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Arcachon, "destination santé"

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« Hier solitude, aujourd’hui bourg, demain cité », la devise d’Arcachon rappelle le développement rapide de la ville sous le Second Empire. Découvrez dans Gallica comment Arcachon s’est longtemps présentée comme une « destination santé ». 

Plage d'Arcachon au tournant du XXe siècle

De timides débuts

Dès la Restauration, quelques familles bordelaises font construire des cabanes pour prendre des bains de mer sur la plage d’Arcachon. Cette pratique est encore peu courante.
Dans les années 1820, François Legallais perçoit le potentiel du Bassin d’Arcachon. La légende raconte qu’il serait tombé sous le charme d’Arcachon en cherchant un port d’attache pour ses activités de contrebande. Il aurait eu une révélation et se serait installé sur place. Cet homme entreprenant développe l’activité principale de l’époque, la pêche, en adoptant la vapeur pour les bateaux.

Hôtel Legallais dans Arcachon-guide (XIXe siècle)

C’est lui aussi qui va initier le développement du tourisme balnéaire à Arcachon. Il crée un hôtel des bains de mer sur la plage.
Ses contemporains décrivent l’hôtel comme « indien ». Il s’agit plutôt d’architecture coloniale, inspirée des voyages de Legallais en Inde. Son architecture essaime ensuite dans les autres constructions d’Arcachon. En 1860, le médecin Corrigan dit que cela donne à la « localité la pittoresque apparence d’un groupe de bungalows indiens établis dans une clairière de pins américaine ».

Les notables de La Teste, puisqu’Arcachon est encore dépendante de cette commune, poursuivent le développement de la localité. Il est très rapide comme le constate les contemporains. Le premier maire Alphonse Lamarque de Plaisance choisit la devise suivante : «  Heri solitudo, hodie vicus, cras civitas » soit « Hier solitude, aujourd’hui bourg, demain cité ».

Bassin d’Arcachon au XVIIIe siècle

Un des piliers est l’abbé Mouls. C’est l’un des vicaires de La Teste qui va être nommé dans la nouvelle paroisse indépendante d’Arcachon, qui devient aussi une commune par décret impérial en 1857. Il n’a de cesse de faire venir des estivants sur le Bassin. Il crée une procession nautique, développe la culture des huîtres, une harmonie municipale et autorise la construction d’un temple protestant. Ce temple est dans un premier temps anglican, pour accueillir la clientèle anglaise, la première d’Europe à apprécier les bains de mer. Ce curé entreprenant dérange la municipalité et sa hiérarchie. Le cardinal le somme en 1869 de quitter la ville pour une nouvelle cure. Son rôle est ensuite oublié avant d’être redécouvert un siècle plus tard.

Le développement sous le Second Empire

L’abbé Mouls aurait attiré Emile Pereire à Arcachon en lui vantant les mérites du Bassin pour guérir son asthme. Emile Pereire ne respire bien qu’à Arcachon et décide de développer la station balnéaire. L’histoire est belle mais les véritables motifs sont sans doute à chercher ailleurs.

Portrait d’Emile Pereire (Bingham).

Emile Pereire, avec son frère Isaac, sont les grands financiers du Second Empire. Juifs bordelais, ils s’installent à Paris chez leur oncle qui leur ouvre les portes de la finance parisienne et leur fait rencontrer les Rothschild, Hottinguer, etc. Les Pereire perçoivent très tôt le potentiel du chemin de fer. Ils sont à l’initiative de la ligne Paris-Saint-Germain-en-Laye dont la concession leur est accordée en 1837. Les frères Pereire s’enrichissent dans les transports, la banque, les travaux publics ou les mines, activités emblématiques de l’économie de la seconde moitié du XIXe siècle.

Carte des chemins de fer du midi en 1869

Ils soutiennent les ambitions de Napoléon III dans le Sud-Ouest. L’empereur, attaché à Biarritz, la rivale d’Arcachon, souhaite développer les Landes. Comme en Sologne ou en « Champagne pouilleuse » (aujourd’hui « crayeuse), il s’agit de valoriser des terres incultes. On plante alors des pins dans les Landes. Les frères Pereire investissent dans les forêts pour exploiter les résineux et dans le réseau de routes voulu par l’empereur.

Forêt sans doute de Cazaux plutôt que de Cageaux (1890)

Le bord de mer n’est pas oublié. En 1852, les frères Pereire créent la ligne ferroviaire Bordeaux-La Teste, confiée à leur Compagnie du Midi. Pour rentabiliser le train toute l’année, les Pereire souhaitent développer le séjour médical en hiver. On pense à l’époque que le bain de mer est bon contre les maladies comme la tuberculose. La Ville d’Eté, au bord de la plage, va donc être complétée par la Ville d’Hiver.

Villa Pereire représenté dans Le Monde illustré (1864)

Sur les hauteurs, les frères Pereire vont lotir un terrain pour créer une ville aux rues courbes pour éviter les courants d’air néfastes. C’est aussi une opération immobilière intéressante, comme ils l’ont déjà fait autour de la plaine Monceau à Paris. Leur neveu Paul Régnauld est chargé de construire des villas accueillant les malades, leur famille et leurs domestiques, au milieu des pins atténuant les vents marins. Un parc à l’anglaise est créé ainsi qu’un Casino mauresque. Les villas semblent toutes différentes mais ont des plans très proches et utilisent des éléments préfabriqués. Les lots sont ensuite revendus par les Pereire pour rentabiliser leur investissement.

Villa Pereire représenté dans Le Monde illustré (1864)

Parmi ces constructions, la villa Pereire accueille une des visites de Napoléon III. Celui-ci vient deux fois et attire l’attention sur Arcachon. La première en 1859, avec sa femme Eugénie. Ils arrivent dans une ville décorée pour l’occasion, accueillis par la foule et les bateaux pavoisés au loin. L’empereur revient en 1863, une fois la Ville d’Hiver commencée. On lui glisse à l’oreille les agrandissements nécessaires pour mieux accueillir les touristes.

Paru dans La Revue hebdomadaire en 1933

Vue vers la Ville d’Hiver et le Casino mauresque (1870)

En plus du soutien de l’empereur, la venue de personnes célèbres permet de faire parler de la ville. Il s’agit de continuer le développement de la station balnéaire, du Second Empire à la IIIe République. Ainsi les journaux dressent des listes des personnes séjournant en ville et relatent les visites de personnes connues. Ainsi, à l’instar de la clientèle privilégiée, le peintre Toulouse-Lautrec y séjourne. La visite de Sissi, l’impératrice d’Autriche, fait grand bruit en 1890. Ce qu’elle mange, fait ou achète dans les commerces de la ville est détaillé dans les journaux. Des personnalités s’installent. L’écrivain Gabriele d’Annunzio vit à Arcachon dans les années 1910 où il visite ses amis Paul Marguerite ou Rosny jeune installés à Hossegor.

Années 1890, France-Album d’A. Karl

Une activité balnéaire tournée vers la santé

Le séjour balnéaire est aux origines fortement lié à la santé grâce à l’air marin vivifiant, aux températures hivernales clémentes et aux bains de mer. On reproche parfois aux eaux du Bassin d’être trop calmes pour être « efficaces » même si cela peut être rassurant au XIXe siècle. Pour vanter la singularité du Bassin et attirer les clients, on met en valeur l’atout de la ville : les pins. Les « effluves balsamiques » des conifères auraient un effet positif sur les maladies respiratoires. Respirer l’odeur des pins permet de renforcer les onctions de térébenthine préconisées par certains médecins. D’autres prescrivent aussi des bains de sable chaud.

La Plage d’Arcachon (1870)

On crée des sanatoriums pour que les personnes atteintes de maladies pulmonaires profitent de l’air marin chargé de senteurs de pin. Le Dr Armaingaud crée des établissements d’abord philanthropiques, catholique et protestant, pour accueillir dans un premier temps la bourgeoisie de Bordeaux. Cette activité va se développer, notamment avec la création de la Ville d’Hiver des Pereire. La bonne société y séjourne alors que les enfants modestes résident dans l’établissement du Moulleau.

Sanatorium du Moulleau (années 1890, France-Album de A. Karl)

Pour mettre en lumière Arcachon, les Pereire font venir un congrès national de médecine à Bordeaux en 1862 avec visite collective sur le Bassin pour vanter les mérites de la Ville d’Hiver. Jusqu’alors, les sanatoriums étaient installés à la montagne ou sur la Côte d’Azur, l’air océanique étant considéré comme trop violent pour les malades. Il s’agit donc de mettre en valeur les atouts d’Arcachon.

Vue de la Ville d’Eté (Agence Rol, 1913)

De nombreux médecins sont installés à Arcachon, telle la « dynastie médicale » des Lalesque. Ces derniers s’associent à l’architecte Ormières pour créer des « chalets de cure » et des « villas hygiénistes » faciles à entretenir et peu décorés. Les médecins siègent au conseil municipal, dans les associations sportives et aux comités des fêtes. Ils donnent des conseils sur l’architecture, la nourriture et les activités des résidents.

Photographie représentant la plage vers 1890-1914

Pour amplifier les effets du séjour à Arcachon, on propose des « produits dérivés » utilisant la renommée de la ville. Ainsi, après avoir bu à la Buvette de la Ville d’Hiver de la sève de pin, il est possible d’acheter des pastilles à la sève de pin, des sirops, des infusions ou de l’huile essentielle. Le pharmacien Masgnaux crée une usine qui propose ces produits. D’autres le suivent et visent une clientèle internationale. Ces sirops et pastilles sont utiles dans toutes les situations, notamment pour les ecclésiastiques avant leur sermon. Les pastilles Lechaux trouvent une solution pour lutter contre l’utilisation de l’opium ou de la codéine : la cocaïne…

Publicité parue dans Istanboul en 1891

Après tous ces bons soins prodigués à des générations de touristes, la ville souhaite le statut de « station climatique ». La loi de 1910 lui permettrait ainsi de percevoir une taxe de séjour, revenus déterminants pour une ville qui évolue pour rester à la mode (digue-jetée construite en 1913). La municipalité va s’efforcer de faire reconnaître les bienfaits du séjour à Arcachon par l’Académie de médecine et le Conseil supérieur d’hygiène. La ville devient station climatique en 1914. Ainsi, les assurances sociales des années 1930, puis la Sécurité sociale après 1945, remboursent aussi une partie des frais de séjour.

Photographie d’Emile Duchemin (vers 1890-1914)

Après la Première Guerre mondiale, une découverte fortuite va permettre de développer le thermalisme à Arcachon. En 1923, aux Abatilles, un forage à la recherche de pétrole permet de découvrir la source Sainte-Anne, à 465 mètres de profondeur. A 25°C, faiblement minéralisée et très pure, elle permet de créer une Société thermale des Abatilles qui exploite un établissement de bains et une buvette mais aussi l’embouteillage de l'eau (700 000 bouteilles en 1930). Pour mettre en lumière cette nouvelle activité thermale, le sultan du Maroc se rend à Arcachon en 1926. Cela ne permet pas à Arcachon de rivaliser avec les grandes stations thermales. Elle demande le titre de station thermale à partir de 1937 et ne l’obtient qu’en 1954. L’activité thermale va décroître, l’établissement ferme en 1969. En revanche, l’embouteillage va prospérer et être racheté par Vittel puis Nestlé et Perrier.

Affiche publicitaire (1920)

Loisirs balnéaires

Dès le milieu du XIXe siècle, de nombreux équipement sont là pour occuper les vacanciers, malades ou non. Dès l’arrivée à la gare, le Buffet chinois dépayse les visiteurs tout en soulageant leur faim.

Vue du Buffet chinois et de la gare (1873)

Les Pereire prévoient dans la Ville d’Hiver des équipements. Le Casino mauresque s’ajoute au Casino de la Plage ou Casino Deganne (du nom de son fondateur, homme important pour le développement d’Arcachon) construit en 1853 dans la Ville d’Eté. Le casino est indispensable dans une station balnéaire. En 1863, on crée l’Observatoire Sainte-Cécile, belvédère haut de 25 mètres, structure métallique encore présente aujourd’hui pour admirer le paysage. La même année ouvre un musée-aquarium. Des digues ou une jetée sont construites pour se promener. De nombreux guides de voyage proposent aux touristes des itinéraires de découverte.

Casino Degane, plage d’Arcachon (Agence Rol, 1913)

Les casinos et les hôtels organisent une riche vie mondaine faite de divertissements. Les établissements, notamment le Grand Hôtel ou l’Hôtel Continental, fonctionnent toute l’année. Il n’y a pas de travailleurs saisonniers dans la seconde moitié du XIXe siècle. Toutes les activités d’une ville balnéaire sont présentes à Arcachon : excursions en bateau, en charrette ou voiture, régates, sports, balades dans la forêt, chasse, achat de produits locaux (huîtres), etc. Des animations ont lieu toute l’année, des bals costumés aux fêtes africaines ou américaines en passant par des concerts ou des représentations théâtrales.

Vue du Moulleau au tournant du XXe siècle

Certains loisirs sont plus locaux comme les arènes ou les spectacles de Sylvain Dornon. Ce boulanger arcachonnais souhaite magnifier les fameuses échasses landaises, folkloriques depuis l’assèchement des marais. Il commence par organiser un spectacle en 1889 dans le parc du Casino mauresque, avec courses d’échasse et un spectacle de danse « le quadrille des échassiers ». On le retrouve la même année à Paris sur la Tour Eiffel pour l’Exposition universelle et il se lance, toujours en échasses, dans un Paris-Moscou. Dornon est vite démasqué : il prendrait le train entre deux étapes. De plus, il aurait de sérieux soucis financiers. Son retour de Moscou est donc discret et l’intérêt du public pour les échasses retombe.

Dessin de Théodore Caruelle d’Aligny (seconde moitié du XIXe siècle)

Arcachon au XXe siècle

Au tournant du XXe siècle, le séjour balnéaire est de moins en moins médical et de plus en plus tourné vers les loisirs. A partir de l’entre-deux-guerres, on valorise un corps sain. Une opposition émerge à Arcachon : ceux qui veulent continuer à miser sur le tourisme médical et ceux qui pensent qu’Arcachon souffre de l’image de ville de malades, les « files de tuberculeux » ne permettant pas d’attirer de nouveaux touristes.

Malades accompagnés dans l’eau (France-Album de A. Karl, années 1890)

En 1913, le maire propose au Conseil municipal d’interdire « l’accès de la ville aux moribonds ». Quelques années plus tard, il refuse l’ouverture d’un hôpital pour les soldats tuberculeux. Il s’agit de montrer l’image d’une station balnéaire plus dynamique. Cela n’empêche pas la partie adverse de créer un sanatorium en 1922, avec le Dr Monod.

Finalement, la ville va davantage se tourner vers le préventif que le curatif. Des « préventoriums » vont se développer, plus que des « sanatoriums ». Cela permet d’accueillir des enfants plutôt que des adultes malades.

Photographie de l’Agence Rol (1920)

Démodée, la Ville d’Hiver est délaissée et l’attention va se reporter vers la plage et la Ville d’Eté. Dans les années 1970, certaines habitations sont délabrées mais la population arcachonnaise se mobilise pour valoriser ces constructions et les sauver. La Ville d’Hiver fait aujourd’hui partie du parcours de tout touriste visitant Arcachon. Arcachon s’est développée, une Ville d’Automne et une de Printemps sont créées, tout le Bassin s’est urbanisé.

 

 Affiche publicitaire (1986)

Retrouvez dans la série "Sous la plage, l'entreprise", Boulogne-sur-Mer, station balnéaire à la mode. Rendez-vous l'été prochain pour la suite. 

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