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Viollet-le-Duc et la restauration de Notre-Dame de Paris

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9 octobre 2024

La cathédrale Notre-Dame de Paris telle que nous la connaissons aujourd’hui doit beaucoup aux restaurations de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc qui, de 1843 à 1864, s’applique à rendre à la cathédrale sa splendeur passée après un siècle riche en soubresauts.

Charles Meryon, Eaux-fortes sur Paris. 6, numérotée 1, [Le stryge], 1853

Une cathédrale victime des affres du temps

La cathédrale gothique Notre-Dame de Paris a connu bien des vicissitudes aux 18e et 19e siècles. L’évolution du goût et des usages amène le remplacement des vitraux de la nef en 1743 par du verre incolore, et ceux du chœur par du verre incolore également, en 1751. De même, le trumeau du portail est supprimé pour laisser passer les dais des processions.

Les changements politiques ne sont pas moins destructeurs. La cathédrale est aménagée en temple de la Raison par Robespierre et échappe de peu à la transformation en carrière de pierres. Lors d’une émeute, le 14 février 1831, l’archevêché est détruit et le portail sud de la cathédrale est mutilé.

Entrée de Bonaparte à l’église métropolitaine de Paris le jour de Pâques 28 germinal an X pour y proclamer la Loi pour le rétablissement du Culte catholique

La sauvegarde des monuments

Le sort de ces vieilles pierres ne laisse pas tout le monde indifférent. Cette même année 1831, Victor Hugo fait paraître son roman Notre-Dame de Paris où la cathédrale domine l’intrigue et la capitale. Elle donne son nom au roman, et Hugo y déplore les mutilations qu’elle a subies.

Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église de Notre-Dame de Paris. Mais, si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe-Auguste qui en avait posé la dernière.

Dans la première moitié du 19e siècle, une administration des Monuments historiques se met en place pour recenser les bâtiments dignes d’être conservés et œuvrer à leur entretien et à leur restauration. Ceux-ci ne manquent pas à Paris. L’architecte Jean-Baptiste-Antoine Lassus devient ainsi en 1841 l’architecte de la Sainte-Chapelle après la démission de Félix Duban. Sur ce chantier, il rencontre un jeune homme avec lequel il ne va dès lors cesser d’œuvrer : Eugène Viollet-le-Duc

Atelier Nadar, Violet le Duc [i. e. Viollet-le-Duc], 1900

Le projet de restauration de Notre-Dame

Viollet-le-Duc, auditeur au Conseil général des bâtiments civils, est chargé en 1840 de la restauration de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay. Il accompagne Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques, dans plusieurs de ses tournées. Avec Lassus, il propose en 1841, pour reconstruire l’archevêché, d’utiliser les vestiges démontés de l’hôtel de Pierre Legendre, remontant à la Renaissance.

Hugo et Mérimée mènent une campagne pour promouvoir la protection des monuments médiévaux, ce qui pousse le ministère des Cultes à lancer la restauration de Notre-Dame. Les travaux ne sont pas confiés à Etienne-Hippolyte Godde, l’architecte en poste, en raison des critiques qu’il subit. Un concours est organisé pour désigner l’architecte.

Viollet-le-Duc et Lassus déposent leur dossier de candidature le 31 janvier 1843. En complément, ils publient un rapport adressé au ministre et illustré par Gaucherel. Ils y affirment qu’ils tiendront compte de l’histoire du monument et respecteront les matériaux. Pour les décors trop endommagés, ils s’inspireront de modèles tirés d’autres cathédrales. Ils sont déclarés lauréats du concours en 1844, et un crédit spécial est voté en janvier 1845 : deux millions pour la cathédrale, et 600 000 francs pour la sacristie.

Jean-Baptiste-Antoine Lassus, Eugène Violet-le-Duc, Projet de restauration de Notre-Dame de Paris : rapport adressé à M. le Ministre de la Justice et des Cultes, Paris, 1843

Rendre son intégrité à l’édifice

Viollet-le-Duc, qui travaille de concert avec Lassus, commence par enlever les badigeons appliqués au siècle précédent, et retrouver ainsi l’aspect de la pierre. Il faut également changer les pierres détériorées. La suppression des gargouilles a provoqué des problèmes d’humidité et Viollet-le-Duc les réinstalle dans un but tant fonctionnel qu’esthétique. Il souhaite également rétablir le niveau du sol devant la façade car des marches ont été remblayées.

Le décor est repensé : des éléments supprimés comme les vitraux ou le trumeau central sont rétablis, mais les interventions vont au-delà du simple retour à l’état antérieur. En effet, des éléments sont ajoutés comme les rosaces dans le transept.

Maurice Ouradou, Peintures murales des chapelles de Notre-Dame de Paris, Paris, 1870

Les différents chantiers

La sacristie est édifiée de 1845 à 1850 grâce au remploi d’éléments qui étaient prévus pour l’archevêché. Abritant le trésor, elle se situe à l’emplacement du palais de l’évêque Maurice de Sully qui lança le chantier de la cathédrale gothique en 1163. Sa façade sud est réalisée dans le même style que les bas-côtés de la cathédrale afin de s’y intégrer.

Les vitraux retrouvent leurs couleurs grâce à des maîtres verriers. Ceux de la rose sud sont d’Alfred Gérente ; les fenêtres hautes du chœur sont dues Maréchal. Des peintures murales rehaussent les murs intérieurs de l’édifice. Au même moment, la Sainte-Chapelle ou Saint-Germain-des-Prés reçoivent des décors de même type.

Le mobilier liturgique n’est pas oublié. Il est confié à l’orfèvre Placide Poussielgue-Rusand qui travaille d’après les dessins de Viollet-le-Duc. La cathèdre est réalisée d’après celle de la cathédrale de Bayeux. Viollet-le-Duc fait également fabriquer la chaire à prêcher, les chandeliers du maître-autel, les lanternes de procession, les fonts baptismaux, etc. En revanche, dans le choeur, il laisse en place le décor du vœu de Louis XIII.

Robert Delaunay, [Le Triomphe de Paris : maquette de décor : Illuminations de statues parisiennes : deux statues diverses de la cathédrale Notre-Dame de Paris], 1928-1929

Le décor sculpté

Le décor sculpté concerne à la fois les façades et les toitures. Il est réalisé sous la direction du sculpteur Victor Geoffroy-Dechaume d’après les dessins de Viollet-le-Duc. Ce dernier tire son inspiration des cathédrales de Reims, Chartres ou Amiens, ou trouve des idées dans des illustrations comme les représentations des statues-colonnes du portail Sainte-Anne dans Les monumens de la monarchie françoise, par Bernard de Montfaucon. Pour chaque statue, il dresse un dessin dont est tiré un modèle en plâtre aux dimensions voulues, à partir duquel est réalisé la statue définitive. L’atelier des statues compte quinze sculpteurs : Alexis Hippolyte Fromanger, Jean-Louis Chenillion, Michel-Pascal, etc. Ce groupe est animé d’un esprit d’entraide. Il s’est formé à partir de sculpteurs ayant suivi les cours de la « petite école de dessin » où enseigne Viollet-le-Duc comme moniteur.

Les gargouilles donnent lieu à la création d’un vaste bestiaire fantastique qui a fait la renommée de Notre-Dame de Paris. Viollet-le-Duc leur adjoint des statues chimériques dont le désormais célèbre Stryge. Geoffroy-Dechaume rend également hommage aux deux architectes, leur donnant les traits des rois d’Israël et de Juda, dans la galerie des rois de la façade occidentale. Viollet-le-Duc prête également son visage à la statue de saint Thomas au pied de la flèche. Qui de mieux que le saint patron des architectes et des tailleurs de pierre pour immortaliser l’architecte de Notre Dame ?

sacristie.jpg

Paris. Cathédrale Notre-Dame. Sacristie du chapitre], [1845-1860]

Vingt ans de travaux

En 1850, les crédits sont épuisés et il faut interrompre les travaux. Un crédit de six millions est décidé en 1853 et permet la reprise du chantier. Il se poursuit malgré la mort de Lassus en 1857. La décision d’édifier la flèche est prise en 1858. Achevée en 1860, elle couronne un chantier en cours d’achèvement. Les grandes orgues sont mises en place en 1863 avant la dédicace de l’édifice le 31 mai 1864 par monseigneur Darboy, archevêque de Paris.

La poursuite du chantier n’a pas empêché les cérémonies à Notre-Dame. Viollet-le-Duc conçoit les décors de plusieurs célébrations officielles comme le baptême du prince impérial en 1856. Il en profite pour y tester la polychromie des décors.

Baptême du prince impérial Napoléon-Eugène-Louis-Jean-Joseph, 1856

Viollet-le-Duc, en une vingtaine d’années, a pansé les plaies d’un édifice que ses contemporains redécouvrent à l’instar de Victor Hugo. Il y a aussi amené sa patte, ce qui a pu lui être reproché. Néanmoins, les Parisiens se sont approprié les lieux qui sont devenus, dans le monde entier, un symbole de la capitale à l’exemple du Stryge qui, de jour comme de nuit, contemple d’un air narquois la ville qui s’étend à ses pieds.

Henri Ferrand, Paris : vue prise de la galerie de Notre Dame

Pour aller plus loin

Bercé (Françoise), Viollet-le-Duc, Paris, 2013
Bove (Boris), Gauvard (Claude), Notre-Dame de Paris : une cathédrale dans la ville : des origines à nos jours, 2022
D’autres billets Gallica sur l’histoire de Notre-Dame, le décor peint, la flèche, le trésor, la musique, les médailles commémoratives, le manuscrit de Victor Hugo et la réception de son roman.

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