Charles Dickens en France
On a célébré en 2012 le bicentenaire de la naissance de Charles Dickens (1812-1870). Auteur de quinze romans, de nombreux contes, de pièces de théâtre. Journaliste, Dickens a joui de son vivant d’une popularité immense, sensible jusque dans ses lectures publiques d’extraits de ses œuvres. On connaît surtout chez nous Oliver Twist (1837), David Copperfield (1849), et Les Grandes Espérances (1860) ; la critique signale toute l’importance d’autres chefs-d’oeuvres, Bleak House (1852), Little Dorrit (1855) ou Notre ami commun (1864).
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Dans les pays anglo-saxons, malgré ou à cause de sa popularité, il a longtemps été perçu, jusqu’au début des années 50 comme un feuilletoniste génial, plus que comme un grand écrivain classique. Il est aujourd’hui, à l’égal de Shakespeare, une référence collective et patrimoniale fondamentale, célébré pour son humour, son sens de l’intrigue, le pittoresque des « caractères » qu’il a créés, sa satire des institutions anglaises, notamment judiciaire, et sa dénonciation des méfaits de l’industrialisation.
Dickens est traduit en France dès 1838, deux ans après son premier succès en Angleterre avec The Posthumous Papers of the Pickwick Club. Dans la seconde moitié du siècle, les traductions se sont multipliées en France, Louis Hachette lançant en 1856 dans le cadre de sa « Collection de Romans étrangers » la traduction de seize titres. On a moins traduit qu’adapté, et abrégé, ses longs romans, en essayant d’atténuer ce qui pouvait paraître le plus étrange au goût français. Certains titres sont ainsi méconnaissables : Oliver Twist devient Les Voleurs de Londres, De Grandes espérances est rebaptisé Le Neveu de ma tante.
Il est difficile de percevoir une influence directe de Dickens sur les écrivains français, mais il fait partie du paysage intellectuel dès la seconde moitié du XIXe siècle. Alphonse Daudet s’est senti avec lui « une parenté d’esprit », et leur sensibilité au sort des humbles les rapproche. On a fait du Petit Chose un frère de David Copperfield. Huysmans trouve ses personnages fades et trop bien-pensants, mais ses évocations de Londres servent de tremplin à l’imagination de des Esseintes pour s’arracher à l’ennui, dans le chapitre XI d’A Rebours. Flaubert reconnaît son grand art de réaliste, mais lui reproche un manque de composition.
La critique, au XIXe siècle, reconnaît en général l’ampleur de son œuvre, mais reste réservée sur ses qualités artistiques. Émile Hennequin, dans ses Écrivains francisés voit en lui un « littérateur affectif », « outrancier, partial et borné », mais note avec finesse chez lui un « effort à imaginer vrai ». Auguste Filon salue le peintre des humbles et du quotidien, soutenu par des conceptions religieuses humanistes, mais trouve qu’il se laisse trop emporter par son imagination. Taine admire le poète à l’imagination vive, mais la juge mal réglée par l’art. Pour lui, Dickens reste inférieur à Balzac car pas assez analytique, et bridé par une morale. Il faudra attendre, en France comme outre-Manche, la seconde moitié du XXe siècle pour que le génie de Dickens soit pleinement reconnu.
Philippe Collanges - direction des Collections, département Littérature et Art
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