Un couple de cinéastes à la rencontre de Vichy et ses habitants
À l'occasion de l'édition "Prendre la parole" du Mois du film documentaire 2023, découvrez l'œuvre de Bertrand de Solliers et Paule Muxel, deux documentaristes qui abordent les grandes questions de société à hauteur d’hommes et de femmes. Dans ce deuxième billet, la mémoire de Vichy, ville désormais indissociable du gouvernement du Maréchal Pétain.
Bertrand de Solliers et Paule Muxel ont des attaches familiales étroites avec la région Auvergne, point d'ancrage de nombre de leurs documentaires : Les héritiers (2005), les trois films Le centre de l'univers : bistrots et cafés en Auvergne (2009), Le monde selon Michelin (2011) L'excellence et le doute (2013).
En 2002, ils s'installent à Vichy. Leur intérêt pour cette ville les amène à lui consacrer en 2008 un diptyque, L'Année dernière à Vichy et Le Grand Vichy. La période 1939-1945, qu'ils avaient déjà évoquée dans Histoires autour de la folie en raison des conséquences dramatiques de la guerre sur la mortalité dans les asiles (voir billet précédent), devient alors le sujet de quatre de leurs films.
L’Année dernière à Vichy (2008, 204 min)
Ce n'est pas un hasard si L'Année dernière à Vichy s'ouvre sur l'image d'un cours d'eau que l'on remonte. Remontant lui-même le fleuve du temps, le film recueille les dernières mémoires de personnes ayant vécu le temps de la guerre à Vichy, pendant la période du gouvernement de Pétain.
Si l'on ne peut s'empêcher de penser, par moments, au Clermont-Ferrand du Chagrin et la pitié de Marcel Ophuls (1969), l'époque n'est plus la même. Les cinéastes ne cherchent pas à provoquer une prise de conscience, encore moins à livrer un réquisitoire, mais à pénétrer le quotidien d'une ville ordinaire en période extraordinaire, et à en interroger les traces, plus de soixante ans après.
Ce film parle de mémoire. Non pas celle des victimes, des bourreaux, des héros de l'Occupation. Mais la mémoire de Français ordinaires vivant aujourd'hui à Vichy, différents par l'âge, la sensibilité, la prégnance des souvenirs ou la connaissance de l'histoire. Il nous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent plus ne pas connaître. Après une décennie de "travail de mémoire", ce film offre un regard sur les effets contrastés de cette prise collective de conscience.
(Henry Rousso)
L'autre film tourné la même année adopte un parti pris radicalement différent.
Le Grand Vichy (2008, 60 min)
Étrange destinée que celle de la ville de Vichy, aujourd'hui irrémédiablement associée à la période de l'Occupation, après un glorieux passé de ville thermale cosmopolite. Largement illustré de documents d'archives (gravures, photographies, affiches) montés avec entrain, Le Grand Vichy fait découvrir la vie mondaine et artistique de celle que Napoléon III avait élue pour devenir la championne du thermalisme français. Ses capacités hotellières en avaient fait une candidate potentielle pour accueillir en 1939 le Festival de Cannes... Ces mêmes capacités hotellières, une fois la guerre déclarée, changeront dramatiquement son histoire.
Deux ans plus tard, continuant à creuser ce sillon, Bertrand de Solliers et Paule Muxel livrent un remarquable portrait du Maréchal Pétain.
Philippe Pétain (2010, 104 min)
Sélection au Festival international du film d'Histoire de Pessac (2010)
De format plus classique que les deux films précédents, Philippe Pétain propose un portrait fouillé de ce personnage contradictoire, dont il retrace l'ensemble de la carrière. Le documentaire s'ouvre avec ce constat de l'historien allemand Gerd Krumeich, étonnant vu de France :
Je ne crois pas que beaucoup d'Allemands connaissent le nom de Pétain.
Ce sera la grande force du film, tourné sur sept pays différents, que de confronter les points de vue français et étrangers. Bertrand de Solliers et Paule Muxel s'appuient sur de longs entretiens avec des historiens et personnalités de premier plan, parmi lesquels Robert Paxton, Marc Ferro, Robert Badinter ou encore Henry Rousso. Ils exploitent également un corpus de 4500 lettres reçues par Philippe Pétain entre 1914 et 1921. Une biographie passionnante, menée tambour battant.
Cinq ans plus tard, Paule Muxel et Bertrand de Solliers reviennent avec un projet plus singulier, mélange de documentaire et de fiction, consacré à Josée Laval, fille unique de Pierre Laval :
Les carnets de Josée Laval (2015, 100 min)
Ce documentaire librement adapté du livre d'Yves Pourcher Pierre Laval vu par sa fille (qui s'appuie lui-même sur les agendas de Josée Laval) met en scène le comédien Jacques Bonnaffé, double des cinéastes, partant sur les traces de la fille de Pierre Laval.
Josée Laval est une de ces personnalités complexes que Paule Muxel et Bertrand de Solliers affectionnent. Née en 1911, elle a vingt ans quand Pierre Laval devient Président du Conseil. Cette mondaine, grande amie de Paul Morand et d'Arletty, vivra avec faste les années d'Occupation et vouera jusqu'au bout une admiration sans bornes à son père, exécuté en 1945 pour haute trahison et complot contre la sûreté intérieure de l'État.
Une narration impeccablement documentée qui mêle voix masculine et voix féminine, première et troisième personne, pouvoir d'incarnation de la fiction et puissance du réel.
On peut voir dans cet ensemble de quatre films une quête progressive de la subjectivité des mémoires. Tournés sur une période totale de sept ans, ils s'appuient sur une connaissance intime du sujet et un travail de documentation minutieux. L'art du montage énergique de Paule Muxel, qui ordonne en récit complexe les paroles multiples des témoins, fait revivre sans généralités ni raccourcis la France de Vichy. Les entretiens inédits réalisés pour les deux films L'année dernière à Vichy et Philippe Pétain, ainsi que la documentation rassemblée lors de la préparation des tournages, sont consultables dans leur intégralité en salle P de la bibliothèque de recherche.
Tous nos remerciements à Bertrand de Solliers et Paule Muxel qui ont généreusement accepté la diffusion de leurs films sur Gallica.
Pour aller plus loin
Billet Gallica Un couple de cinéastes à l'écoute des malades
Billet Gallica Un couple de cinéastes scrute l'avenir des jeunes générations
Les films de Bertrand de Solliers et Paule Muxel au catalogue général de la BnF
Le fonds d'archives décrit dans BnF archives et manuscrits
Une fine ligne rouge, le site des réalisateurs
La France et la Shoah : Vichy, l'occupant, les victimes, l'opinion, 1940-1944. Sous la direction de Laurent Joly
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