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Boulogne-sur-Mer, station balnéaire à la mode

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Boulogne-sur-Mer, premier port de pêche français, évoque aujourd’hui plus une ville industrielle que balnéaire. Et pourtant, c’est dans cette ville que le tourisme balnéaire émerge dès la fin du XVIIIe siècle, avec Dieppe, l’autre oubliée de l’histoire de la plage en France.

Détail d'une affiche publicitaire pour la compagnie du Chemin de Fer du Nord (1890)

Le bain de mer sur prescription médicale

Se baigner dans la mer est longtemps resté marginal. Quelques mentions anciennes existent mais l’essor se fait à partir de la fin du XVIIIe siècle, dans un but thérapeutique. Les bains de mer se développent d’abord au Royaume-Uni comme à Brighton, Blackpool, Bournemouth, Margate. Il s’agit de faciliter la guérison des maladies ou de fortifier les corps. Des médecins comme Russel vantent le bain de mer en cas de rage, scrofule (écrouelles), lymphatisme, apoplexie (AVC), etc.

Vue de Boulogne-sur-Mer en 1725

Les Anglais vont traverser la Manche et favoriser le développement du bain de mer. Dès 1763, on trouve des mentions du médecin et écrivain Richard Smollett se baignant à Boulogne pour des raisons thérapeutiques. Cette habitude se développe à partir des années 1780.

Dans un premier temps, en Europe continentale, des établissements sont créés à Dieppe puis à Boulogne-sur-Mer. En 1785, François Cléry de Bécourt ouvre un établissement où l’on profite surtout de l’eau de mer dans des baignoires ou des douches. Les espaces sont en sous-sol pour être alimentés en eau salée par la marée. Certaines baignoires sont suspendues pour reproduire le mouvement apaisant des vagues. Hommes et femmes sont séparés dans deux pavillons.

Paysages du Boulonnais par Daniel Dave (1893)

Cléry de Bécourt symbolise l’enrichissement d’une bourgeoisie entreprenante qui obtient l’anoblissement au XVIIIe siècle. Il est issu du milieu des négociants, son père est un échevin boulonnais, sa mère est espagnole. Il naît à Séville, s’installe avec sa famille à Boulogne, s’inspire d’une pratique britannique mais c’est dans les thermes italiens qu’il faut chercher le modèle de son établissement. Cléry de Bécourt confie les travaux à l’architecte boulonnais Sannier.
Cet établissement n’est pas une grande réussite, il est sans doute trop tôt, d’autant plus que le contexte révolutionnaire ne facilite pas les choses. On observe une reprise à partir des années 1820, accentuée par la visite de la duchesse de Berry, belle-fille de Charles X, en 1825.

Deuxième établissement des bains, de Versial, façade côté mer (1825)

Un deuxième établissement des bains est fondé cette année-là, par Antoine Versial, originaire de Grenoble. Il confie la construction de son établissement au Boulonnais Joseph Marguet. Ce dernier conçoit aussi des voitures qui permettent de prendre des bains de mer. Le bain ne se prend plus dans l’établissement mais dans la mer. Sur la plage, hommes et femmes sont clairement séparés.

Voiture permettant de prendre des bains de mer (dessin Marguet), 1825

L’établissement des bains va profiter de la multiplication des préconisations médicales en faveur des bains de mer. A Boulogne-sur-Mer, Rouxel, médecin à l’hôpital, traduit les médecins anglais comme Buchan vantant les bains de mer et il loue les avantages de la plage boulonnaise.
 

L’émergence du phénomène balnéaire

L'établissement de Versial montre aussi une évolution dans la pratique balnéaire. Il propose de nombreux espaces de loisirs. Autour de la grande salle des fêtes, s’organisent des salles de lecture, billard, salons, etc. Installé sur le front de mer (alors que la ville historique se trouve en hauteur), le nouvel établissement montre une nouvelle dimension mondaine. Peu à peu l’argument médical passe à l’arrière-plan et la plage devient un loisir. Une terrasse-belvédère permet d’admirer la mer, pour l’instant bien à l’abri du soleil, sous une tente. Cet établissement, vu les tarifs pratiqués, est réservé à une clientèle huppée qui vient avec « ses » domestiques ou cherche à les recruter.

Gravure représentant le casino lors d’une kermesse, sans doute fin XIXe siècle

Racheté par la municipalité qui fait des travaux pour le rendre plus attractif, l’établissement propose à partir de 1863 de nouvelles salles d’hydrothérapie, des salons pour lire, pour jouer et une des premières piscines découvertes de France (si ce n’est la première), sur le modèle de Brighton. A partir de 1866, un aquarium pittoresque attire les clients.

Boulogne-sur-Mer en 1925, casino au premier plan (Agence Rol)
 

Loger et divertir les vacanciers

Dans le sillage de ces établissements, se développent de nombreux hôtels et restaurants.
Dans les années 1820, on compte cinq  hôtels mais leur nombre ne va cesser d’augmenter au XIXe siècle. En 1839, on en dénombre 14, en 1844 sur le plan d’Hopkins, 36.
Le profil des propriétaires est varié mais il y a souvent peu de renseignements sur eux (et encore moins sur leurs employés). L’Hôtel du Nord est géré par Victor Muhlberque, ancien officier de la Grande Armée, Parisien marié à une femme du Nord. Ces établissements cherchent à attirer la nombreuse clientèle anglaise qui apprécie précocement les bains de mer. Les hôteliers sont parfois anglais. Le nom des hôtels est révélateur : hôtels de Londres, Bedford, Bristol, White Horse, Folkestone, Royal, British, etc.

Pension de famille anglaise de Mme Fisher dans The tableau de Boulogne-sur-mer (1846)

Pour s’y retrouver, les guides ou les journaux recensent les bonnes adresses. Certains hôtels sont des références. D’abord l’Hôtel du Nord fondé par Muhlberque, qui accueille hommes d’Etat (Louis-Philippe et son fils le duc de Nemours, Napoléon III) ou de lettres (Victor Hugo, Walter Scott, etc.), puis l’Hôtel du Pavillon, devenu Hôtel du Pavillon impérial en 1854. Beaucoup ressemblent aux constructions parisiennes de la même époque.

Publicité parue dans Le Journal des étrangers (octobre 1931)

Ces hôtels évoluent sans cesse, tel l’Hôtel des Bains. Ancien « établissement d’hydrothérapie » de Cléry évoqué plus haut, il est transformé en Hôtel des bains et change régulièrement de mains.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les hôtels ont tendance à se regrouper comme le montre cette publicité pour l’« Hôtel de Calais, du Rhin et de Bruxelles », réunion de trois hôtels rue du Pot-d’Etain. Afin de se démarquer d’une concurrence féroce, il propose un accueil aux gares ferroviaire ou maritime, en 5 langues.

Vue de Boulogne vers 1922 (La France en images par le Touring-Club de France)

Dans la suite de ces hôtels, de nombreuses pensions de famille, des meublés ou des logements chez l’habitant se développent. Souvent, la famille habite au sous-sol ou au rez-de-chaussée l’été pour pouvoir louer les étages supérieurs aux touristes. C’est une pratique répandue, à tel point que lors de la reconstruction après 1945, les habitants du Portel, proche de Boulogne, demandent aux architectes et urbanistes de tenir compte de cette pratique.

 A Boulogne, il y a peu de villas. Celles-ci font leur apparition dans les stations plus tardives de la seconde moitié du XIXe siècle, comme Deauville, Le Touquet, Wimereux etc. Les villas ne font leur apparition à Boulogne qu’à la fin du siècle, dans une petite portion du front de mer.

Affiche de Jules Chéret, 1887

Des équipements voient aussi le jour pour divertir les touristes, en premier lieu un casino. En 1857, la grande rivale, Dieppe, crée un nouvel établissement de jeux. La municipalité réplique en inaugurant un casino en 1863 dans l’établissement de Versial. Les modernisations sont régulières pour que Boulogne résiste à la concurrence des autres stations balnéaires qui se développent alors. En 1895, le casino est à nouveau rénové. Il s’agit d’un équipement indispensable, rappelé dans le traité d’affermage entre la municipalité et les « nouveaux fermiers », dont voici un exemple en 1900.

Le bateau de Folkestone sort du port, avec le casino en arrière-plan (années 1890)

Un musée est aussi visitable. Les artistes sont nombreux à se rendre à Boulogne et contribuent à faire parler de la ville : Liszt, Eugène Boudin, Manet.  

Affiche publicitaire par Henri Gray, 1900
 

Faire venir des touristes à Boulogne

Les vacanciers arrivent dans un premier temps surtout par mer, venus du Royaume-Uni. Les infrastructures du port vont se développer, tant celles liées à la pêche que celles liées au transport des voyageurs. Boulogne est une étape pour les Britanniques faisant leur Grand Tour ou pour les personnalités en visite en France. Les liaisons régulières avec l’Angleterre existent depuis 1822 et elles ne vont cesser de se développer.

Affiche publicitaire (1891)
 

Les Français vont aussi se tourner vers la plage et le chemin de fer va permettre de les conduire jusqu’à Boulogne. C’est notamment le combat d’Alexandre Adam, le maire de Boulogne, conscient de la nécessité de pouvoir acheminer un grand nombre de personnes pour remplir les hôtels. Il est aussi président de la Chambre de Commerce et du Conseil général du Pas-de-Calais. Une ligne vers Amiens est créée en 1848, qui est ensuite prolongée vers Lille et surtout Paris.

Gare de Boulogne en 1925, Agence Rol

La compagnie du Chemin de Fer du Nord réalise de nombreuses publicités mettant en valeur la ville, tout comme les compagnies maritimes.

La Mairie lance aussi des aménagements pour faire face à l’afflux des vacanciers : égouts, éclairage au gaz, construction du pont sur la Liane (la rivière au centre de Boulogne), digue pour se promener en bord de mer et même certains trottoirs en marbre.

Affiche publicitaire pour la compagnie du Chemin de Fer du Nord (1890)

A Boulogne, station balnéaire à la mode, de nombreuses animations sont proposées pendant la saison : théâtre, notamment en anglais, musique, feux d’artifice, magie, sports, jeux, courses à âne, tir aux pigeons, excursions en mer ou dans l’arrière-pays, etc. Cette offre est mise en valeur dans la publicité qui se développe en cette fin du XIXe siècle. Certaines personnes sont aussi attirées à Boulogne par la dévotion mariale, la ville étant aussi un lieu de pèlerinage et de processions religieuses.
Des expositions internationales sont organisées, comme en 1866 l’exposition universelle autour de la pêche, sous l’égide de Napoléon III, ou en 1877, une exposition internationale des beaux-arts.

Pour conseiller les touristes, diverses cartes ou guides sont édités. Le guide Brunet connaît de nombreuses éditions, sous l’égide du « Comité de publicité de Boulogne ». On y retrouve l’incontournable plan détachable, des éléments historiques, les animations proposées, les heures des marées, les excursions possibles et même les places au théâtre. Il existe une version anglaise  pour cette clientèle choyée, comme en témoigne aussi The Tableau de Boulogne-sur-Mer et The Visitor’s guide in Boulogne par Griset. Le « Comité de publicité » et l’établissement des bains proposent aussi le Petit guide officiel de l’étranger distribué gratuitement aux touristes.

The Boulogne times and visitors' list, 17 novembre 1898

L’image de Boulogne est aussi diffusée plus largement par le bouche à oreille, via les photographies de famille ou les dioramas.

La mer reste perçue comme dangereuse et les baigneurs doivent respecter des précautions. Dès 1824, un ancien marin propose ses services de sauvetage de mai à octobre. Des générations de sauveteurs vont se succéder.
 

Un tourisme balnéaire de plus en plus sportif

La forte présence de la communauté anglaise va favoriser le développement de sports issus du Royaume-Uni.
Les courses de chevaux, d’avirons et les régates se développent grâce à l’anglomanie. Des sports alors plus confidentiels émergent aussi. Un club de tennis, ou lawn-tennis, est fondé fin XIXe siècle, après que les joueurs ont pratiqué sur la plage. Il regroupe une poignée de joueurs et de joueuses au pied des remparts.

Courts de tennis sous les remparts, dessin du Capitaine Martin Hardie (1917)

Le golf se développe lentement à Hardelot, en périphérie de Boulogne.
Le football apparaît. D’un jeu de gentlemen anglais en villégiature au XIXe siècle, il devient un sport apprécié des travailleurs boulonnais.
Les nouveaux modes de locomotion sont aussi l’objet de courses effrénées. Les courses de cycles sont d’abord à la mode, le but étant aussi de former de bons soldats.

Leslie Porter lors de la Coupe des voiturettes en juin 1909 (Agence Rol).

Ensuite, les courses de voitures apparaissent au  début du siècle avant de se multiplier dans l’entre-deux-guerres. Il existe même des « concours d’élégance » pour les voitures, avec parfois une vedette pour en faire la publicité.
La natation est donc loin d’être le seul sport pratiqué à Boulogne.

Miss Gilhead à Boulogne-sur-Mer, Agence Rol, 1929
 

Le déclin de l’activité balnéaire à Boulogne

Boulogne-sur-Mer doit faire face à la concurrence de nombreuses autres stations balnéaires qui se développent sur la « Côte d’Opale » et ailleurs. De plus, la ville de Boulogne, premier port de pêche français, décide de miser sur son activité portuaire et industrielle. Si au XIXe siècle, les estivants sont ravis de contempler les activités du port, c’est moins le cas au XXe siècle où les ports s’agrandissent, s’industrialisent et se ferment. Cette photographie de 1925 montre que l’industrie marque désormais le paysage boulonnais avec ses cheminées.  

Vue panoramique du port, 1925 (Agence Roll)

La Première Guerre mondiale ralentit l’activité balnéaire. La ville voit passer les troupes venues du Royaume-Uni, de Belgique, du Congo, etc. Les Américains arrivent en 1917 à Boulogne avec Pershing. Certains hôtels sont transformés en hôpitaux.

C’est surtout la Seconde Guerre mondiale qui marque un coup d’arrêt à l’activité balnéaire. Zone logistique en temps de guerre, la ville est bombardée de 1940 à 1945, par les Allemands puis par les Alliés.

Titre de l'article du Petit Journal, 7 avril 1942

La ville se vide de ses habitants lors de la Débâcle et certains peinent à retrouver leurs proches. Ensuite ce port stratégique, situé en zone rouge, est une cible des Alliés, notamment la base sous-marine allemande. Sous l’influence de la propagande vichyste, de nombreux articles, partiaux, évoquent ces bombardements et la vie de certains Boulonnais sous terre. Lorsque les Allemands quittent la ville en 1944, ils achèvent de détruire le port.

Détruite à plus de 85%, Boulogne-sur-Mer va faire l’objet d’un des plus importants plans de reconstruction en France. Ce plan va privilégier les activités industrialo-portuaires, dans la suite des projets d’avant-guerre. L’enquête publique de 1947 et la pétition qui la suit montrent des discordances : la population reproche à ce plan le manque de logements et de ne pas prendre en compte les activités balnéaires. Le plan est lancé et de grands bâtiments émergent comme les quatre tours quai Gambetta.

Image parue dans la Vigie marocaine montrant le port à la fin des années 1940

Cela change durablement la physionomie de la ville et gomme son passé de cité balnéaire à la mode. Si des villas subsistent, des châteaux et bâtiments anciens sont détruits. Le paysage est très marqué par l’architecture de la reconstruction.

De plus, si la pêche connaît une reprise difficile, c’est encore plus le cas du transport maritime qui amenait auparavant de nombreux touristes. Le service régulier vers Folkestone ne reprend par exemple qu’en 1949 et le système « no passport » pour les excursions d’un jour ne reprend qu’en 1954. Même si le trafic de voyageurs se développe ensuite, l’activité touristique est en déclin.

Chalutier sortant du port de Boulogne (années 1980)

La pêche, activité reine de Boulogne, connaît à son tour des difficultés à partir des années 1970, ce qui favorise peut-être la réflexion autour de la place du tourisme dans la ville. Le projet de Centre national de la Mer émerge. Il ouvre en 1991 sous le nom de Nausicaà, aussi jeu sur la sonorité du Casino dont il prend la place. Ses nombreux aquariums sont très courus des touristes actuels. Il s’agit du site le plus visité des Hauts-de-France. Deux casinos successifs ont aussi ouvert dans Capécure, le quartier portuaire et industriel de la ville. Forte de ces équipements, Boulogne-sur-Mer redeviendra peut-être la cité balnéaire à la mode qu’elle était au XIXe siècle.
 

Pour aller plus loin :

Retrouvez Arcachon "destination santé" dans la série « Sous la plage, l’entreprise ».

Affiche publicitaire, 1900

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