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Des Jeux pour les femmes : Monaco, 1921-1923

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4 juillet 2024

Au début du XXe siècle, les Jeux olympiques se déclinent avant tout au masculin mais la pratique sportive féminine, notamment de l’athlétisme, bastion du sport « viril », ne cesse d’augmenter. Grâce à l’initiative de pionnières les femmes forcent la porte des Jeux : la première grande compétition internationale d’athlétisme féminine a lieu à Monte-Carlo en mars 1921.

Mary Lines, saut en longueur, 26 mars 1921 : photographie de presse / Agence Rol

L’invention des Jeux olympiques modernes par Pierre de Coubertin en 1896, en s’inspirant de l’Antiquité et des nouvelles valeurs portées par la pratique sportive aristocratique du XIXe siècle, vient couronner un intérêt de plus en plus marqué pour le sport. L’athlétisme y trouve une vitrine internationale qui voit des athlètes masculins du monde entier s’affronter sur un modèle qui ne cessera par la suite d’évoluer, sans renier ses valeurs fondamentales. Mais qu’en est-il des femmes ? Elles aussi font pourtant du sport, et, en ce début du XXe siècle, au sortir de la Première Guerre mondiale, au tournant de ce que l’on va appeler les Années folles, elles en font même de plus en plus. Pierre de Coubertin reste pourtant inflexible :

La Française : journal de progrès féminin, 8 septembre 1928

Les femmes sont bien autorisées à participer dans quelques sports dits « compatibles » avec leur féminité : tennis, patinage artistique, équitation… Mais certainement pas en athlétisme, réservé aux athlètes masculins. Et ce, malgré des appels de plus en plus fréquents dont la presse féminine se fait l’écho, comme Ève : le premier quotidien illustré de la femme, en 1920 :  

Des Jeux olympiques ouverts aux femmes peuvent être organisés. Ils doivent l’être. La Fédération française des Sociétés de sport féminin l’a si bien compris qu’elle a tenté de réaliser ce vœu. Sa présidente, Mme Milliat, est intervenue auprès du Comité Olympique. La réponse fut négative […]. En limitant le programme aux épreuves purement athlétiques, en fixant la distance des épreuves en concordance avec celle du sport masculin, le succès serait grand, on aurait une ligne exacte entre les vainqueurs du sexe faible et du sexe fort. Et cette louable émulation permettrait de grands progrès.

Puisqu’on ne veut pas d’elles aux Jeux olympiques, les pionnières du sport féminin vont prendre les choses en main. Plusieurs projets vont naître autour des années 20, avant qu’enfin les femmes puissent accéder aux Jeux olympiques en 1928 après la mort de Pierre de Coubertin. Parmi tous ces projets, le plus important est l’organisation de Jeux olympiques féminins en 1922, par la suite renommé Jeux mondiaux suite à l’intervention outragée du CIO (Comité International Olympique).

Il y aura 4 éditions de ces Jeux mondiaux féminins entre 1922 et 1932. Mais avant ceux-ci, comme un galop d’essai des grandes compétitions internationales d’athlétisme, une initiative se démarque des autres : il s’agit des Jeux athlétiques, organisés de 1921 à 1923 à Monte-Carlo.

Derrière ces Jeux, une femme, une pionnière : Alice Milliat.

Mme Milliat : photographie de presse / Agence Rol

Née en 1884, Alice Milliat est une militante passionnée du sport féminin, et notamment de sa reconnaissance à l’international. Présidente du club Femina Sport (omnisport féminin), elle devient présidente de la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF) en 1919. La FSFSF publie un journal de 1921 à 1922, La Femme sportive, dans lequel on peut retracer les étapes de la création des Jeux olympiques féminins.

Dès lors, elle s’attache à faire reconnaitre la pratique sportive féminine au niveau international. Face au refus d’inclure les femmes dans la prochaine édition des Jeux olympiques (nous sommes alors en 1920) et au conservatisme de l’International Association of Athletics Federations (IAAF) et du Comité International Olympique, elle va s’appuyer sur deux partenaires de choix pour faire naître la première grande compétition internationale de sport, et notamment d’athlétisme, féminin : l’International Sporting Club de Monaco et le journal sportif L’Écho des Sports.

À la tête de l’International Sporting Club de Monaco, Camille Blanc est, aux côtés d’Alice Milliat, l’autre personnage-clé de la naissance des Jeux athlétiques à Monaco. Son club parraine et prête ses installations, et il fait jouer ses relations dans la presse pour en assurer la couverture. Grâce à lui, la presse sportive en particulier sera associée à l’évènement : deux journalistes de l’Écho des Sports, Robert Coquelle et Marcel Delarbre, sont respectivement commissaire général et directeur technique.

La première édition des Jeux athlétiques a lieu du 23 au 31 mars 1921. Les campagnes de qualification sont publiées dans les journaux, ainsi que le calendrier des épreuves. 

Cinq nations sont représentées : l’Angleterre, la France, l’Italie, la Norvège et la Suisse. Parmi celles-ci quelques figures émergent, notamment la jeune recordwoman des courses de vitesse et de saut en longueur Mary Lines, vedette d’une délégation anglo-saxonne très entraînée et médiatisée, qui domine les Jeux.

Mary Lines aux Jeux athlétiques de 1921, photographie de presse reprise dans L'Écho des sports du 24 mars 1921

La délégation française compte elle parmi ses rangs la très scandaleuse Violette Gouraud-Morris, figure incontournable du sport féminin des années folles, à la fois pilote, boxeuse, lanceuse de poids, footballeuse… et obtiendra des places honorables notamment dans les sports d’équipe.

Violette Gouraud-Morris aux Jeux athlétiques de 1921

L’organisation de ces Jeux, très mondaine, alterne réceptions, banquets et démonstrations de gymnastique avec les épreuves sportives elles-mêmes, ce qui leur vaut le surnom trouvé par les journalistes de l’Écho des sports d’ « Olympiade de la grâce ».

L'Écho des sports, 24 mars 1921

Tout au long du meeting, le journal va consacrer une rubrique entière aux Jeux de Monte-Carlo, ainsi que parfois des photos en une ou des reportages. D’autres titres lui emboîtent le pas, comme par exemple un autre titre de la presse sportive, La Vie au grand air, qui y consacre un important reportage photo.

La Vie au grand air, 15 avril 1921

Les Jeux athlétiques de 1921 sont un succès, et l’expérience est renouvelée en 1922 et 1923. Signe que le meeting devient un évènement international de premier plan, son traitement médiatique évolue. L’Écho des Sports continue de lui consacrer reportages et comptes-rendus journaliers, mais les moyens alloués augmentent, ce qui se ressent dans le nombre important de photographies et leur emplacement en une du journal.

L'Écho des sports, 20 avril 1922

Les Jeux athlétiques font également irruption dans la presse nationale et généraliste, comme L’Œuvre, Le Petit Parisien ou Le Quotidien, qui font paraître dans leurs colonnes sportives les résultats des Jeux, ainsi qu’en une du Petit Journal Illustré, qui se délecte des courses de haies.

Le Petit Parisien, 7 avril 1923

Le Petit Journal illustré, 22 avril 1923

Néanmoins, les Jeux athlétiques souffrent de la comparaison avec les premiers Jeux mondiaux organisés, toujours par Alice Milliat, en 1922 à Paris, et de la concurrence médiatique des Jeux olympiques de Paris de 1924. L’édition de 1923, malgré un plateau international relevé, sera la dernière. Au format demi-mondain propre aux Jeux monégasques, les fédérations sportives préfèrent un alignement sur les standards de compétitions anglo-saxons. L’engouement autour de la pratique sportive féminine se révèle finalement assez grand pour que les compétitions se tiennent sans l’apparat caractéristique des « Olympiades de la grâce. »

 

Pour aller plus loin :

Billets de blog Gallica :
Le sport au féminin, une course de longue haleine
Violette Morris, parcours d'une scandaleuse

Sélections Gallica :
Sport féminin
Alice Milliat et les Jeux olympiques féminins
Presse sportive féminine

 

L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques.
La série "Histoire du sport en 52 épisodes" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.

 

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