ou la ligne Guyancourt-Trappes, là un réservoir asséché (B), plus loin d’anciennes routes principales (C) changées en voies secondaires par le contournement des centres-villes. Ailleurs des zones aménagées et protégées comme le cours de Bièvre (D) dans la Forêt domaniale de Versailles. Et dans la voirie, on retrouve parfois le tracé simple de chemins à l’origine de voies de circulations aujourd’hui illisibles, saturées de routes secondaires, d’échangeurs et de ronds-points. Le paysage garde aussi le souvenir des cœurs de ville à la structure plus irrégulière que celles des extensions urbaines récentes à plan géométrique. On découvre aussi des curiosités tel ce plan parfait d'un domaine XVIIe siècle (E) visible en 2021 mais absent un siècle plus tôt : le Château Louis XIV, pastiche de résidence classique édifié entre 2008 et 2011 et plus tard acquis par un prince saoudien.

Ailleurs, on devine dans les forêts les structures de palais disparus. Dans le vallon de Marly-le-Roi, à 7km au nord de Versailles, subsiste l’empreinte du château et du parc voulus par Louis XIV pour se reposer de la cour. Au centre, un édifice pour son usage créé par Mansart et, formant une haie d’honneur de part et d’autre d'un Miroir d’eau central, douze pavillons pour ses invités, chacun dédié à un signe du zodiaque. Tout autour, des bassins et des fontaines ornés de statues, une cascade artificielle, des jardins nécessitant 400 jardiniers et, plus loin, la forêt. Le château est pillé à la Révolution et détruit en 1811. Le géoréférencement d’un plan du domaine en 1753 permet de repositionner exactement les vestiges disparus sur le terrain d’aujourd’hui :

Voir en plein écran.

Pour aller plus loin

- Les Sélections "La France en cartes" et "Cartes d'Île-de-France".
- Les Sélections "Yvelines" et "Versailles".
- Les Sélections "Jardins célèbres" : Versailles, Marly-le-Roi, et bien d'autres.
- Les autres billets de cette série sur le géoréférencement : "Comment géoréférencer une carte de Gallica ?" (1/4), "Balade cartographique dans Saint-Tropez au XVIIIe siècle" (3/4) et "Suivre l'évolution des glaciers du Mont-Blanc" (4/4).
- Les billets de blog "L'approvisionnement en eau des jardins de Versailles sous Louis XIV" et "Versailles : l'art des fontaines".
- Les billets de blog "L'histoire tourmentée d'une rivière" : "De la Bièvre paysage à la Bièvre laborieuse" et  "Quand la Bièvre disparaît"
- Gallica part en live : les Grandes Eaux de Versailles.
- Le portrait de Gallicanaute "Laurent Gontier : la mémoire et les cartes".

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