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Hubertine Auclert et les droits des femmes : itinéraire médiatique d’une suffragiste

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30 juin 2021

Après un week-end électoral marqué par le second tour des départementales et régionales, Gallica met au jour une figure peu connue, mais pourtant majeure de la lutte pour le suffrage et l’éligibilité des femmes : Hubertine Auclert.
Madame Hubertine Auclert [suffragette] : [photographie de presse] / Agence Rol, 1910

 

Pionnière du suffragisme et première militante féministe française, Hubertine Auclert naît au lendemain de la Révolution de 1848 dans une famille relativement aisée qui lui fournit, dès son plus jeune âge, des modèles d’engagements politiques. Son père, maire républicain destitué de ses fonctions en raison de son opposition farouche au Second Empire et sa mère, qui lutte contre les stéréotypes de son temps en participant à l’insertion professionnelle des filles-mères, constituent des exemples qui inspireront les luttes de la suffragette, à la croisée des combats républicain et socialiste.
Outre l’indépendance économique des femmes, le droit à l’éducation, ou encore l’égalité dans le mariage et le divorce, Hubertine Auclert milite sur la place publique et dans la presse pour les droits politiques des femmes, qu’elle considère comme la pierre angulaire de tous les autres droits.          

Les Françaises veulent voter !

Le vote des femmes, organisé par Le Journal (26 avril-3 mai 1914) / Bibliothèque Marguerite Durand

 L’un des combats les plus connus d’Hubertine Auclert, qui lui vaut railleries et insultes de ses détracteurs, concerne le droit de vote des femmes. Après plusieurs années de militantisme associatif qui forgent sa pensée féministe et aboutissent à la fondation de la société "Le droit des femmes" en 1876 (qui deviendra, en 1883, la société "Le Suffrage des femmes"), Hubertine Auclert lance un appel aux Françaises qu’elle enjoint à sortir de « l’indifférence et de l’inertie pour réclamer contre les préjugés et les lois qui [les] humilient ». Cette harangue – qui n’est pas sans rappeler La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, – est relayée par la presse qui l’assortit de commentaires condescendants et misogynes : « c’est une série de lamentations assez peu neuves, mais qui donne cependant une certaine idée de la manie de revendication qui travaille aujourd’hui tous les esprits » (Le Soleil, 20 octobre 1876, p. 2/4)

Les ContemporainsCaricature d’Alfred le petit, n°15 (1881)

     
 Lassée par le mépris des périodiques généralistes et par les refus répétés de ces contributions, Auclert créé en 1881 son propre journal, La Citoyenne, organe féministe qui défendra inlassablement, durant dix années, l’émancipation des femmes et leurs droits civiques et qui ouvrira la voie aux titres de Maria Matin (Le Journal des femmes) et Marguerite Durand (La Fronde). Après la faillite de son journal, Auclert poursuit son combat pour le suffrage des femmes dans la Libre Parole, puis au Radical où elle tiendra pendant treize ans une rubrique intitulée « Le féminisme ».
 


Hubertine Auclert, « Le Féminisme »Le Radical, 25 décembre 1900, p. 2/4
 

    Hubertine Auclert tenant une banderole concernant le suffrage des femmes / date inconnue, Bibliothèque Marguerite Durand 
 

Mais la lutte d’Hubertine Auclert pour l’inclusion des femmes dans la vie politique ne se limite pas au droit de vote, la suffragette revendique également l’éligibilité des femmes et se présente à plusieurs reprises sur les listes électorales, malgré les résistances qui lui sont opposées.

Un combat pour l’éligibilité des femmes

Le 30 septembre 1877, l’éditorialiste du Gaulois, Émille Villemot - qui s’était déjà violemment attaqué à Hubertine Auclert et six autres militantes - insère à la Une du journal un manifeste électoral envoyé par la suffragette. Loin d’adhérer aux idées politiques qu’il contient, le journaliste intitule ce texte « manifeste de ces dames » et l’encadre de commentaires sarcastiques visant à décrédibiliser la démarche d’Auclert.  Mais malgré un paratexte impertinent, cette lettre ouverte définit la matrice du féminisme d’Hubertine Auclert qui revendique, dans le sillage d’Eugénie Niboyet et de Jeanne Deroin, l’éligibilité des femmes.

« Citoyens, au moment où s’ouvre la période électorale, laissez-nous vous confier une mission solennelle : celle de voter pour nous »


Emile Villemot, « Manifeste de ces dames »Le Gaulois, 30 septembre 1877

 

ProspectusFemmes électeurs et éligibles, 1848-1842

 Quelques années après ce texte, en 1880, Hubertine Auclert et quelques adhérentes de la Société Le Droit des femmes se présentent dans différentes mairies pour demander leur inscription sur les listes électorales. Déroutés par ces demandes, les maires déclarent leur incompétence à déterminer le mérite et la valeur légale des prétentions qui leur sont soumises. En particulier, le maire du 10e arrondissement de la ville de Paris, rejette la requête d’Hubertine Auclert :

« Considérant que, depuis 1789 jusqu'à nos jours, toutes les lois électorales qui se sont succédé ont été, sans exception aucune, interprétées et appliquées en ce sens qu'elles ont conféré et confèrent des droits seulement aux hommes et non aux femmes,
Considérant que la prétention formulée par la réclamante de faire ressortir du texte de ces lois une interprétation dont le résultat serait de créer, en faveur des femmes, des droits d'électorat et d'éligibilité identiques à ceux appartenant aux hommes, constitue dès lors une innovation politique dont il n'est pas de notre compétence de déterminer ni le mérite, ni la valeur légale,
Considérant qu'il nous appartient encore moins par conséquent de prendre sur nous d'en admettre la mise en pratique,
Décidons qu'en l'état actuel de la législation, la demande de Mlle Hubertine Auclert est déclarée inadmissible. »
(Le Temps, 8 février 1880)

 

Deux mois après ces refus, Hubertine Auclert entame une grève des impôts, qu’elle justifie dans une lettre ouverte au préfet de la Seine :

« Les femmes qui subissent les lois et paient les impôts, ainsi que les hommes, doivent avoir, comme eux, le droit de voter […] Je n’ai pas de droits, donc je n’ai pas de charges ; je ne vote pas, je ne paye pas ( «Le XIXe siècle, 9 avril 1880, p.1/4)

Cette revendication deviendra le leitmotiv du combat féministe d’Hubertine Auclert, comme le montre la citation accompagnant la carte postale et le simili-timbre-poste de la société "Le Suffrage des femmes", reprise en frontispice de l’ouvrage majeur d’Auclert Le Vote des femmes :

« Les femmes qui subissent les lois et paient les impôts comme, ainsi que les hommes, doivent avoir, comme eux, le droit de voter ».
 

Le Radical, 3 janvier 1906
Hubertine Auclert, Le Vote des femmes, V. Giard et E. Brière, 1908

 

Auclert multiplie les actions militantes – défilé du 14 juillet, boycott du recensement en 1881, campagnes et meetings, scandale et renversement d’une urne pendant les élections en 1908… – et réitère sa candidature en 1910 accompagnée par Marguerite Durand ou encore Madeleine Pelletier. Malgré l’invalidation des votes, la candidate Auclert parvient à obtenir 590 voix, d’après les résultats relayés par la presse.
 


Le Journal des femmes, organe du mouvement féministe, mai 1910

 

Une suffragiste invulnérable ?

« Je combats exclusivement pour les femmes, je m’évertue à les exhausser, à exalter leurs qualités, à dissimuler leurs défauts, et ces viles esclaves pour me récompenser de prendre si chaleureusement leur défense, elles me cracheraient au visage si elles pouvaient. » (Hubertine Auclert, Journal d’une suffragiste, édité par Nicole Cadène, Gallimard, avril 2021)

Toutefois, en contrepoint de l’image d’une suffragiste invulnérable aux attaques de ses contemporains et qui multiplie les actions publiques, le journal d’Hubertine Auclert, récemment exhumé par l’historienne Nicole Cadène, révèle le malaise et les doutes rencontrés par Auclert dans ses combats ainsi que la solitude qu’elle ressentait :
 

 « c’est la dernière fois que je fais une conférence, je ne suis pas prête à cela, monter à la tribune aujourd’hui m’effraie autant que de monter à l’échafaud. » (28 octobre 1883)
 
« Je me vois seule à lutter pour mon sexe contre tous femmes et hommes, c’est drôle que chacun voit (sic) si peu la vérité et que moi je me sois mis dans la tête la malheureuse idée de l’appliquer. »  ( 16 août 1884)

 
Malgré l’isolement, le mépris et le manque de soutien – y compris de la part des représentantes de son sexe – Auclert se fait violence pour porter à la tribune ses idées politiques résolument subversives dont certaines, comme la féminisation de la langue, résonnent avec les préoccupations actuelles : 

« L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on ne croit, à l’omission du féminin dans le code (côté des droits) […] La féminisation de la langue est urgente, puisque pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de mots.»

 

Décédée le 8 avril 1914, soit 30 ans avant l'obtention du droit de vote par les femmes, Hubertine Auclert ne verra pas l’aboutissement de ses combats. Il nous appartient désormais de faire vivre sa mémoire et de lutter contre l'effacement que la suffragiste craignait dans son journal :

« Le Temps ne fait pas oublier « il efface » tout ce que j’ai fait pour notre cause est effacé, il ne m’en reste que la vilaine renommée d’avoir voulu mettre le feu aux poudres.» (Journal d'une suffragiste, 9 avril 1896)


Excelsior, 8 avril 1914

Pour aller plus loin

- Sélections "Essentiels de la politique : Personnalités féministes"
- Sélections "Essentiels du droit : Droits des femmes"
- Billet de blog : Françoise le Coz, "Les droits des femmes dans les Essentiels du droit : premiers pas d’un long chemin vers l’égalité", 23 juin 2021
- Billet de blog : Hélène Raymond, "Lutte pour le droit des femmes au XIXe siècle", 1er mars 2019
 

Et ailleurs : quelques références utiles

Edith TaïebLe Discours politique d’Hubertine Auclert, thèse en sciences du langage, 2002.
Christine Bard, Sylvie Chaperon (dirs), Dictionnaire des féministes XVIIe-XXIe siècles, PUF, 2017. 
Marie-Ève Thérenty, Femmes de presse, femmes de lettres. De Delphine de Girardin à Florence Aubenas, CNRS Éditions, 2019.
Nicole Cadène (ed.), Journal d'une suffragiste, Hubertine Auclert, Gallimard, 2021. 

Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité.
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  • Nejma Omari

    Enseignante et doctorante à l'Université Montpellier 3, Nejma Omari travaille sur les rapports entre presse et littérature au XIXe et XXe siècle.

Commentaires

Soumis par séraphin le 13/02/2024

J'ai trouvé votre article très intéressant

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