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Louise Labé, autrice

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19 mars 2024

Les œuvres de Louise Labé se résument à un seul volume, qui suffit pourtant à faire d’elle une autrice à part entière. Écrits en dialogue avec ses contemporains, mais aussi nourris par la littérature antique, ses textes pleins d’humour sont habités par une revendication de liberté pour les femmes.

 
Le 12 août 1555, Jean de Tournes publie les Œuvres de Louise Labé Lyonnaise. Apparemment disparate, ce petit volume composé d'une épître dédicatoire, du Débat de Folie et d’Amour, de trois élégies et 24 sonnets, suivis de 24 poèmes « à la louenge de Louize Labé Lionnoize », est pourtant d’une remarquable cohérence. Il constitue une œuvre pleine d’irrévérence et d’humour, d'inventions stylistiques et de musicalité, aux significations multiples, avec pour fil rouge la revendication de liberté et la défense des femmes.
Louise Labé, contemporaine de Ronsard et Du Bellay, est une autrice de la Renaissance et fait comme eux le choix de genres modernes et à la mode à son époque. Sa grande culture lui permet de s’inscrire totalement dans la tendance humaniste : elle connaît bien les auteurs grecs et latins, notamment Ovide, dont les Métamorphoses et les Héroïdes l'inspirent. 
 

La métamorphose d'Ovide figurée imprimée par Jean de Tournes agrémentée de bois gravés (1557)

Elle contribue aussi à la redécouverte de la poétesse grecque Sappho. D'abord connue à travers la 15e épître des Héroïdes d’Ovide « Lettre de Sappho à Phaon », des fragments de son œuvre sont publiés à son époque. Elle la mentionne notamment dans le cinquième discours du Débat, et au vers 15 de sa première élégie : « Il [Apollon] m’a donné la lyre, qui les vers / Souloit chanter de l’Amour Lesbienne ».
Sa culture est aussi également nourrie par les humanistes contemporains : l'Éloge de la folie d'Érasme pour le Débat, par exemple. Chacune des parties du volume engage ainsi un dialogue entre ses modèles classiques et italiens et un caractère français (voire lyonnais) nettement affirmé.

Épître dédicatoire

Datée du 24 juillet 1555, l’épître dédicatoire est une lettre ouverte adressée à la destinataire idéale de son recueil, désignée par ses initiales « A M.C.D.B.L. » pour « à Mademoiselle Clémence de Bourges Lionnoize ». De façon très moderne, Louise Labé met ainsi en exergue, au seuil de ses œuvres, une « parfaicte amytié » entre deux femmes, et poursuit en développant un argumentaire résolument proto-féministe.
 

Elle rappelle les entraves qui ont été longtemps imposées aux femmes, et considère que le développement de l’humanisme devrait les faire tomber.
 

Elle invite la communauté des femmes à « eslever un peu leurs esprits au-dessus leurs quenoilles et fuseaus », en forme d'hommage à Christine de Pizan qui critiquait déjà un demi-siècle plus tôt la bipartition entre tâches féminines (quenouille) et masculines (savoir et création littéraire). Avec une pointe d’irrévérence, elle propose aux femmes non seulement d’égaler mais de « passer » (dépasser) les hommes dans les activités intellectuelles, et poursuit en affirmant avec humour que cela rendrait les hommes meilleurs car :

« les hommes mettront plus de peine & d'étude aux sciences vertueuses, de peur qu'ils n'ayent honte de voir précéder celles, desquelles ils ont prétendu estre toujours supérieurs quasi en tout. »

Cet appel à une saine émulation entre les sexes vise de manière très moderne à faire comprendre aux hommes qu’ils pourraient aussi s’améliorer grâce aux femmes.

La fin de l'épître rappelle que publier des œuvres sous son nom constitue, pour une femme, un écart : entrer seule dans l’espace public est une transgression. Aussi s’adresse-t-elle à toutes les femmes pour les inviter à « limer » son œuvre, appelant à la création d’une communauté d’entraide et d’échanges littéraires. La hardiesse des idées est assortie d’un éloge de l’écriture, source de plaisir et moyen d’épanouissement personnel.

Débat de Folie et d’Amour

Le genre du débat est ancien, codifié et savant. Il traite de façon allégorique des aspects conflictuels du désir : Folie et Amour (Cupidon) se battent ; Folie arrache les yeux d’Amour dont la mère, Vénus, réclame justice auprès de Jupiter ; s’ensuivent deux longues plaidoiries d’Apollon (qui défend Cupidon et l'agapè néo-platonicienne) et de Mercure (pour Folie, l'amour fou et la passion) et un Jugement final de Jupiter assez drôle mais qui ne tranche rien :

 

Le propos est émaillé de nombreuses références savantes, classiques et modernes : le Banquet de Platon, la Théogonie d’Hésiode, le deuxième Dialogue des dieux de Lucien, l’Éloge de la Folie d’Erasme (un des best-sellers de l’époque), les Azolains de Bembo, Le Courtisan de Castiglione ou le Dialogue d’amour de Speroni, tous traduits à cette époque. En dépit de cet arsenal érudit, le style reste très vivant : on est dans le domaine de la facétie, du burlesque (avec des parodies de la Genèse, de Saint Paul ou de Calvin) et de la transgression.
Louise Labé pose sur les débats de son temps le regard amusé d’une femme d’esprit qui utilise les dieux pour faire la morale aux hommes, et invite plutôt à choisir le camp de Folie, créative et libératrice : « Qui eut traversé les mers, sans avoir folie pour guide ». Elle dénonce au passage les rapports de domination entre les genres : Folie est aussi la puissance du Féminin.
Le Débat est son texte le plus apprécié et réédité au XVIe siècle. Au XVIIe siècle, Jean de La Fontaine y puise le sujet de l'une de ses fables, L'Amour et la Folie
 

Élégies 

L'élégie, épître amoureuse en vers, est un genre à la mode : Clément Marot l'a introduit en France avec sa Suite de l’Adolescence Clémentine (1534), et Thomas Sébillet en a fournit la définition moderne dans son Art poëtique françoys (1548). Les élégies de Labé doivent aussi beaucoup aux élégiaques latins, Tibulle et surtout Properce, ainsi que les Héroïdes d'Ovide, dont plusieurs éditions sont publiées à Lyon entre 1507 et 1552.

 
 

Cet ensemble poétique à la première personne met en scène l’histoire d’une femme abandonnée par son amant infidèle, poète comme elle. Sa composition ternaire correspond à trois étapes du sentiment amoureux : l’innamoramento, la douleur de l'absence et de la trahison, le regard rétrospectif. Louise Labé peint la passion qui aliène (« Ainsi Amour de toy t’a estrangée »), non sans humour là encore :

Dans le prolongement de l’épître liminaire, les élégies I et III s’adressent directement aux Dames, pour encourager l’écriture féminine et les inciter à se raconter elles-aussi :

La troisième élégie est d'ailleurs explicitement adressée aux « Dames lyonnaises » :

Avec Louise Labé, le sujet lyrique féminin se transforme en poétesse pour chanter sa douleur, et en tire sa gloire auprès des gens d’esprit.

Sonnets

Depuis Sainte-Beuve on a fait une interprétation naïve des Sonnets, comme expression spontanée de la passion vécue d’une âme féminine. On cite ainsi le plus souvent les sonnets VIII (« Je vis, je meurs ») et XVIII (« Baise m’encor »). Mais les 24 Sonnets forment surtout un ensemble savamment organisé et très codifié. En 1555, la forme du sonnet est le genre à la mode pour chanter l’amour, dans la tradition pétrarquiste. Le sonnet I, rédigé en italien en hendécasyllabes, est d'ailleurs un marqueur générique.

Si l'ironie pointe souvent pour interroger les métaphores pétrarquistes, comme dans la célèbre palinodie de Du Bellay en 1553 : « J’ai oublié l’art de prétarquiser », il s'agit surtout pour la poétesse de réécrire la tradition et les mythes au féminin, pour retrouver la voix de Sappho et en donner une à Laure. Le sonnet XII présente le luth de la poétesse amante, métaphore de l'écriture, comme le « compagnon de [sa] calamité »  :

Et le tout dernier sonnet appelle à la solidarité entre femmes et les met en garde : « Dames [...] gardez vous d'être plus malheureuses. »
Louise Labé apporte une inflexion nouvelle au modèle pétrarquiste en adaptant le rôle de l’amant poète au féminin. Dans la tradition du sonnet d’amour à cette époque, initiée par Pétrarque et suivie par des auteurs français comme Du Bellay et Ronsard, la femme aimée est objet et ne partage pas les sentiments du poète ; elle n'a pas de voix : son indifférence se fait connaître par le silence. Le sujet féminin des Sonnets de Louise Labé donne au contraire une voix à l'amour au féminin.

Écrits de divers poètes

Le recueil se termine par un ensemble de poèmes à la louange de la poétesse. Il fournit la caution nécessaire à une telle entreprise, affiche un réseau au sein duquel l’autrice s’inscrit et construit, dans un dialogue avec ses propres textes, son image. Il est ainsi introduit par un sonnet adressé « Aux poètes de Louise Labé », attribué à Jean de Tournes ou à Jacques Peletier du Mans, qui s'inscrit clairement dans la continuité des sonnets en comparant Louise et la Laure de Pétraque :

« Laure eut besoin de faveur empruntée,
Pour de renom les grâces animer [...]
Elle des dons des Muses cultivés,
S’est pour soi-même et pour autrui saisie »

 

Suivent 24 poèmes, nombre identique à celui des sonnets, dans un souci de construction, de genres très variés, certains sont en grec, en latin, ou en italien. Certains poèmes sont des réemplois, de nombreux auteurs restent anonymes, mais quelques plumes célèbres se font reconnaître de manière plus ou moins cryptée : Maurice Scève (qui signe de sa devise « non si non la » et parle de « labérynte » dans sa critique du Débat), Pontus de Tyard (initiales P. D. T.), Claude de Taillemont (anagramme « Belle à soy »), Pierre Woeiriot (« à Louise Labé, sur son portrait »), Olivier de Magny (plusieurs poèmes sans doute), Antoine Fumée (initiales A. F. R.), Jean Second (« o ma belle rebelle »), Jean-Antoine de Baïf (qui ironise à propos de son ami Magny « pauvret ») ou Clément Marot, à qui l'on doit cet épigramme :
 

Jacques Peletier du Mans publie de son côté une ode « À Louise Labé, Lionnoese » dans les « Opuscules » qui suivent son Art poétique, publié aussi par Jean de Tournes en 1555.

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