Lyon et Maisons-Alfort : les deux premières écoles vétérinaires du monde
Fondées par Claude Bourgelat (1712-1779), les deux premières écoles vétérinaires du monde sont le fruit d’une vision politique et d’une ambition personnelle, entre deux hommes de pouvoir au sein de la royauté française sous Louis XV.
Origine et création
Bourgelat, Claude (1712-1779). s.d. - Musée ENVA
Si Bourgelat est imprégné des idées des Lumières et convaincu du progrès humain grâce aux sciences, la création d’une école vétérinaire répond en premier lieu à plusieurs problématiques concrètes de la France du XVIIIème siècle : l’état sanitaire critique du cheptel, fragilisé et décimé par de nombreuses épizooties en Europe ; un monde agricole ancré sur ses traditions et des pratiques ne générant que de faibles rendements ; des disettes et des guerres à répétition fragilisant les populations.
Cours d'hippiatrique, ou traité complet de la médecine des chevaux... / Lafosse, Philippe Etienne. Paris : Edme, 1772
Bertin, désormais Ministre de l’Agriculture, refuse de transférer l’Ecole de Lyon à Paris. En effet, intimement convaincu de l’intérêt des écoles vétérinaires pour l’économie du royaume, son idée, visionnaire et salutaire, est plutôt de les multiplier sur tout le territoire. Après une tentative avortée à Limoges entre 1766 et 1768, une nouvelle école royale vétérinaire est ouverte en octobre 1766 sur le domaine du château d’Alfort, après une installation provisoire à Paris durant l’hiver 1765-1766.
Elèves et professeurs
Les élèves n’arrivent pas tout de suite dans la première école de Lyon. Le premier y entre le 13 février 1762, alors que l’école n’est officiellement ouverte que depuis le 1er janvier.
" La réputation de la nouvelle École ne tarda pas à s'établir, et le nombre des élèves s'accrut rapidement. A la fin de la première année on en comptait 38 ; il en entra 52 en 1763, 36 en 1764, 35 en 1765."
La première des conditions d’admission est de savoir lire et écrire. Mais d’autres critères de recrutement, non rédigés dans cette annonce d’ouverture de l’école, sont essentiels pour Bourgelat. Il ne veut ni nobles ni gentilhommes :
[…] ils exigeraient des attentions et des égards qui nuiraient aux véritables élèves ».
Ainsi Bourgelat préfère de loin les fils de cultivateurs ou de maréchaux-ferrants, plus dociles et plus aptes aux travaux pénibles.
Ecole vétérinaire d'Alfort, de Lyon et de Toulouse / Dumaresy, Armand. s. d. BIU Santé Médecine
Les premiers professeurs sont Pierre Pons, « démonstrateur d’anatomie et chirurgie », Honoré Fragonard, cousin du peintre et anatomiste réputé, ainsi que Claude Flurant (ou Fleurant), membre du collège de chirurgie de Lyon, auteur d’un ouvrage sur l’anatomie humaine et animale.
On sait peu de choses sur le personnel enseignant si ce n’est qu’il a beaucoup changé au cours du temps dans les deux écoles. Bourgelat exprimera d’ailleurs ouvertement son profond mépris envers les professeurs, comme le montre cet extrait d’une de ses lettres datée du 11 octobre 1764 :
Je dois vous observer que les professeurs ne sont point des gens assés sûrs pour les comprendre dans des lettres patentes en qualité de requérans, et qu'il est de toute nécessité de les tenir toujours dans la plus grande subordination et comme des gens à gages qu'on peut congédier au moindre mécontentement... Il convient beaucoup mieux que la requête soit en mon nom et que ces gens-là n'y paroissent pas »
Enseignement et fonctionnement
Bourgelat a pour ambition de valoriser le métier de maréchal-ferrant, consacré exclusivement aux chevaux, en l’ouvrant aux autres bêtes (bœufs, mouton notamment).
Comme le stipule le règlement des écoles finalisé en 1777 :
Non-seulement on aura en vue, dans toutes les expériences que l'on fera, l'avancement des élèves, mais les portes des Écoles seront sans cesse ouvertes à tous ceux qui, chargés par état de veiller à la conservation des hommes, auront acquis par le nom qu'ils se seront fait le droit d'interroger la nature, chercher des analogies et vérifier des idées dont la confirmation ne peut être qu'utile à l'espèce humaine ».
L’enseignement est gratuit mais les élèves doivent s’acquitter des frais concernant l’uniforme, les « livres et instruments », l’hébergement et les repas. La durée des études n'est pas fixée à l'origine. Elle varie de deux à quatre ans. En 1777, 4 années de séjour sont exigées pour l'obtention du « brevet de privilégié du roi». Celui-ci permet d'exercer l'art vétérinaire dans la province d'où est originaire le titulaire, mais aussi hors de la province, en cas d’épidémie à combattre.
A la lecture des prix annoncés à l’ouverture de l’école, les disciplines professées seraient les suivantes : anatomie, physiologie, « opérations, pansements et maladies externes », et enfin « maladies internes et médicaments ». Dans une autre source « Éloge de M. Huzard, inspecteur-général des écoles royales vétérinaires de France », d’autres enseignements sont cités tels que la pharmacie, la matière médicale, la chimie, l’application des bandages.
Médaille d'un prix de pratique de l'école royale vétérinaire. s. d. - Musée ENVA
Mais derrière les hautes et belles idées de Claude Bourgelat sur ce que doivent représenter ces nouveaux médecins vétérinaires, l’organisation des deux écoles ne déroge en rien à l’absolutisme et à l’autoritarisme du seul maître à bord : Bourgelat lui-même. Une discipline de fer y est exigée, alliée à une forte valorisation du sentiment d’honneur.
L’ organisation administrative initiale des écoles est peu documentée. Dans le courant du XIXe siècle, elle est pyramidale, du directeur-inspecteur général au sein de l’administration des Ecoles jusqu’aux chefs et sous-chefs en passant par les professeurs. Les échelons se gravissent au mérite.
Dès que des élèves seront fortifiés dans quelques parties, on les chargera d'abord d'en faire des répétitions comme sous-chefs, ensuite des leçons en qualité de chefs, et insensiblement ils deviendront capables de les professer toutes; c'est ainsi que, sans aucun secours étranger, les Ecoles vétérinaires ont vu et verront former leurs maîtres. »
Diffusion de l’art vétérinaire en France et en Europe
Les premiers vétérinaires diplômés connaissent de grandes difficultés dans l’exercice de leur art, au sein même de leur province d’origine. En effet, la très grande majorité des paysans accorde tout au plus leur confiance aux soigneurs « empiriques », au mieux des maréchaux spécialisés dans le soin exclusif des chevaux, au pire des charlatans adeptes de rites magiques. Ces nouveaux professionnels, bien qu’issus du milieu rural, sont suspectés d’être peu compétents, incapables d’appliquer une médecine traditionnelle encore si chère aux fermiers.
Cette concurrence entre maréchaux et vétérinaires, les premiers revendiquant l’héritage de l’art hippiatrique ancestral et les seconds issus d’une nouvelle science inconnue alors, perdure tout le long du XIXe siècle. Napoléon 1er tente de réunir les deux parties en créant en 1813 un diplôme de « maréchal vétérinaire » (3 ans d’études) et celui de « médecin vétérinaire » (5 ans d’études), avec comme objectif d’inclure progressivement les soigneurs traditionnels des chevaux dans la formation des vétérinaires professionnels.
Malgré cette difficulté d’ordre culturel, plusieurs écoles vétérinaires en Europe sont créées par des élèves envoyés par leur pays à Lyon ou Alfort : Pieter Abildgaard et l’école de Copenhague en 1771, Brugnone et la première école étrangère à Turin en 1769, Charles Vial de Saint Bel et la Royal Veterinary College de Londres en 1792, d’autres encore avec l’école de Milan en 1791 ou même Istanbul.
Et quelque 150 ans après sa création, l'école vétérinaire d'Alfort formait toujours des « hommes utiles », fiers de leur métier.
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