L’éventail, du chasse-mouches à l’étendard politique
Du dérisoire chasse-mouche à l’insigne de pouvoir, de l’objet d’art à l’arme de séduction, l’éventail possède de multiples facettes. Grâce à Gallica, découvrons l’histoire et les différents usages de cet accessoire de mode aujourd’hui quelque peu désuet.
L’éventail, insigne de pouvoir
Servant sans doute à l'origine à éloigner mouches et insectes, « l’esmouchoir », en queue de bœuf ou de cheval, en plumes d’autruche ou de paon ou encore en feuilles de palmier, semble avoir été utilisé dans de nombreux pays. Pour beaucoup, son origine semble incertaine. Le Ko-ji Hô-ten : dictionnaire à l'usage des amateurs et collectionneurs d'objets d'art japonais et chinois en attribue l’invention aux Chinois au XIIe siècle avant J-C ; Octave Uzanne dans L’Éventail évoque l’Inde quand le Dictionnaire français illustré et encyclopédie universelle de B. Dupiney de Vorepierre se contente de parler d’une naissance dans « les pays chauds ». Selon une légende, c’est Vénus elle-même qui présida à sa création !
De forme demi-circulaire, les premiers éventails sont rigides et ressemblent davantage à des écrans ronds ou carrés. Si le lieu d’origine reste incertain, il semble que partout dans le monde l’éventail a été un signe d’autorité et de pouvoir tant politique que spirituel. Les souverains dans l’Antiquité étaient éventés et honorés par de grands éventails d’apparat portés par des serviteurs privilégiés. Dans l’Égypte antique, le serviteur en question portait le titre honorifique de « flabellifère » à la droite ou à la gauche du roi. Dans les anciennes civilisations du Mexique, l’éventail est « l’insigne caractéristique d’une haute fonction officielle ou du représentant du souverain ». En Asie, dans l’ancienne monarchie indoue, il est même un des symboles de la royauté. D’une manière générale, l’éventail est un objet dont peuvent jouir ceux qui ont une place privilégiée dans la cité. Aussi les femmes romaines et grecques avaient-elles l’habitude d’être éventées par des esclaves.
L’usage rituel et codifié de l’éventail, en tant qu’accessoire noble et respecté, se retrouve dans la culture asiatique, au Japon en particulier où il fut longtemps présent dans bien des manifestations de la vie quotidienne. Pensons aux accessoires des courtisanes, que l’on peut voir sur les estampes de Hosoda Eishi et de Kitagawa Utamaro ou aux ustensiles utilisés lors de la cérémonie traditionnelle du thé. Dans les arts du spectacle, l’éventail est un accessoire récurrent, que ce soit dans l’art de la lutte, lors de la « danse aux éventails », de la danse « Bon odori » ou encore du Nô. Le Nihon buyō, art de la danse traditionnelle dont l’origine vient du kabuki, se pratique en général en kimono avec un éventail à la main. Celui-ci sert souvent à représenter un décor, une atmosphère ou une attitude ; son maniement, sa taille, sa forme et ses couleurs sont autant d’indices sur son possesseur.
Sur les portraits de la Renaissance et du début de l’âge classique, l’éventail, en plumes ou déplié, est souvent présent. Les portraits des reines de France se succèdent et toutes portent à la main un éventail : Marie Ire d’Écosse, née Marie Stuart, reine de France de 1559 à 1560 ; Élisabeth d'Autriche, épouse du roi de France Charles IX et reine de France de 1571 à 1574 ; Louise de Lorraine, reine de France de 1575 à 1589, épouse d’Henri III ; Marguerite de France ou Marguerite de Valois, fille du roi Henri II et de Catherine de Médicis ou encore Marie de Médicis, reine de France et de Navarre de 1600 à 1610 suite à son mariage avec Henri IV.
L’éventail, objet d’art
Au XVIIIe siècle, les artisans français prennent pour modèles les somptueux et riches éventails venus d’Asie, en ivoire ou en laque. En France, c’est surtout à Méru, dans l’Oise, que la fabrication des bois constituant la monture des éventails par les tabletiers se développe, permettant à la ville au XIXe siècle un véritable essor industriel, avant que cette activité ne périclite après la première guerre mondiale.
Les éventails deviennent au XVIIIe siècle des objets de luxe et d’excellence de l’artisanat français, à la frontière de deux univers qui se rencontrent, la mode et les arts décoratifs, et leur prix est bien sûr en conséquence :
Un siècle plus tard, les fêtes champêtres et galantes et les paysages bucoliques d’Antoine Watteau, Nicolas Lancret, Rosalba Carriera, François Boucher et Jean-Honoré Fragonard embellissent cet objet d’apparat, l’érigeant en véritable œuvre d’art valant une petite fortune. C’est également à cette époque que l’éventail, décoré de plus en plus coquettement, entre complètement dans la panoplie de la coquetterie féminine, au même titre que les mouches, poudres et flacons de senteur. L’éventail se décline selon les circonstances : éventail de deuil en peau de soie noire et brins d’ébène, de demi-deuil en dentelle noire, éventail blanc des épousées, éventail maternel, etc. À la cour, son usage se codifie, notamment devant la Reine.
Au XIXe siècle, le goût pour les éventails anciens était très en vogue chez les collectionneurs éclairés. Souvenons-nous de la joie du cousin Pons, grand amateur d’art, lorsqu’il pense reconnaitre chez un marchand de Paris le célèbre éventail de Madame de Pompadour, que l’on dit être un chef d’œuvre de Watteau ! L’imitation et la reproduction sont par conséquent encore privilégiées. De nombreux peintres, comme Ingres, Rosa Bonheur, Eugène Lami ou encore Jean-Léon Gérôme, prirent cependant le relais des peintres éventaillistes des siècles précédents, grâce aux célèbres éventaillistes Félix Alexandre et Jean-Pierre Duvelleroy. Ils renouvelèrent ainsi l’art de l’éventail. Edouard Manet, Claude Monet et Mary Cassatt, entre autres, firent de l’éventail un motif pictural, quand Berthe Morisot, Edgar Degas, Paul Gauguin, Camille Pissaro et Henri de Toulouse-Lautrec, signèrent des peintures directement sur feuille d’éventail. Sa forme en demi-cercle permettait en effet de jouer sur les pleins et les vides et donc de renouveler l’art de la perspective.
L’éventail, arme de séduction
« Ce rideau mobile fait tour à tour l’office de laisser voir ce que l’on veut masquer et de voiler ce que l’on veut découvrir ».
Attirail du génie de l’intrigue et de la séduction qu’est Clorinde Balbi dans Son Excellence Eugène Rougon, parure du beau monde dans La Curée de Zola ou signe de victoire chez Lisa Macquart à la Gaîté, l’éventail se pare de connotations multiples.
Dans La conquête de Plassans d’Emile Zola, l’éventail devient même quelque peu cabalistique…
L’éventail, objet dérisoire ?
Écrans à main, La Mode de style : recueil de toilettes, 11 juin 1890
Le Déserteur. n°6 : feuille d'écran à main
Étroitement lié à l’art raffiné de la parole, des messages cachés et des sous-entendus subtils, il n’est pas étonnant que l’éventail soit devenu un étendard politique, sous la Fronde d’abord puis surtout à partir de 1789, qui vit le triomphe des éventails en papier imprimé et colorié.
L'éventail, Octave Uzanne, 1882
Génie de la Liberté... : éventail à thème révolutionnaire
Les Parisiennes à Versailles : éventail avec chanson à thème révolutionnaire, 1789-1799
Au XIXe et XXe siècles, les multiples facettes de l’éventail continuent à intéresser écrivains et artistes. Il est mis en chanson par Hippolyte Ryon et Jules Jacob. Sully Prudhomme s’y est intéressé ainsi que François Coppée. À ceux qui douteraient encore de l’intérêt d’un tel objet pour l’art poétique, signalons que même Mallarmé a écrit sur cet accessoire – ses vers sont repris en musique par Claude Debussy.
Cendrillon : Femmes à l'éventail et valets : dessin, Jules Pascin, 1929
Pour aller plus loin
- À partir des collections Patrimoines partagés des Bibliothèques d’Orient, d’autres images d’éventails
- Les éventails sur le site des bibliothèques spécialisées de la ville de Paris
- Les éventails sur le site du Musée des Arts décoratifs à Paris
- Les éventails des collections du Musée de l’Eventail
- Sur France culture : « L’éventail rend visible notre place dans la société ».
Commentaires
Eventails
Pour ceux qui souhaitent aller plus loin, je me permets de signaler ma thèse d’Histoire de l'Art (Sens et sujets de l'éventail européen de Louis XIV à Louis-Philippe), disponible en ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01220297
PHB
L'éventail au 21ème siècle !
Bonjour, cet été j'ai trouvé de très beaux éventails dans une boutique spécialisée dans cet accessoire dans le Sud de la FRANCE. Avec les canicules récurrentes, l'éventail est très utile. Je l'ai même utilisé au restaurant où il n'y avait ni clim, ni ventilateur. Je compte bien m'en racheter d'autres. Pour moi c'est un objet utile pour se ventiler à moindre frais, car pas besoin de brancher de clim ou de ventilateur. Économique, écologique et efficace. Parfait aussi en cas de bouffées de chaleurs !
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