Les cris de Paris
Les cris de Paris sont une longue tradition, aussi bien littéraire qu'iconographique, de représentation des colporteurs faisant la réclame de leurs marchandises dans les rues de Paris.
A l'occasion de la publication des pages sélections "Histoire de Paris", et tout particulièrement d'une page dédiée aux "Cris de Paris", nous vous invitons à déambuler parmi les nombreux documents de Gallica qui attestent de la continuité de ce thème depuis le moyen-âge.
On se souviendra peut-être de l'évocation des cris de Paris dans le long passage que Marcel Proust leur consacre dans la Prisonnière (A la recherche du temps perdu T.6); ce faisant, il s'inscrit dans une longue tradition littéraire et iconographique, qui a cours au moins depuis le XIIIème siècle.
Les cris sont appréhendés dans leur musicalité, plutôt que comme une cacophonie inextricable et simultanée, ils se succèdent les uns aux autres, de façon concertée. Ces apparitions-disparitions successives, projetées sur les murs de la chambre du narrateur telle l'imagerie chatoyante d'une lanterne magique, sont saisis au vol par Albertine, auxquels elle répond par l'inconstance de ses goûts et de ses caprices, aussi fugaces que les cris des marchands de saison.
Ces cris représentent bien l'abondance et la menace de toutes les tentations qui se trouvent au dehors; la libre circulation des marchandises et des êtres est une promesse certaine de l'infidélité d'Albertine et de sa disparition à venir.
Mais pour l'heure, chaque marchandise est comme sublimée dans sa quintessence par son criage immémoriel,
A la romaine, à la romaine,
on ne la vend pas, on la promène.
Publié en 1265, le Dit des Crieries de Paris de Guillaume de Villeneuve est le plus ancien poème entièrement consacré à ce sujet; il compte environ cent trente cris harmonieusement insérés dans ses octosyllabes. De manière similaire à celle de Marcel Proust, c'est au cours d'une déambulation que nous sont délivrés les cris de Paris, lors d'une promenade commencée dès l'aube jusqu'au soir dans les rues de Paris par le narrateur. Les sens aiguisés par la faim, jongleur de son état, il s'agit d'un pauvre hère qui parcourt la ville du matin au soir, sans pouvoir apaiser sa convoitise aiguillonnée par le criage de toutes ces victuailles.
Les cris de Paris rythment les heures du jour, selon l'activité des marchands ambulants. Un des premiers cris de l'aube est celui des bains publics et des étuves:
Le soir venu, la journée se clôt sur le cri du marchand d'oublies, des pâtisseries légéres, cuites en fin d'après-midi avec les restes de la pâte laissée aux apprentis. Ils pouvaient le soir venu la vendre à leur compte dans les rues de Paris:
Le soir orrez sanz plus atendre,
A haute voiz sanz delaier :
Diex ! Qui apele l’oubloier ?
Nous retrouvons les crieurs d'oublies dans un recueil anonyme de 18 gravures sur bois colorées, le plus ancien qui nous soit parvenu, contemporain du règne de François Ier (1515-1547) et parmi les premières images sur ce thème. Chaque métier est présenté avec son cri en caractère gothique, précédé d'un quatrain sur le même sujet.
Durant le parcours de cette journée, toute la ronde alimentaire de Paris est déployée avec ces quelques 130 cris. De la même façon, un autre poème contemporain, Le Dit du Mercier, corporation dont on disait "Marchand de tout, faiseur de rien", est un long inventaire documenté de toutes les marchandises qui étaient proposées à cette époque par ce même mercier:
Contemporain du recueil de bois gravés de la Bibliothèque de l'Arsenal, les cris de Paris tous nouveaux... d'Antoine Truquet sont mis en vers sous forme de quatrains élaborés, où la facétie se dispute l'attention du chaland, revêtant le calembour ou le bon mot:
Mure douce, mure mure
Ça qui en veut, qui veut taster?
Dépéchez-vous de m'en acheter
Je ne veux point que l'on murmure.
Dans des temps où l'illettrisme dominait et où l'imprimerie n'avait pas encore été inventée, le crieur officiel permettait de diffuser des informations diverses et variées, en faisant office de presse du jour.
Le Livre des métiers d'Etienne Boileau au XIIIème siècle atteste de la fonction officielle des crieurs: les crieurs de vins attachés au Prévôt des marchands était le principal organe de publicité des prix et il y en avait autant que de tavernes.
Au siècle suivant, il y eut des crieurs pour des annonces de toute sorte, densifiant le paysage sonore de Paris.
Cette culture orale et populaire, de la rue à proprement parler, est fixée de façon savante, soit qu'écrite elle soit versifiée, soit que mise en musique, la cacophonie soit ordonnée en polyphonie, comme elle l'est par Clément Janequin dans son oeuvre "Voulez ouyr les cris de Paris" vers 1530, chansons à 4 voix.
- Tableau de Paris. 5 / Louis-Sébastien Mercier, 1782-1788
- A la suite de ce texte, dans une inversion de la science qui devient ménagère, la servante l'emporte sur l'académicien dans la distinction des cris, ceci grâce à l'usage:
- Les servantes ont l'oreille beaucoup plus exercée que l'académicien; elles descendent l'escalier pour le dîner de l'académicien, parce qu'elles savent
- distinguer du quatrième étage, et d'un bout à l'autre, si l'on crie des maquereaux ou des harengs frais, des laitues ou des betteraves.
La véritable popularité des cris est surtout liée à la production iconographique, et ceci à destination de toutes les classes sociales, car il s'agit aussi bien d'imagerie populaire, d'imprimés de large circulation que de véritables objets de luxe à la demande de riches collectionneurs.
Cette production de gravures à destination d'une classe aisée connaît ses temps forts vers 1630 avec Abraham Bosse, puis vers 1680 avec les frères Bonnart de la rue Saint Jacques, grands éditeurs de gravures de mode, et enfin son apogée au XVIIIème siècle avec Watteau, Boucher et Bouchardon; ce dernier sera copié largement au point que ses images deviendront des matrices de l'imagerie courante.
Exemple plus tardif et empreint d'un réalisme propre à l'objectivité photographique, Eugène Atget porte un regard documentaire sur les petits métiers qui animent les rues de Paris : pour lui, ce sont littéralement des images de la ville ancienne.
La série des petits métiers, commencée en 1897, vient clore cette longue tradition iconographique du Paris pré-industielle, dont il capte les dernières survivances.
Vous retrouverez ces documents, et d'autres encores relatifs aux "Cris de Paris" sur la page Sélection qui lui est consacrée. Elle est intégrée à la Sélection "Histoire de Paris", où sont regroupés des documents multisupports (monographies, images, cartes, etc), portant essentiellement sur le 19ème siècle, alliant histoire et évocation de la vie quotidienne selon l'arborescence thématique suivante :
- Les premiers historiens de Paris
- Histoire politique et événementielle par époques (enrichissement à venir)
- Topographie, monuments, architecture et urbanisme (enrichissement à venir)
- Histoire culturelle et sociale
- Vie économique (enrichissement à venir)
- Histoire physique et naturelle
- Paris dans la littérature
- Paris par l'image
Au vu de son caractère encyclopédique, la sélection "Histoire de Paris" se verra enrichir de nouvelles pages par les départements de collection; celles-ci feront l'objet de billets de blog pour vous en informer.
Commentaires
vive Gallica
Merci pour votre article. Quel plaisir de déambuler dans l'histoire de Paris!
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