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Gallica réunit le manuscrit épars de L’Insurgé de Jules Vallès !

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30 mai 2022

On a longtemps cru perdus les derniers chapitres du manuscrit de L’Insurgé de Jules Vallès. En réalité, ils attendaient leur heure dans les fonds de la bibliothèque de Saint-Denis (93). Gallica les réunit désormais virtuellement aux autres chapitres, conservés à la BnF.

L’Insurgé, Portrait de Jules Vallès, Ernest Clair Guyot, édition Charpentier, 1886

Dire que les derniers chapitres du manuscrit de L’Insurgé de Jules Vallès étaient tout à fait ignorés serait exagéré. L’universitaire italienne Silvia Disegni leur avait déjà consacré des articles rigoureux, auxquels Roger Bellet fait référence dans son édition des Œuvres de l’écrivain dans la Pléiade. Jusqu’ici, le lieu de conservation de ces chapitres avait toutefois été tu, le collectionneur Lucien Scheler (1902-1999), résistant proche du parti communiste, ayant été réputé détenir "tout Vallès". En 1981, il faisait don de sa collection à la BnF. Ce qu’il ignorait, c’est que le manuscrit dont il s’était porté acquéreur chez le libraire Pierre Berès, dans les années 50 ou 60, était incomplet.

Présentation du manuscrit RC MSS869 de Saint-Denis par le scripteur de "l’écriture à l'encre bleue" (René Gaston-Dreyfus?)

Pour retrouver le fil de cette histoire, il faut remonter à la mort de Séverine, écrivaine et journaliste féministe proche de Vallès (mais non sa maîtresse, comme on l’a trop souvent rapporté), en 1929. Séverine avait accompagné Vallès dans ses dernières années comme secrétaire, aussi bien pour son travail au Cri du peuple (elle reprendra la rédaction en chef du quotidien à la mort de Vallès, devenant ainsi la première femme à diriger un grand quotidien en France) que pour son travail littéraire. C’est elle qui, sous la supervision du "maître", a mis en forme le texte du troisième roman de la trilogie Jacques Vingtras, publié de façon posthume en 1886 chez Charpentier. Du vivant de Vallès, seule une version incomplète avait paru en prépublication dans La Nouvelle Revue de Juliette Adam, puis dans Le Cri du peuple, au point qu’on a longtemps cru que des passages entiers du roman étaient de la main de Séverine. La réunion de tous les chapitres du manuscrit opérée par Gallica prouve désormais qu’il n’en est rien, et que la contribution, certes capitale, de Séverine, se limite à un travail de mise en forme.

Portrait de Séverine, Les Nouvelles littéraires, 27 avril 1929

En tant que secrétaire de Vallès, Séverine a hérité de ses manuscrits. À sa mort, les manuscrits ont été dispersés lors d’une vente réalisée chez Drouot par Édouard Giard, commissaire-priseur, et Georges Andrieux, libraire-expert, entre les 12 et 18 mai 1934. Le collectionneur qui s’est porté acquéreur du manuscrit de L’Insurgé est longtemps resté inconnu. C’est lui qui, en 1935, a prêté une partie de son manuscrit à la bibliothèque de Saint-Denis, pour une exposition organisée par le conservateur André Barroux (1896-1951) au sujet de la Commune de Paris. C’était la première grande exposition consacrée à cet événement, et Jacques Doriot, alors maire de Saint-Denis, a su l’utiliser habilement dans le conflit qui l’opposait au parti communiste. Le propriétaire du manuscrit a insisté sur le fait qu’il ne voulait pas être identifié : c’est Georges Andrieux, le libraire-expert de la vente, qui a servi d’intermédiaire. Il n’a par ailleurs pas souhaité, pour des raisons de sécurité, prêter le manuscrit dans son intégralité, mais en a détaché les pages les plus précieuses : celles qui concernent la Semaine sanglante.

Il y a désormais de bonnes raisons de penser que ce si discret collectionneur était le banquier René Gaston-Dreyfus (1886-1969). Une partie de sa collection a en effet été dispersée lors d’une vente qui a eu lieu en mars 1966 au palais Galliéra, à Paris. Dans le catalogue de cette vente, pour laquelle Pierre Berès faisait office de libraire-expert, on trouve une partie du manuscrit de L’Insurgé, distincte de celle de St-Denis, mais comprise dans le même lot lors de la vente de 1934. Si Lucien Scheler a acquis chez Berès les parties du manuscrit qu’il a ensuite cédées à la BnF, on peut à bon droit supposer que ces pièces provenaient toutes de la collection de René Gaston-Dreyfus, qui serait ainsi notre mystérieux acheteur de 1934. L’histoire ne dit pas pour quelle raison ces pièces ont été séparées. Toujours est-il que les pages "prêtées" à Saint-Denis en 1935 y sont restées, jusqu’à ce jour. Pourquoi ce "prêt" est-il devenu un "don" ? Et comment le souvenir de ce "prêt-don" a-t-il pu se perdre au moment où les différentes parties du manuscrit passaient des mains de René Gaston-Dreyfus à celles de Pierre Berès, puis de Lucien Scheler ?

3e feuillet du manuscrit RC MSS869 de Saint-Denis : "La dernière séance avait été chaude."

Ce sont là les zones d’ombre qui demeurent au sujet de ce manuscrit désormais virtuellement réuni grâce à Gallica et Commun Patrimoine, la bibliothèque numérique patrimoniale du réseau de lecture publique de Plaine Commune (dont fait partie la médiathèque du Centre-ville de Saint-Denis). Pour corser le tout, les conservateurs successifs ont aussi pimenté l’affaire de leurs erreurs : ainsi l’enveloppe qui figure au début du fichier numérique du manuscrit de Saint-Denis – et qui est bien conservée avec ce manuscrit – porte la mention "de la part de Marguerite Durand". Au terme de notre enquête, on voit qu’elle ne peut être en rapport avec le manuscrit de L’Insurgé, mais plus probablement avec une autre pièce de l’exposition de 1935. Du grain à moudre pour de futurs chercheurs…

Enveloppe conservée par erreur avec le manuscrit RC MSS869
 

Julien Donadille
responsable du pôle Conservation et Patrimoine de la BULAC
précédemment conservateur des collections patrimoniales du réseau de lecture publique de Plaine Commune

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