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Traverser la montagne : les tunnels ferroviaires sous les Alpes.

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7 septembre 2020

Mont-Cenis, Saint-Gothard, Simplon : ces trois tunnels ferroviaires reliant l’Italie, la Suisse, la France et l’Allemagne sont achevés entre 1871 et 1905. Chantiers démesurés, ces ouvrages d’art sont le lieu d’expérimentation de nouvelles méthodes et outils de construction.
 

E. Bourgeois, Chemins de Fer de l'Est, l'Italie par le St Gothard, 1892
Milieu du 19ème siècle : les réseaux de chemins de fer nationaux se mettent en place. En France, c’est la loi de 1842 qui favorise et encadre l’extension du réseau. Mais la question du raccordement de ces réseaux européens se pose. Une des difficultés majeures réside dans le franchissement des montagnes, en particulier des Alpes. Le choix des cols est stratégique pour ces états alpins qui ne veulent pas rester à l'écart du trafic ferroviaire. La carte du réseau européen des lignes réalisées ou projetées, établie en 1842, met bien en évidence l'absence et donc le besoin de liaison directe entre ces pays.

 

Carte des chemins de fer du continent européen, 1842

Les tracés  et sites de percement ont été choisis en prenant appui sur des  routes existantes, des voies de passage des hommes et des marchandises déjà objets d'aménagements importants au début du 19ème siécle avec le creusement de galeries dans la montagne. Ainsi, la galerie Schalbet est décrite par Jean Frédéric d'Ostervald dans son Voyage pittoresque de Genève à Milan, par le Simplon, paru en 1811.

Les trois tunnels ferroviaires doivent  traverser la montagne sur plusieurs kilomètres. Le tunnel du Mont-Cenis, ouvert en 1871, parcourt 13,6 km, celui du Saint-Gothard, inauguré en 1881, fait 14,9 km de long et le tunnel du Simplon, ouvert en 1905, mesure 19,8 km.
Les profils de ces tunnels, comparés en 1900 par la revue du Génie civil, sont étudiés pour absorber le dénivelé mais aussi permettre l'écoulement des eaux. Ils comprennent une rampe, un point culminant puis de nouveau une pente. Pour le Mont-Cenis, les deux voies de 8 mètres de large s’élèvent de la cote 1148, côté français à Modane, jusque 1295 mètres, puis redescendent à 1269 mètres côté italien à Bardonnèche. En raison de l’instabilité des roches, le tracé a été  finalement prolongé d’environ 800 mètres par rapport au tracé initial, qui est ici reproduit par les Annales des Ponts et chaussées en 1863.

Le tunnel du Simplon est plus long mais d'une altitude moins élevée : passant de 687 mètres, côté suisse, pour culminer à 704 mètres et redescendre jusqu'à la cote 634. Le tunnel compte deux galeries parallèles, une pour chaque voie, séparées par une distance de 17 mètres  et reliées par des corridors. 

 
 
Les travaux réalisés dans ces tunnels sont l'occasion d’expérimenter de nouvelles machines et méthodes de percement. Lorsque débutent les travaux du Mont-Cenis, en 1857, sous la direction de Germain Sommeiller, le percement se fait à la pioche. Édouard Lagout dans son ouvrage Mont-Cenis ou tunnels des hautes-montagnes, paru en 1871, à l'achèvement des travaux, le rappelle :

Jusqu'à présent on effectuait le percement des tunnels dans des roches au moyen de barres à pointes d'acier, maniées à bras d'hommes, pour creuser des trous de mine destinés à recevoir la poudre dont l'explosion détache les masses que l'on débite ensuite en morceaux susceptibles d'être transportés en dehors de la galerie souterraine. L'avancement journalier n'est guère que de 20 centimètres (...)

Germain Sommeiller, assisté de deux de ses élèves de l’université de Turin, Grandis et Grattoni développe l'usage de l'air comprimé. Les Annales des ponts et chaussées résument ainsi l'essentiel du travail de la compression de l'air :
« - comprimer l'air à la pression de 5 atmosphères
- le transmettre avec sa pression au fond de la galerie
- l'utiliser selon les besoins soit au travail des machines, soit à l'aérage. »
 Pour comprimer l’air, on s'appuie d‘abord sur le système de béliers hydrauliques, machines utilisant la force des chutes d’eau. C'est le cas du compresseur à choc (schéma ci-dessous), composé d'un réservoir d'eau (R) placé en hauteur, de différentes soupapes (A, B, C, D) et d'un réservoir d'air comprimé (R'). L'action de l'eau dépend surtout de la vitesse qu'elle prend dans le tube A-R, c'est ce qui produit un « coup de bélier ».

 

 

 L’instabilité de ces appareils occasionne cependant de nombreux accidents et le rendement reste faible. Les béliers hydrauliques sont remplacés par la nouvelle invention de Jean-Daniel Colladon (1802-1893) qui vient de déposer en 1861 un brevet  de pompes à piston liquide permettant de produire de l’air comprimé.  D'autres machines à air comprimées  sont utilisées sur le chantier comme le marteau perforateur, breveté par Germain Sommeiller dès 1849 et qu'il peut expérimenter. 
Cette machine perforatrice  « fait donner à un burin ou barre à mine des coups très rapides et très violents sur la roche ; communique automatiquement à ce burin [un] mouvement de rotation  sur lui-même ; le fait avancer automatiquement » au fur et à mesure du percement.
 Le rythme des travaux s’accélère puisqu’en 1870, année du plus grand avancement, on perce 3 mètres par jour. 
 

Léon Rueff, Les grandes industries et les travaux d'art modernes, 1867

A l’arrière d’autres perforatrices agrandissent la galerie pour lui donner ses dimensions et permettre l'exécution en maçonnerie des pieds de la voûte et du radier. Ces travaux de percement impressionne les contemporains et sont largement relayés dans les ouvrages ou la presse spécialisée. Ainsi Les grandes industries et les travaux d'art modernes de Léon Rueff détaille les travaux dans les galeries en 1867 et l'ouvrage Les chemins de fer d'Amédée Guillemin présente en 1869  les perforateurs utilisés sur le chantier. Le tunnel du Mont-Cenis est inauguré le 17 septembre 1871, cérémonie couverte par le Monde illustré.

 

Les travaux de percement du Saint-Gothard commencent en 1872 et sont dirigés par Louis Favre (1826-1879). Le Génie civil dans son numéro du 1er mai 1882 revient sur la méthode utilisée :

 Le mode d'attaque adopté  par M. Favre est le système belge. On a commencé par forer une petite galerie à la partie supérieure du tunnel. Cette petite galerie a d'abord été creusée à la main pendant que l'on faisait les installations des compresseurs

Le chantier peut se mécaniser à partir d'avril 1873, sous la direction de Jean-Daniel Colladon qui utilise un nouveau compresseur .

La nouvelle invention d’Alfred Nobel, la dynamite, remplace sur ces chantiers les explosifs traditionnels. L’italien Ascarino Sobrero est le premier à produire en 1847, de la nitroglycérine, composée d’acide nitrique et de glycerol. Mais le mélange instable ne peut être facilement transporté. Le suédois, Alfred Nobel (1833-1896) imprègne d'abord en 1860, des bâtonnets de silice poreuse dans du trinitrate, puis en 1875, met au point « la dynamite extra Nobel » composée de 93% de nitroglycine et 7% de collodion (nitrocellulose dissoute dans un mélange d’ether et d’alcool), historique sur lequel revient Louis Figuier dans Les Merveilles de la science. L'usage de la dynamite se répand sur les chantiers.
Les chantiers de ces tunnels sont titanesques mobilisant des centaines d’ouvriers dans des conditions épouvantables : chaleur, air vicié, accidents. L'aération des tunnels de si grandes longueurs est réalisée par le système d'air comprimé qui apporte l'air via des conduites en fonte. Les revues scientifiques louent surtout la prouesse technique. Ainsi peut-on lire dans les Annales scientifiques et industrielles :

Les 1500 ou 2000 ouvriers qui chaque jour sont occupés au fond du tunnel […] y respirent certainement plus à l'aise que la plupart des ouvriers de nos villes dans l'atelier des manufactures où l'air se renouvelle si mal et mieux même peut-être que nous ne respirons nous-mêmes dans nos chambres privées de courants d'air .

Le travail se fait de chaque côté par trois équipes de 240 ouvriers qui travaillent huit heures et se relaient. Le chantier fonctionne donc en continu. Sur le percement du Mont-Cenis, on déplore plus de 200 morts liés aux accidents et à une épidémie de typhus dans le campement des ouvriers qui logent sur le chantier.

Les tunnels achevés, les trains peuvent circuler et les compagnies font de ces prouesses techniques et du passage de ces tunnels un argument de promotion : l'Orient-Express dont une des lignes emprunte le tunnel du Simplon se renomme ainsi « Simplon-Orient-Express ».
 

Simplon-Orient-Express ; Taurus Express et leurs branches correspondantes. Années 1930-1931
 

Pour aller plus loin, consultez les pages dédiées au chemin de fer du parcours Gallica sur les transports.

 

 
 

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