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Balade cartographique dans Saint-Tropez au XVIIIe siècle

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25 juin 2021

Petit port de pêcheurs dans l’imaginaire collectif, Saint-Tropez fut également longtemps une ville d’importance stratégique sur la côte méditerranéenne. Un intérêt qui lui valut d’être fréquemment cartographiée depuis le XVIIe siècle.

Plan de Saint-Tropez dans un atlas daté de 1777.

Ce plan de Saint-Tropez fait partie d'un portfolio de 47 cartes daté de 1777, qui compte aussi le plan de La Rochelle évoqué dans le premier article de cette série consacrée au géoréférencement. D’emblée, il interroge par ses inexactitudes : il lui manque notamment quelques maisons entre les deux tours au nord de la vieille ville et un œil averti verra que le faubourg des jardins est bien plus dense en constructions qu’il ne devrait. Mais surtout, on constate qu’il ne représente pas la ville à la date indiquée mais un état antérieur à 1730, puisque c’est à cette époque que disparaissent le rempart et les fossés qui protègent la ville et son faubourg. Il montre par ailleurs la grosse tour de la citadelle isolée sur sa colline telle qu’elle l’était dans la première moitié du XVIIe siècle. Ce qui ne devrait pas être le cas et indique que l'époque représentée est plus ancienne encore.

Vue perspective de Saint-Tropez par Jacques Maretz, 1631.

Le document ci-dessus a été réalisé par le cartographe aixois Jacques Maretz après une campagne de relevés des places fortes de Provence. Édité en 1631, il est considéré comme fiable. C’est le premier à montrer la citadelle entièrement entourée de fortifications et il en détaille précisément la tour centrale : hexagonale, assorties de 3 tourelles d’angles dont l’archéologie a confirmé la présence lors de son édification vers 1602. Sur notre plan édité en 1777, elle est octogonale. Voilà qui fait beaucoup. On peut ainsi affirmer qu’en plus d’être daté, notre plan est inexact. Le géoréférencement nous apprend de plus que sa levée a été réalisée sans rigueur particulière, puisque le calage sur un plan actuel lui imprime une forte déformation. C’est finalement plus une évocation qu’un relevé précis de la ville. Un sondage dans Gallica révèle un autre plan, daté lui aussi du XVIIIe siècle. Même forme pour la citadelle, les tracés du rempart, du bâti et des jardins sont semblables. C’est presque une copie conforme du nôtre et une recherche approfondie permet de découvrir qu’ils sont très probablement des copies d’un plan anglais attesté au XVIIIe siècle, lui-même établi à partir d’une vieille édition française largement diffusée un siècle plus tôt. Il est rassurant de constater que des puissances étrangères aient pu être en possession de cartes inexactes. Découvrir qu’elles ont inspiré celles de notre état-major l’est un peu moins.

Le fonds du Département des Cartes et plans de la Bibliothèque nationale de France renferme heureusement des documents plus fiables, comme ce plan des années 1750 que l'on peut explorer via la carte interactive ci-dessous, associé à celui daté de 1777. Les remparts de la cité ont disparu, l'enceinte de la citadelle et son retranchement sont bien présents, tout est conforme à la réalité historique telle qu'on la connait :

Voir en plein écran.

En comparant ce nouveau document avec la vue de Maretz évoquée plus haut, on constate finalement peu d’évolution en un siècle et l’on peut se faire rétrospectivement une idée de la ville à sa création. Rasée par les guerres et la peste, Saint-Tropez renaît en 1470 d’une volonté seigneuriale de repeuplement, comme il en existe d’autres en Provence. Un pari audacieux. La ville n’est que ruines et la piraterie est une réalité en Méditerranée. On crée donc une cité aux allures de fortin, fermée d’une enceinte et protégée par des tours dont deux subsistent aujourd’hui face au large. Tombant droit dans la mer côté port, les façades des maisons servent de remparts. La greffe prend. Un siècle plus tard, Saint-Tropez compte près de quatre mille habitants. Les archives conservent aujourd’hui une dizaine de cadastres successifs pour le XVIe siècle, preuve de l’évolution continuelle et de la prospérité de la cité à cette époque. Les Tropéziens sont essentiellement marins. S’ils ont un peu d’argent, ils ont une maison en ville. S’ils en ont plus, ils habitent le quartier des jardins.

Avec l'édification de la citadelle autour de 1600 et jusqu’à son déclassement en 1873, les habitants doivent composer avec l’administration royale. Toute construction est réglementée et la ville évolue peu. Un mémoire rédigé par l’ingénieur et architecte militaire Milet de Monville en dresse un portrait en 1752 :

C’est un gros bourg ou petite ville ceinte d’une ancienne muraille, avec un faubourg. L’un et l’autre contournent la moitié du port qui est bon pour des petits vaisseaux marchands, des galères et de grosses barques. L’entrée du port est défendue par la tour de la Bourgade et par celle du Portalet.

Milet de Montville, "Mémoire sur le golfe de Grimaud et sur la ville et citadelle de St. Tropez", 1752.

La comparaison du plan actuel avec celui des années 1750 montre que la ville a conservé sa structure urbaine. Le tracé des remparts du bourg, rasés au XIXe siècle, reste lisible, celui des rues et des îlots de bâti sont presque inchangés, les jardins des faubourgs sont toujours là. Changement notable, l’urbanisation a envahi la campagne suite au déclassement de la citadelle en 1873. Apparus au tournant du XIXe siècle, les quais ont gagné les eaux. La rue, le trottoir et les terrasses des restaurants séparent désormais les maisons du port dont la superficie a été encore réduite par son extension à l’ouest :

Dans le port, les yachts ont remplacé les navires de cabotage. La plaisance ne date pas d’hier. Dans les années 1830, l’Inscription maritime y recense des navires ne servant ni au commerce ni à la pêche mais au « délassement ». Créée en 1862, la société nautique de Saint-Tropez est l’une des plus anciennes de France. La renommée de la cité remonte donc bien avant les années 1950, comme en témoigne ce guide touristique publié en 1931. À la fin du XIXe siècle, les peintres s’y pressaient déjà, on s’y bouscule ensuite tellement que Colette la fuit en 1936. Après la guerre, on vient y chercher un pittoresque loin des palaces de la Côte d’Azur, une ambiance de village de pêcheurs un peu à côté de la réalité. Car les pêcheurs sont une minorité visible. La grande majorité des Tropéziens naviguent au long cours, bien loin du regard des estivants.

Pour aller plus loin

- Un plan militaire de Saint-Tropez et de sa citadelle en 1752. Les grands ensembles de la ville y sont bien lisibles. Il est exactement contemporain du témoignage de Milet de Monville cité plus haut et pourrait, sans qu'on en ait de preuve cependant, lui avoir été associé.
Un plan militaire de la citadelle dressé en 1754 par le Chevalier de Palys.
- Les Sélections "La France en cartes" et "Cartes de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur".
- Les Sélections "Var".
- Le billet de blog "Louis Garneray, le Tour de France maritime d'un artiste corsaire".
- Le portrait de Gallicanaute "Laurent Gontier : la mémoire et les cartes".
- Les autres billets de cette série sur le géoréférencement : "Comment géoréférencer une carte disponible dans Gallica ?" (1/4), "Les environs de Versailles en 1899" (2/4) et "Suivre l'évolution des glaciers du Mont-Blanc" (4/4).

Remerciements

- Hélène Riboty, aux Archives municipales de Saint-Tropez.
- Laurent Pavlidis, conservateur du 
Musée d’Histoire Maritime de Saint-Tropez.

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