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Frank Jay Gould, un milliardaire à la plage

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Frank Jay Gould, héritier milliardaire américain, a beaucoup investi dans le tourisme balnéaire en France. Son nom est lié à Juan-les-Pins et au Palais de la Méditerranée à Nice. Aujourd’hui oublié, il est pourtant une figure de l’entre-deux-guerres. Partons sur ses traces dans Gallica.

Ski nautique à Juan-les-Pins (Agence Rol, 1931)

Une vie privilégiée sous l’œil de la presse

Frank Jay Gould, né en 1877, est le dernier fils de Jay Gould, « l’homme le plus haï d’Amérique ». Self-made-man, Jay Gould a construit son énorme fortune dans  les chemins de fer. Dès sa naissance, la richesse de Frank Jay Gould est donc assurée, d’autant plus que son père meurt alors qu’il n’a que quinze ans.

Tarrytown, vallée de l’Hudson, sa région d’origine (fin XIXe siècle)

Sa sœur surveille ses fréquentations. Il épouse finalement Helen Margaret Kelly, fille d’un riche Irlandais. Il divorce quelques années plus tard et épouse en 1910 l’actrice Edith Kelly. Une ancienne maîtresse, Bessie de Voie, l’attaque en justice pour promesse de mariage non tenue et publie ses lettres d’amour dans la presse.

Son deuxième mariage se termine par des procès retentissants. Après le divorce, Edith Kelly demande une part des propriétés de Frank Jay Gould. La presse se passionne pour les exigences chiffrées de Madame (dancing et dentiste compris). En 1926, Edith Kelly renonce.

Élégante à Maisons-Laffitte, 1911

Parmi les nombreux rebondissements de l’affaire, Gould, remarié, attaque en justice son ex-femme qui utilise son nom dans sa carrière au music-hall. Excellente publicité qui permet au spectacle de rencontrer le succès. Gould, oublié aujourd’hui, est un personnage public scruté par la presse. D’ailleurs les procès des enfants de Jay Gould autour de la gestion de la fortune familiale y sont aussi largement évoqués.

En 1923, Frank Jay Gould se marie, pour la troisième fois, à 46 ans, avec Florence Lacaze, une Californienne d’origine française. Elle devient un maillon essentiel de son empire financier.

Florence Gould dans Femina (1935)

Premiers investissements en France 

En 1908, les paris hippiques sont interdits aux États-Unis, ce qui entraîne l’arrivée en France de chevaux américains et des investissements américains dans les écuries françaises.

Victoire au prix Greffühle (La Vie au grand air, 13 mai 1911)

Frank Jay Gould, grand amateur de cheval, crée donc son écurie. Il gagne des prix, notamment avec son cheval le plus connu, Combourg, et sa descendance.

Le cheval Combourg (La Vie au grand air, 13 mai 1911)

Gould investit dans le Haras du Robillard à Saint-Pierre-sur-Dives (Normandie). C’est une véritable ferme et il se vante de produire plus de mille fromages par jour.

Le milliardaire s’installe à Maisons-Laffitte, la cité du cheval, où il se fait construire une maison avec une piscine privée somptueuse.

Piscine de la Villa Edifra à Maisons-Laffitte, appartenant à Gould (La Construction moderne, 1914)

Amateur de théâtre (et d’actrices), il investit aussi dans ce domaine. Gould est ainsi l’actionnaire majoritaire du Mogador.

 

Représentation de La Belle de Cadix au Mogador en 1923 (costumes de Paul Poiret)

Juan-les-Pins

Avant la Première Guerre mondiale, la Riviera est surtout fréquentée par les Européens en hiver. L’été, ils fuient la chaleur vers le nord, sur les plages de Deauville, d’Ostende, etc. Les années 1920 marquent un tournant. Les Américains découvrent le Sud de la France et cherchent le soleil. Les milliardaires comme Gould côtoient des célébrités comme Fitzgerald, Maurice Chevalier, Mistinguett mais aussi des Américains désargentés. La force du dollar par rapport au franc permet des séjours bon marché aux artistes de la Lost Generation comme Hemingway.

 

Juan-les-Pins (Agence Rol, 1927)

Propriétaire de casino à Deauville, Édouard Baudoin pressent la bonne affaire du séjour estival au bord de la Méditerranée. Le problème est qu’il y a peu de plages de sable, ce qui est pour lui un frein au développement du tourisme balnéaire. Il en repère une, à Juan-les-Pins, hameau d’Antibes, alors loti de quelques villas. Cherchant des capitaux, il fait sans doute découvrir les lieux aux Gould qui décident d’y investir.

Plage de Juan-les-Pins en 1933 (Cnews et Agence Rol)

Frank Jay Gould rachète la Villa La Vigie pour y vivre. Picasso y séjourne en 1924 et la peint.

Baudoin, propriétaire du premier casino d’été de la Côte d’Azur, le fait reconstruire grâce à l’argent de l’Américain. Le nouveau casino ouvre en 1925. Baudoin a vu juste : en 1931, tous les grands hôtels de la Côte se réunissent et décident de ne plus fermer l’été.

Entrée du casino de Juan-les-Pins (Agence Rol, 1927)

Frank Jay Gould investit aussi dans l’hôtellerie. Il fait notamment construire l’Hôtel Provençal à partir de 1926, en face de La Vigie. Cet hôtel de luxe de 290 chambres devient un des palaces incontournables de la Riviera.

L'Hôtel Provençal dans Le Journal des étrangers (1927)

Gould fait venir de nombreuses célébrités (et souvent amis) : Cole Porter, Douglas Fairbanks et Mary Pickford, Cocteau, Estée Lauder, Mistinguett, etc.

Joséphine Baker à Juan-les-Pins (Agence Rol, 1932)

Les Gould mènent une vie très mondaine. Florence est l’ambassadrice de charme des Gould, d’autant plus que Frank Jay s’éloigne progressivement de la vie publique. Florence, elle, est partout sur la Riviera et dans les lieux de mondanité de l’entre-deux-guerres. Elle fait même la première traversée de l’emblématique paquebot Normandie. Un journaliste détaille dans un article ses denses journées sur la Côte d’Azur entre plage, restaurants, sports, yachting, magasins, casino, théâtre, danse. Elle est de toutes les soirées et de toutes les activités sportives.

Florence Gould dans Vogue (1932)

Le sport est un enjeu pour ces stations balnéaires. Les Gould sont de grands amateurs de tennis. Frank Jay Gould investit ou crée des clubs à Juan-les-Pins, Antibes et Cannes. Ils sont amis avec la star du tennis Suzanne Lenglen et assistent à ses matchs.

Juan voit aussi l’apparition en France d’un nouveau sport : le ski nautique ou aquaplane comme on l’appelle à l’époque. Apparu aux États-Unis dans les années 1920, il se perfectionne en France à Juan-les-Pins. Les Gould vont s’intéresser à cette activité, particulièrement Florence qui la pratique assidûment. Elle devient même présidente de la première fédération française.

« Aquaplane » à Juan-les-Pins, Agence Rol  (1931)

La vie à Juan-les-Pins est plus détendue, le style aussi. Les dames portent des « pyjamas » (il existe même des concours d’élégance). Puis ce pantalon ample raccourcit : les femmes portent des shorts !

La Seconde Guerre mondiale marque un coup d’arrêt mais l’activité reprend vite après-guerre. Gould prête de l’argent à la mairie d’Antibes pour la reconstruction de la ville et l’agrandissement de la plage. Juan devient le lieu de la fête sur la Côte au rythme du jazz. Certains dénoncent les conduites scandaleuses des touristes ou regrettent la privatisation de la plage.

Florence Gould sur les créneaux de sa villa la Vigie à Juan-les-Pins dans Rester jeune (1935)

Des investissements moins réussis

Fort de ce succès à Juan-les-Pins, Frank Jay Gould s’intéresse à Nice. Les établissements sur les collines sont en perte de vitesse, les estivants veulent être en bord de mer. Il existe déjà deux casinos côté mer : le casino de la Jetée-promenade et le Casino municipal. Gould souhaite construire un fastueux hôtel-casino, avec Édouard Baudoin. Rien n’est trop beau pour ce Palais de la Méditerranée.

Article sur les casinos dans Regards (1934) avec Gould en haut à gauche et Baudoin en bas

Gould rachète très cher des villas en bord de mer qu’il détruit pour implanter son palais, inauguré en 1929 et décrit dans La Construction moderne. La pierre de Lens, blanche, illumine de jour comme de nuit, jouant avec le soleil ou les puissants projecteurs. Le bar La Frégate s’ouvre sur la Promenade des Anglais, rénovée par le jeune maire Jean Médecin.

Façade du Palais de la Méditerranée dans La Construction moderne (1929)

Le style Art Déco de la façade (gommé pendant la guerre) se poursuit aussi à l’intérieur. Le hall est fait pour émerveiller les clients et les conduire vers les étages. Le béton armé utilisé permet de grandes portées et des espaces impressionnants. Peintures, sculptures, jardinières, vitraux décorent le lieu.

Hall (détruit) du Palais de la Méditerranée, La Construction moderne (1929)

Aux étages, les visiteurs trouvent un restaurant vue mer, des bars, une salle de jeux. Les clients jouent à la boule (une variante de la roulette) et au baccara. Le théâtre propose une programmation variée et permet divers congrès.

  

Salle du baccara au Palais de la Méditerranée (La Construction moderne, 1929)

Frank Jay Gould achète aussi un hôtel, le Majestic, sur les hauteurs de Nice. Il le modernise. Des garages privés sont installés. Gould introduit aussi une habitude alors américaine : le savon gratuit.

Les Gould et Edouard Baudoin au centre des « Silhouettes de la Côte d’Azur », L’Eclaireur du dimanche illustré (1933)

Mais la concurrence est rude. Gould a des difficultés à obtenir sa licence de jeux, signe de résistances contre son projet. La même année, Ruhl ouvre un autre casino.

Avec la crise de 1929, les affaires sont moins florissantes. Gould invite Charlie Chaplin à séjourner à Nice. La presse multiplie les articles sur la visite de Chaplin au casino puis ses nuits au Majestic, mettant en lumière les établissements. La rumeur attribue le séjour de Charlot à son envie de convaincre Florence de tourner dans un de ses films.

Publicité parue dans Rives d’Azur (1931)

En 1934, le Palais est endommagé par un incendie. La concurrence entre les casinos de Nice est féroce. Le Palais de la Méditerranée en fait les frais dès sa création mais aussi dans les années 1970, avec l’affaire Le Roux-Agnelet sur fond d’affaires mafieuses. Fermé en 1978, le Palais est démoli en 1990. Ne restent que les deux façades qui servent aujourd’hui de paravent à un hôtel-casino moderne.

Gould se lance vers un nouveau projet à Granville. Il reprend la même recette : hôtel-casino-sports. Il tombe sous le charme de l’Hôtel Normandy, qu’il rachète, et fait reconstruire le casino. Puis il installe un terrain de golf et une promenade le long de la mer. Son but est d’en faire la « Monte-Carlo du Nord ».

 

Hôtel Normandy, carte postale de Granville vers 1935 (Médiathèque d’Alençon)

Les investissements de Gould ne sont pas seulement balnéaires

Suite à son séjour dans la station thermale de Bagnoles-de-l’Orne en Normandie, Gould finance en 1927 l’aménagement du pourtour du lac, un hôtel et un casino. Il soutient aussi le développement des courses hippiques. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le Grand Hôtel voit passer le gotha européen. Gould se lasse vite de la station.

Manchette de L’Avenir, journal local (1926), représentant le casino et les thermes

Il s’intéresse aussi à la montagne en cherchant à développer une station de sports d’hiver à Beuil, à 80km de Nice. Gould fait construire l’Hôtel du Mont Mounier, inauguré avec des célébrités comme l’Aga-Khan. La station ne rencontre cependant pas le succès prévu.

Hôtel du Mont-Mounier vers 1933 (Agence Rol)

Un rôle trouble pendant la Seconde Guerre mondiale

Pendant la guerre, Frank Jay Gould reste sur la Côte d’Azur et Florence est à Paris. Elle tient salon et reçoit aussi des collaborateurs et des officiers allemands. On lui prête diverses liaisons, notamment avec des Allemands.

Peut-être est-ce l’occasion de continuer à faire des affaires ? En 1942, un jugement tranche en leur faveur un différend commercial concernant les casinos.

Les Gould investissent dans une banque allemande. Florence se justifie après-guerre : elle l’a fait pour éviter le camp de concentration à son mari qui se cache quelques mois à la fin de la guerre. La protectrice intente un procès pour promesse de récompense non-tenue.

Avis placardé en 1941 à Paris

On reproche à Florence son style de vie ostensible pendant l’Occupation mais elle continue à tenir un rôle dans la vie mondaine de l’après-guerre. Si les Gould ne semblent pas être inquiétés, c’est peut-être qu’ils ont aussi financé les résistants d'après les rumeurs. Peut-être aussi que leur philanthropie a joué (soutien aux victimes de la crue de 1910, octroi de 6 000 maisons démontables aux sinistrés en 1917, construction d’une église anglicane à Maisons-Laffitte, reconstruction de la tour du doyenné de Chalon-sur Saône, etc.).

Une fin de vie en retrait

Frank Jay Gould ne sort plus beaucoup de sa villa de La Vigie à Juan-les-Pins. Est-il lassé de la vie mondaine ou ses soucis de santé l’en empêchent-ils ? Son assistante Madame Homo prend de plus en plus d’importance. Sa fille Dorothy porte plainte pour séquestration. Un non-lieu intervient, le père refusant de voir sa fille.

La plage devant la propriété Gould dans un reportage sur Juan-les-Pins en 1951

Si Florence Gould est toujours évoquée dans les journaux, la vie de Frank Jay ne défraie plus la chronique que lors des vols qui se succèdent. Est-il vraiment le milliardaire triste dépeint par la presse ou n’est-ce-qu’un poncif de journaliste ? Frank Jay Gould meurt en 1956.

Caricature parue dans Fantasio (1931) sur son rôle dans l’entre-deux-guerres
« Petit palace deviendra grand pourvu que Gould lui prête vie »

Le rôle de Frank Jay Gould est reconnu dans le développement de la station de Juan-les-Pins. Ses autres investissements sont moins couronnés de succès. Le Palais de la Méditerranée lui a coûté cher, la station de sports d’hiver de Beuil s’est peu développée, Granville n’est pas devenue la Monte-Carlo du Nord. On a aussi souvent dit que Gould et son cercle sont les meilleurs clients de ses établissements.

En France, Gould a investi dans les loisirs (chevaux, théâtres), la gastronomie (le traiteur Potel et Chabot, les chocolats Rozan) et le tourisme (hôtels et casinos). A-t- il pressenti le développement d’une « industrie des loisirs » à l’instar de son père dans les chemins de fer américains au XIXe siècle ? Ou a-t-il investi dans ce qu’il connaissait, lui qui menait une vie de rentier passant d’un lieu de villégiature à un autre ?

Dans la série « Sous la plage, l’entreprise », découvrez « Arcachon, destination santé » et « Boulogne-sur-Mer, station balnéaire à la mode ». À venir cet été, Dinard.

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