L’hippiatrie : de l’Antiquité à Bourgelat
Parmi les animaux domestiqués, le cheval est celui qui participa le plus au développement civil, agricole et militaire des civilisations au cours du temps. L’hippiatrie, science ancestrale concernant la santé et les soins aux chevaux, est au cœur de la médecine vétérinaire réinventée par Claude Bourgelat au 18ème siècle.
Le soin ou du moins l’attention portée aux animaux remonterait aux premiers âges de la domestication animale. Les arguments pour spécifier des dates font débat. Cependant, au cours des âges anciens, il apparait nécessaire de se pencher sur la santé des animaux pour assurer un élevage de plus en plus intensif. Cet aspect économique et sanitaire se retrouve dans le code Hammourabi (1792-1750 avant J. C.), recueil de sentences civiles et pénales du IIème siècle avant J. C.. Parmi tous les animaux, les chevaux sont particulièrement suivis et sont largement décrits par les auteurs antiques. Ils participent non seulement aux travaux agricoles (tout comme le bétail), mais aussi aux conquêtes militaires et au développement du commerce s’étendant toujours plus rapidement vers les autres contrées.
Le premier traité d’hippiatrie connu est L'Art de soigner et d'entraîner les chevaux, gravé sur des tablettes d’argile par Kikkuli, maître écuyer hittite, au XIVème siècle av. J.-C.. Le philosophe et chef militaire Xénophon (Vème - IVème siècle avant J. C.) nous a laissé De l'équitation, un traité technique sur l'acquisition, le dressage et l'entretien du cheval. Plusieurs auteurs majeurs sont plus tardifs (cinq premiers siècles de notre ère) : Apsyrtos, Hiéroclès, Hippocrate [surnommé « l'hippiatre »], Pélagonios (Pélagonius), Théomnestos, Eumèlos de Thèbes et Anatolios. Au Xème siècle, sous le règne de l’empereur Byzantin Constantin Porphyrogénète (905-959), leurs textes sont réunis avec plusieurs auteurs contemporains ou ultérieurs. Notons que bien plus tard, en 1924 et 1927, E. Oder et K. Hoppe, réunissent un grand nombre de fragments de ces textes dans le Corpus Hippiatricorum Graecorum.
Le Cheval, encyclopédie de l'équitation et des sports hippiques, par Étienne Saurel..., 1970
Les hippiatres anciens, dont les principaux écrits remontent à la période gréco-romaine, étudient très attentivement la conformation des équidés, leur élevage, leur entretien et leurs maladies. Ils évoquent des mélanges complexes de connaissances. On trouve des remèdes essentiellement pharmaceutiques (plantes, minéraux, produits animaux ou humains) donnés sous forme de breuvages par le nez ou la bouche, ou dispensés sous forme de cataplasme ou d'onguent. La chirurgie (cautérisation, suppression de masses jugées inutiles ou saignées) est moins fréquente, car elle laisse des cicatrices qui peuvent défigurer le cheval et diminuer son prix. Les traités évoquent aussi des traitements où la magie s’invite (formules incantatoires, gestes d'encerclement de la maladie) et des références à la théorie des humeurs.
Traité des chevaux, sans titre ni nom d'auteur, 1670 [Manuscrit]
Organes malades (image de gauche) et anatomie (image de droite)
Au Moyen-âge, la médecine vétérinaire est plus avancée chez les Arabes, qui éprouvent une véritable vénération pour le cheval. Ils s’intéressent très attentivement à ses défauts et ses maladies à la recherche des soins appropriés. Ils écrivent des traités dès le début du V-VIème siècle. Au VIIème siècle, Mohammed ibn Jakoub écrit un des premiers textes hippiatriques arabes connus. Du Xème au XIIème siècle, les écrits encyclopédiques sont nombreux avec une place prépondérante faite au cheval. A partir du XIIème siècle, les traductions arabo-latines et les échanges entre les différentes cours royales permettent au savoir hippiatrique arabe de se transmettre abondamment à l’Occident. On trouve aux siècles suivants de nombreux écrits significatifs de la ferveur des arabes envers les chevaux. Citons notamment le Nâçerî (le défenseur), célèbre traité d'hippologie (science qui étudie le cheval dans sa globalité, incluant l'anatomie de l'animal, le comportement, la maréchalerie, l'hygiène, le dressage et l'élevage), rédigé par Abû Bakr ibn Badr (Abou Bekr ibn Bedr, Ibn El Moundir) entre 1310 et 1330.
Au Haut Moyen-âge occidental (entre 400 et 1100 environ), la médecine vétérinaire du cheval ne connait pas de développement conséquent. Il y a peu de sources. Citons néanmoins Pélagonius et son traité Ars veterinaria, au milieu du IVe siècle ou encore Végèce qui écrit au Ve siècle Digesta artis mulomedicina, une compilation de textes sur la médecine vétérinaire des chevaux et du bétail. Puis une longue période d’obscurantisme entraine le remplacement de la médecine «scientifique» par une médecine religieuse tournée vers les prières aux différents Saints, presque exclusivement orientée vers les hommes. En ce qui concerne le cheval, il faut attendre le XIIIème siècle pour trouver un traité d’hippiatrie conséquent, avec la Mareschaucie de chevax de Jordanus Rufus, ouvrage de référence en Occident. En ce siècle, le renouveau de l’hippiatrie, à partir de l’Italie du Sud, va connaître un essor considérable, permettant aux chevaux de bénéficier d’une science reconnue et jugée désormais nécessaire.
Du XIV siècle au XVIème siècle, les chevaux font toujours l’objet de la plupart des écrits traitant des soins ou de chirurgie aux animaux. Au cours de ces siècles, le maréchal-ferrant exercera l'ensemble des soins aux chevaux, dont l'hippiatrie. Les ouvrages de maréchalerie permettent de transmettre de manière empirique l’art de forger et de mettre les fers. Le savoir hippiatrique se transmet probablement plus de manière orale entre les générations des maréchaux-ferrants qui sont administrativement autorisés à soigner et sont bien admis par les populations locales, particulièrement dans les campagnes attachées aux pratiques séculaires.
Au XVIème siècle, les monographies sur la ferrure et l’hippiatrie deviennent plus nombreux. C’est notamment lors de ce siècle et au suivant que les manuscrits antiques d’hippiatrie, réunis une première fois au Moyen-âge (cf. plus haut), sont l’objet de nouvelles éditions en latin puis en grec. Ils sont ensuite translatés en français en 1563 par Jean massé avec l’art vétérinaire ou grande maréchalerie puis en 1647 par Jourdain dans la vraye cognnaissance du cheval. En 1664, Jacques de Solleysel fait paraître son ouvrage de référence, le parfait mareschal , un traité à succès qui servit longtemps.
Au XVIIIème siècle, Claude Bourgelat est l’héritier très critique de la maréchalerie. Il a sa propre conception de la ferrure, art qu’il étudie de façon approfondie et lui sert de base pour (re)créer les sciences vétérinaires. Ces dernières concernent principalement les chevaux mais s’intéressent désormais plus attentivement et de façon expérimentale aux autres animaux d’élevage et d’importance économique (bétail), afin de leur apporter les soins nécessaires à leur exploitation économique, dans un contexte de nombreuses épizooties frappant les cheptels français. Toutes choses que Bourgelat peut mettre en œuvre grâce à la fondation des deux premières écoles vétérinaires à Lyon en 1762 puis à Alfort en 1766. Notons que deux autres hippiatres, contemporains et grands concurrents de Bourgelat, Etienne-Guillaume Lafosse (17.. ?-1765) puis son fils Philippe-Etienne (1738-1820) publièrent eux aussi nombre d’ouvrages de maréchalerie ; concurrence qui servit probablement aussi à l’émulation entre leurs conceptions de la médecine vétérinaire (re)naissante et donc à son développement ultérieur.
Le cheval : choix, éducation, hygiène, élevage. Médecine / par P. Mégnin,..., 1884-1892
Dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, la maréchalerie va coexister avec l’hippiatrie vétérinaire réinventée par Bourgelat. Du XIXème siècle jusqu’au XXème siècle, ces deux composantes du soin aux chevaux se fondent et deviennent partie intégrante de la nouvelle médecine vétérinaire qui se développe progressivement puis s’impose définitivement jusqu’à nos jours.
Pour aller plus loin :
Série : Claude Bourgelat, pionnier de la médecine vétérinaire
1/4 : Claude Bourgelat : aux sources de la médecine vétérinaire
2/4 : Lyon et Maisons-Alfort : les deux premières écoles vétérinaires du monde
4/4 : Claude Bourgelat et l'aventure encyclopédique
Sélections de Gallica / Patrimoine équestre / soins du cheval
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