Guéridons galants (4/4)
A l'heure des gestes barrières, abordons les séances de spiritisme de la fin du 19e et du début 20e s. sous un angle bien spécifique : le CONTACT PHYSIQUE ! Dans ce dernier épisode, nous verrons comment les compatibilités (ou incompatibilités) amoureuses se décident à l’épreuve des tables ou chapeaux tournants et comment l’obscurité des séances peut faire descendre des « langues de feu » pas si « immatérielles »…
L'engouement du milieu du 19ème siècle pour les tables tournantes puis pour le spiritisme devient le sujet de nombreux articles satiriques et de fictions plaisantes publiés dans les grands titres de la presse nationale. Il s’agit souvent pour les auteurs de faire de l’esprit et de déclencher le rire de leurs lecteurs : sous-entendus galants, mises en scène piquantes et jeux licencieux sur l'ambivalence des mots sont, dans ce cadre, des procédés fort efficaces...
Des séances prétextes à des jeux amoureux ?
L’un des premiers journalistes à porter un regard amusé sur le phénomène (Eugène Guinot dans le numéro du 15 mai 1853 du Pays, journal de l'Empire) explique l’attrait de ses contemporains pour les tables tournantes par l’excitation charnelle et sentimentale que les séances procurent :
LEGENDE :
"Monsieur. – J'ai parfaitement entendu des craquements et senti comme une langue de feu...
Madame. – Tiens, c'est extraordinaire, moi aussi..."
Ce motif de la femme, du mari, de l’amant … et du guéridon n'est pas rare dans la presse de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle. La concomitance de la vogue des tables tournantes et du vaudeville explique sûrement ce télescopage humoristique, parfois singulièrement grivois, qui fait se rencontrer pratiques spirites et adultère. Le plus étonnant est que les journaux récréatifs et légers n’ont pas le monopole de cette superposition thématique. Si le Journal amusant est familier du motif, avec par exemple son « Cocu Magnétique » de José de Bérys, des titres plus sérieux comme Le Figaro l'utilisent également : Emile Blavet met ainsi en scène en 1869 une bien curieuse histoire de cachemire magnétisé qui ravit tout aussi bien l’épouse, l’époux et l’ « ami charmant adoré de sa femme ».
Au terme de notre parcours sur le spiritisme au prisme du toucher, quittons les sceptiques railleurs des jeux de l’amour et du guéridon pour laisser s'exprimer une lectrice du journal La Séduction. Sa question envoyée, vraisemblablement en 1936, à la rédaction parisienne de l’hebdomadaire au 30 rue Saint-Lazare s’adresse au Professeur Swastis, responsable de la rubrique « La Colonne du Mystère » du même journal :
« – J’ai l’habitude avec mon amant, d’interroger les esprits, en les évoquant grâce à la table tournante. On me dit que cette pratique est à déconseiller. Qu’en pensez-vous ? »
Mis en lumière par le Petit Journal illustré pour ses prophéties relatives à 1927 et 1928, aux côtés de la voyante Mme Fraya et du fakir Fhakya-Khan, et auteur du livre Les Songes ne sont pas des mensonges, le professeur Swastis, tour à tour présenté comme « mage » puis « maître de l’astrologie contemporaine », alimente en effet la chronique dédiée à l'occultisme dans l’hebdomadaire La Séduction de mai 1935 à décembre 1938.
Le sujet n’est cette fois pas pris à la légère ! Dans son article du 25 janvier 1936 intitulé « Amours et tables tournantes », le professeur répond avec gravité à la question reçue et, tout en se souciant de ne pas froisser ses confrères spirites, fait passer à ses lecteurs toute envie de caresser la robe des fantômes - tout particulièrement aux amants qui du guéridon doivent se tenir … à DISTANCE !
Pour consulter les billets précédents, c'est ici :
- « Pas de fluide sans contact » : le spiritisme au prisme du toucher (1)
- « Contrôleurs des mains, contrôleurs des pieds » : le spiritisme au prisme du toucher (2)
- « Esprits tactiles » : le spiritisme au prisme du toucher (3)
Pour aller plus loin
- Les voix d’outre-tombe : Tables tournantes, spiritisme et société au XIXème siècle de Guillaume CUCHET, Seuil, 2012
- Laboratoires de la foi : mesmérisme, spiritisme et occultisme en France de 1853 à 1914 de John WARNE MONROE, Presses universitaires de Bordeaux, 2013
- Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, 1785-1914 de Nicole EDELMAN, Albin Michel, 1995
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