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Les procédés du comique dans les salons caricaturaux

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Les salons comiques sont des comptes rendus parodiques et caricaturaux du Salon. Leur texte est une parodie de critique d’art et les dessins, des charges au graphisme simple mais très expressif. Afin de faire naître le rire, leurs auteurs ont recours à divers procédés, en voici quelques-uns… Allons donc rire au Salon…

La Vie parisienne, 1863

Les salons caricaturaux sont un genre parodique, c’est-à-dire une imitation burlesque et légère, un pastiche ayant pour simple but de faire rire sans arrière-pensées. Ils ont recours, dans ce but, à la caricature pour l’image et à divers procédés pour le texte ou les légendes... Il s’y ajoute parfois une intention satirique, moquerie plus subtile, plus fine et contestataire, un message qui tourne en ridicule un événement, une idée, un personnage.

 

Le travail sur la mise en page

 

La mise en page des salons caricaturaux permet un premier effet comique visuel. Selon l’importance relative du texte et des dessins, cette mise en page peut être classique ou plus imaginative. Elle évoque souvent la présentation d’un catalogue ou l’accrochage tel qu’il se présente sur les cimaises du Salon, par exemple :
... vignettes et légendes bien ordonnées et différenciées, comme dans un catalogue
... évocation de l’accrochage chargé des toiles, propice à des voisinages inattendus… 

 
Revue comique du Salon de peinture de l’an de grâce 1849…/ Bertall. Album du Journal pour rire, 1848
Fac-similé des tableaux pour rire, Salon de 1848 / Gustave Doré. Album du journal pour rire, 1848

 

... véritable fatras de tableaux pêle-mêle (on y reconnaît Auguste Schenck, Courbet…), attribuant, a priori, peu de qualité à des œuvres semblant mises au rebut …


Le Salon de 1868. Le Bouffon, 1868, 5 mai.

 

Ci-dessous, Gill met en relief une curieuse parodie d’une sculpture de Léon Cugnot et une double page de la Vie parisienne présente une vision d’ensemble du Salon : caricatures des peintures sur des cimaises représentées en perspective, frise de sculptures, visiteurs sur un canapé vus de haut, gardiens, portraits d’artistes…

Simplifications et déformations

Les caricatures sont gravées au trait (la lithographie est plus rare), en noir et blanc dans l’immense majorité des cas - quelques exemplaires sont parfois aquarellés a posteriori - c’est donc par la ligne et la forme uniquement, que le caricaturiste peut porter sa charge plastique, son calembour visuel. S’il est, dans ces conditions, difficile de rendre compte du style pictural de l’artiste pris pour cible, le prétexte à rire peut provenir de la scène représentée, des personnages, mais aussi des caractéristiques formelles de l’œuvre.
 
La caricature stylise, abrège, simplifie, géométrise

 

 

 …accentue, déforme…

Mise à mal de la figure humaine

La mise à mal de la figure humaine par les caricaturistes est aussi un fort ressort de comique : déformation, distorsion, accentuation des poses ridicules, mimiques, animalisation, travestissement…

 

Evocation de l’univers enfantin

Un autre ressort comique souvent utilisé par les caricaturistes est l’emprunt d’éléments à l’univers de l’enfance : dessins d’enfants, jouets, chevaux à bascule, poupées, marionnettes, pantins, carrousels, soldats de plomb, jeux, cocottes en papier… et aussi modèles d’atelier articulés.

 

Les salons caricaturaux se font l’écho de convictions largement partagées par les visiteurs : appréciation des œuvres à l’aune du travail fourni, critique de l’absence de dessin ou de son caractère maladroit ou enfantin, rejet des sujets triviaux ou populaires considérés comme non-artistiques...

 

Quand l’œuvre crée l'illusion ou prend vie…

 

Le caractère illusionniste des œuvres picturales est source infinie de plaisanteries. Des visiteurs sont représentés comme incapables de saisir la frontière entre le réel et sa représentation, adoptant des comportements inappropriés qui nécessitent l’intervention des gardiens…
... ainsi cette femme souhaitant saisir du raisin (tels les raisins du peintre grec de l’Antiquité Zeuxis)…
... cet homme qui aimerait se baigner, ou ces visiteurs incommodés par le soleil… :

   
Au Salon / Gédéon. Le Hanneton, 1868, 28 mai ; Nadar jury au Salon de 1853 ; Nadar jury au Salon de 1853

 

Ce rendu illusionniste virtuose de certaines œuvres correspond particulièrement au goût majoritaire du public.
 
Un autre procédé comique jouant du rapport entre le réel et à sa représentation, est de donner vie aux personnages peints ou sculptés : ils s’animent, discutent, entretiennent des relations de voisinage sur les cimaises, s’échappent de leur cadre ou de leur socle…
... ces «Pifferari», musiciens italiens sont bien à l’étroit dans leur cadre…
... ces baigneurs peints par Bazille demandent un petit verre à une soubrette leur voisine…
... un buste se déplace la nuit afin de contempler un portrait… :

 

   
 Nadar jury au Salon de 1857 Le Salon de 1874 / Stop.
Promenade au Salon de 1870 / Bertall. Le Journal amusant, 1870, 28 mai
 

Le Journal amusant, 1874, 4 juillet

 

Ainsi les auteurs des salons caricaturaux imaginent-ils une vie à tous ces personnages, une fois les portes du Salon refermées : réflexions et souhaits, relations avec les gardiens dont le travail de surveillance vis-à-vis des visiteurs pendant la journée semble se poursuivre avec les personnages hors des heures d’ouverture…
 
Des petites filles quittent leur cadre, le départ du public sonnant le début de la récréation, une autre, égarée, ne retrouve plus le chemin de sa cimaise…

 


Le Salon de 1863 et son sous-sol / Bertall. Le Journal amusant, 1863, 13 juin

 

Rapprochements, confrontations, collages

Les salons caricaturaux créent, dans leurs mises en page, des confrontations, des assemblages d’œuvres, des installations, des montages d’objets, des accumulations, des collages…

 

 

 La confrontation de la reproduction « sérieuse » d’une peinture avec une charge de cette même peinture est inhabituelle, en voici un rare exemple Sainte Geneviève enfant en prière. Le dessin est de Puvis de Chavannes, la caricature signée Brac :

 

Transpositions, polysémie, références, allusions

Le dessinateur Cham utilise souvent le détournement, transformant des scènes de tradition académique (peinture historique, mythologique ou religieuse) en scènes triviales, par l’introduction d’éléments anachroniques, quotidiens…

 

  

Promenades au Salon / Cham. Le Charivari, 1865 21 mai (Gustave Moreau, « Jason se débattant dans une mayonnaise de volaille… »)

28 mai (L.F. Schützenberger, Europe enlevée par Jupiter « Jupiter ayant promis une robe à Europe… »)

Le Salon de 1861 / Cham. Le Charivari, 1861 28 mai (Puvis de Chavannes, Bellum, la guerre « trois guerriers font des bulles de savon… »)

 

Les Salons caricaturaux sont aussi parsemés de références aux évènements politiques - notamment à la Commune -, artistiques, sociaux de l’époque, références que les visiteurs comprenaient sans problème, mais qui sont souvent plus difficiles à saisir de premier abord de nos jours.
Dans la vignette ci-dessous, Cham évoque les lois de 1868 qui interdisent toute allusion à la vie privée dans les journaux, en effet les attaques privées peuvent avoir des intentions politiques…

 

 

Texte et image font ainsi appel à la polysémie, aux glissements ou détournements de sens, aux associations d’idées aux allusions… particulièrement chez Robida.

L’humour du texte 

Les salons caricaturaux adoptent parfois une forme littéraire et narrative particulière.
Certains sont rédigés en vers comme Le Salon caricatural, critique en vers et contre tous, (d’une grande qualité et originalité de texte et finesse de rapports texte-image), ou celui du Tintamarre. Certains donnent soi-disant la parole aux artistes, Puvis de Chavannes, Courbet, Manet, Henner, Gustave Moreau, et d’autres… pour une explication fictive de leur œuvre, comme dans le feuilleton de la Vie parisienne pour le Salon de 1869. Certains mettent en scène des discussions imaginaires, dialectique qui met au jour certaines vérités, comme dans La Vie parisienne en 1874, entre deux femmes… Certains donnent la part belle à l’image, simples suites de vignettes humoristiques légendées.
Le texte, les légendes ont recours aux blagues, jeux de mots (sur le nom de l’artiste par exemple…), à la paraphrase, la répétition, l’emphase…

 

A suivre prochainement…

Salons caricaturaux. 7,  Rire de l'organisation et des protagonistes du Salon
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