Laurent Gontier : la mémoire et les cartes
Médiéviste de formation puis journaliste de presse écrite et auteur de guides de voyage, Laurent Gontier explore les territoires à travers les archives, les cartes, les cadastres, les témoignages. Des cartes aux bestiaires, il connaît Gallica comme sa poche ! Entretien.
Bonjour, pouvez-vous nous parler un peu de vous ?
Bonjour et merci de me recevoir dans vos colonnes. La question de mon activité, c’est toujours la question piège. Elle évolue tout le temps et j’évolue dans plusieurs domaines. J’y vois cependant des constantes : la mémoire et les cartes. Elles s’entremêlent en permanence. J’ai achevé ma formation en histoire médiévale l’année où j’ai commencé à collaborer avec des éditeurs de guides de voyage. La transition s’est faite en Irlande. J’étais parti sur les traces d’un texte écrit par un clerc gallois du XIIe siècle et, en même temps, j’actualisais le guide du pays édité par un célèbre moustachu. Mes deux missions se sont nourries l’une de l’autre, la mémoire médiévale et les cartes touristiques ont fait bon ménage. C’est le tourisme qui a gagné mais l'Histoire était toujours là en toile de fond et a fini par reprendre le dessus après 15 ans à parcourir l’Europe, le Québec, un bout de l’Afrique du Nord. En 2012, j’ai eu l’opportunité de travailler sur la mémoire d’un quartier de la ville de Brest. Les cartes et les photos aériennes ont été fondamentales pour en retracer l’évolution et la restituer aux habitants. Puis, en parallèle, je me suis trouvé en position de transmettre une autre mémoire dont j’étais dépositaire en enseignant en écoles de journalisme et à l’INA. C’était la grande époque du web-documentaire (documentaire interactif en ligne) et j’animais des ateliers au cours desquels je présentais aux stagiaires et étudiants des œuvres multimédia oubliées. En effet, depuis les années 80, je m’intéressais aux différentes façons de raconter des histoires avec des ordinateurs. Il y a eu des choses fascinantes, des jeux, bien sûr, mais aussi des expériences hyper créatives désormais impossibles à vivre. Essayez de lire un CD-ROM aujourd’hui. A cette occasion, j’ai été en lien avec le service de la BnF chargé de la conservation des œuvres numériques et j’ai pris conscience de l’énorme problème que pose l’obsolescence des supports numériques dans la conservation de ce patrimoine fragile.
Comment avez-vous découvert Gallica ?
Cela remonte à si loin que j’avoue ne pas trop m’en souvenir. Mais la BnF étant pour moi depuis longtemps une institution incontournable, j’ai dû être informé très vite du lancement du site et m’y engouffrer sitôt ses portes ouvertes.
Comment votre travail de géoréférencement et de valorisation des archives géographiques a-t-il vu le jour ?
En 2013, j’ai lancé un projet, toujours en cours, sur l’île d’Ouessant en Bretagne. Les détails seraient un peu longs à développer mais la base de ce travail, c’est le cadastre. Plutôt, les cadastres, l’actuel et le napoléonien du milieu du 19e siècle. A travers eux, je voulais suivre l’évolution du territoire, il me fallait les superposer et donc d’abord les géoréférencer. Tout est parti de là. Ça a été une révélation. Pour moi, mais aussi pour les 25 collégiens de l’île avec qui j’ai mené un projet pédagogique pendant un an pour les sensibiliser au cadastre dont plus tard ils seront les héritiers. On pouvait arpenter le territoire muni d’une tablette géolocalisée qui nous montrait notre position sur une carte ancienne de l’île. On avait l’impression de remonter le temps. On a travaillé ensemble sur un village disparu qu’on a reconstitué grâce aux archives civiles et militaires et à une foule de plans anciens dont une partie provenait de Gallica. En particulier un incroyable atlas de navigation des années 1811.
Au début, je bricolais mais, au fil des ans, j’ai fini par développer une véritable compétence, une démarche. Géoréférencer, ce n’est pas simplement poser un dessin sur un autre. Ça implique observation et recherches pour être sûr que deux points qu’on s’apprête à superposer correspondent bien au même élément sur le terrain. J’ai commencé à proposer mes services à différentes institutions qui libèrent des plans et cartes anciennes. Géoréférencés, ces simples (mais magnifiques) dessins deviennent des documents que l’on peut mettre en relation avec d’autres pour établir des comparaisons inédites. Une plus-value inestimable de mon point de vue.
Utilisez-vous Gallica dans d’autres activités ? Pour des loisirs personnels ?
Oui, plein. Ado, j’étais fasciné par les manuscrits médiévaux. Comme ils étaient hors de portée, j’ai commencé à pratiquer la calligraphie pour les fabriquer moi-même. Puis je me suis lancé dans la création de livres d’artistes, des carnets de voyage mais aussi de vrais-faux-vieux-documents, comme des aides de jeux pour jeux de rôles historiques, avec un grand soucis de réalisme. Avec l’arrivée de Gallica, j’ai pu avoir accès à une base de données énorme qui m’a aidé à ajouter une bonne dose de précision dans les créations, des pièces uniques pour la plupart. J’ai ainsi réalisé quelques grimoires, le journal personnel du héros d’une websérie mais aussi les rapports d’activité d’une ONG sous forme de carnet de voyage. Le fonds Gallica m’est également d’un grand secours sur un projet au long cours, la recréation du Nécronomicon, livre maudit de l’écrivain H. P. Lovecraft qui prend chez moi la forme d’un ouvrage imprimé du 16e siècle. Ma principale inspiration est une encyclopédie médiévale, le Jardin de Santé de Jean de Cuba, un long traité sur les plantes, les animaux et les pierres digne de la bibliothèque de Poudlard. Je m’en suis aussi inspiré pour créer le bestiaire médiéval destiné à mon neveu de 6 ans pour Noël 2016. Le présent livret de coloriage en est extrait. Dans ce genre de travaux, j’apporte un grand soin au vieillissement de l’objet, aux finitions et travaille souvent avec une professionnelle de la reliure.
Une anecdote au sujet d'un document découvert dans Gallica ?
En 2016, j’ai commencé à animer un atelier de storytelling dans une école de jeux video (ISARTDigital). Je proposais aux étudiants d’écrire une histoire dans le Paris des années 60. Il fallait donc qu’ils se documentent et je les renvoyais en permanence vers les fonds de la BnF. La troisième année, je leur ai proposé de créer par groupes un Paris alternatif basé sur un incroyable plan-projet de 1785 trouvé sur Gallica. Je l’ai donc géoréférencé. Je voulais qu’en se baladant dans les rues du Paris réel ils puissent imaginer le leur. J’ai ainsi fabriqué à leur intention une sorte de Google Map de ce Paris-Bis. Elle est toujours en ligne et visible ici. Pour la petite histoire, un groupe a développé une ville traumatisée par les épidémies de choléra du 19e siècle. Chaque habitant devait porter en permanence un certificat médical et un guide de bonnes pratiques hygiéniques. Dans le contexte de pandémie actuel, je suis stupéfait de voir à quel point ils ont été visionnaires. Je les ai d’ailleurs recontactés pour les inciter à développer encore plus cet univers déjà très cohérent.
Utilisez-vous Gallicarte, récemment mis en ligne ?
Oui. Cela me fascine totalement, et comme l’annonçait la note de blog inaugurale de Matthieu Gioux, c’est complètement addictif. J’adore ce jeu qui consiste à retrouver l’emplacement de chaque document. J’avais déjà abordé la question l’an dernier en remettant au goût du jour pour le site Vergue une cartographie interactive localisant les emplacements de photos prises par Charles Marville à Paris à la fin du 19e siècle.
Quels sont vos projets prochainement ?
En plus de développer plus encore l’activité de géoréférencement et de cartographie, ils sont nombreux. Poursuivre les travaux en cours, essentiellement sur Ouessant où il reste encore des fils à tirer et un livre à écrire. Avancer tranquillement sur le Nécronomicon, mais aussi continuer deux projets en collaboration commencés ces dernières années et dans lesquels je prends en charge le volet cartographique : le projet We Need To Talk About The Border que je mène avec la photographe Elisabeth Blanchet sur les habitants de la zone frontalière entre les deux Irlandes et le projet Berlin Beyond the Wall avec le photographe Patrick Tournebœuf sur une cartographie rigoureuse des traces du mur de Berlin. On vient également de lancer Récits confinés avec l’anthropologue Pierrine Didier, un programme pour inciter le grand public à tenir et à transmettre pour étude un carnet de confinement. Parce que c’est maintenant que s’écrivent les archives de demain et que ces témoignages permettront plus tard de comprendre ce qu’on est en train de vivre.
Le mot de la fin ?
A part un merci en direction des personnels de Gallica, je ne vois pas.
Merci à vous, surtout, pour cet entretien et pour le magnifique livret de coloriage que vous nous avez proposé de partager, dès le début du confinement, avec les Gallicanautes.
Pour aller plus loin
- Le fil twitter de Laurent Gontier
- Et les sites de certains de ses complices évoqués dans ce billet :
Patrick Tournebœuf
Elisabeth Blanchet
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