Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Contrôleurs des mains, contrôleurs des pieds (2/4)

0
13 janvier 2021

A l'heure des gestes barrières, abordons les séances de spiritisme de la fin du 19e et du début 20e s. sous un angle bien spécifique : le CONTACT PHYSIQUE ! Deuxième épisode : le toucher comme instrument de contrôle. En vedettes : le corps fragmenté de la médium Eusapia Palladino, ses "contrôleurs", une ficelle de 3 mm de diamètre, des jupons vides et une pluie de violettes odorantes.
 

L'extériorisation de la motricité : recueil d'expériences et d'observations d'Albert de Rochas (1906)

 

Dans le précédent billet, nous avions souligné combien le contact rapproché des individus en séance était présenté comme une condition nécessaire à l’apparition de forces immatérielles et combien une gestuelle plus ou moins codifiée se mettait en place. Ces pratiques trouvaient leur justification dans des théories plus anciennes comme celle du magnétisme animal de Mesmer mais n’étaient pas non plus sans lien avec les travaux sur le courant électrique diffusé dans la presse de l’époque.

Les mentions de contacts physiques entre participants et médiums émaillent aussi les récits de séances à d’autres fins : il s’agit de convaincre les lecteurs que tous les contrôles de validité "scientifique" de l'expérience sont opérés et qu’il n’y a pas de triche possible.
 

Le toucher : un instrument de contrôle pour éviter les supercheries

 
A la lecture de comptes rendus d’expériences de matérialisation des esprits, consignés dans les organes de presse spirites ou dans les monographies spécialisées - souvent rédigées par des médecins ou scientifiques, le lecteur est frappé par le même souci des textes : montrer que toute supercherie a été soigneusement évitée. Les auteurs détaillent amplement les protocoles mis en place et adjoignent à leurs écrits des schémas de reconstitution de séance et des photographies.

Cette préoccupation grandissante au fil des publications donne à voir des contacts renforcés entre les participants lors des séances et la classique chaîne devient multidimensionnelle : de chaîne des mains, elle devient « la chaîne des mains et des pieds » - et des « avant-bras » serait-on tenté d’ajouter à lire cet extrait de récit de séance publié dans le numéro de septembre 1926 du Bulletin de la Société d'études psychiques de Nancy :
 

 

 

Dans la mesure où les séances ont généralement lieu dans le noir, il s’agit pour les participants de s’assurer de « leur présence mutuelle dans le cercle » afin d’être certains que personne ne sort de la chaîne pour aller actionner secrètement un dispositif factice.

Un rôle nouveau apparait pour certains des assistants : celui de « contrôleur ». La tâche du « contrôleur » est de s’assurer que le membre du médium dont il a la charge ne bouge pas pour éviter toute fraude. Il peut être amené à « contrôler » un pied, une main ou les genoux dans un rapport des plus rapprochés avec le médium, qui est souvent une femme dans le corpus de textes étudiés. Ce rôle de « contrôleur » paraît toujours, lui, être tenu par des hommes. Beaucoup de photographies ou d’illustrations mettent en scène cette gestuelle de contrôle sur le corps du médium :

Les mains de la médium Linda Gazzera sont contrôlées pendant l'apparition de l'ectoplasme
"sans une seule interruption" (Traité de métapsychique de Charles Richet, 1922)
 

 
L'extériorisation de la motricité : recueil d'expériences et d'observations d'Albert de Rochas (1906)
 
On notera ici le rôle très spécifique du Docteur Dariex « contrôleur des pieds » ! Trois hommes, trois rôles, répartis comme dans une pièce de théâtre...

 

Certains auteurs sont particulièrement tatillons dans leurs préconisations du contrôle de la main car « Il ne suffit pas en effet de sentir une main, il faut être sûr de la main tenue », et ce toujours dans l'optique d'éviter les fraudes. Pour ce faire La Revue de psychologie appliquée et de psychopotence donne quelques astuces aux contrôleurs dans un de ses numéros de 1908 :

«  Le contrôleur de droite doit bien s’assurer que c’est la main droite qu’il tient, celui de gauche que c’est bien la gauche. Aussi pour ne pas se tromper, ils doivent sentir toujours le pouce de la main qu’ils tiennent. Les deux pouces sont dans des positions opposées ; en reconnaissant le pouce maintenu, sa forme, sa position par rapport à la main on est assuré que c’est bien la main dont on a la charge qui est contrôlée. »

Ces contrôles, qui s’accompagnent d’une installation « aussi près que possible du médium » sont parfois extrêmement poussés, voire quelque peu intrusifs. Le corps du médium est fragmenté pour être mieux contrôlé. C’est le cas des multiples séances avec Eusapia Palladino soupçonnée à plusieurs reprises de fraude. La séance se passe à l’Ile Roubaud le 4 août 1894 avec comme expérimentateurs Charles Richet et Albert de Rochas qui relate dans L'extériorisation de la motricité  :

« … nous recommençons en exigeant encore le contact de la tête. Elle [Eusapia] applique son front contre mon front, je lui tiens d’une main sa main droite tout entière, en sentant tout son avant-bras depuis le coude jusqu’au bout des doigts ; avec l’autre main j’embrasse ses deux genoux réunis ; avec le pied je touche sa jambe droite, depuis le genou jusqu’au bout des doigts »

L’entremêlement des corps est bien audacieux !
Dans ce contexte de contrôle très serré, on peut comprendre que notre médium se plaigne parfois d’hyperesthésie !

« Eusapia accuse d'une manière presque constante en cours de séance de l’hyperesthésie aux mains. Elle demande qu'on lui tienne les mains sans appuyer sur la face dorsale ou plutôt qu'on la laisse appuyer elle-même ses mains sur celles des contrôleurs (1905-VIII-4). Son hyperesthésie s'étendrait parfois aux poignets et aux avant-bras.» (Documents sur Eusapia Palladino, Institut général psychologique, 1909)

La contrainte exercée sur le corps d’une médium, qui ne s’appartient plus tellement, un peu chosifiée, va parfois plus loin : la médium peut être déshabillée puis attachée pour s’assurer qu’immobile, elle n’utilise pas de subterfuge ni ne cache dans ses vêtements quelques expédients. C’est ce qui arrivera à Mme Valentine qui réussira à faire descendre sur elle, au cours de la séance, une pluie de violettes odorantes mais … ne parviendra pas à faire parler une table qui restera « muette absolument ».
La scène qui se déroule en 1887 est racontée par le Docteur Gornard dans le journal Le Progrès spirite du 20 avril 1902 :

 

Il arrive que les mains de la médium soient également attachées à celles de ses voisins et les liens « serrés presque au point de lui faire mal » comme nous le rapporte le Docteur Albert Coste dans son livre Les phénomènes psychiques occultes dont la seconde édition est parue en 1895 :

« Pour nous assurer que nous n'étions pas victimes d'une illusion, nous attachâmes les mains du médium [Eusapia Palladino] à celles de ses deux voisins, au moyen d'une simple ficelle de 3 millim. de diamètre, de façon que les mouvements des quatre mains se contrôlassent réciproquement…
L’attache fut faite de la façon suivante : autour de chaque poignet du médium, on fit trois tours de ficelle, sans laisser de jeu, serrés presque au point de lui faire mal, et ensuite on fit deux fois un nœud simple. »

Mais il arrive que, comme par un retournement du sort, le corps de la médium, en se dématérialisant réussisse à se soustraire aux palpations des expérimentateurs. C’est ce que ce que raconte Mme Espérance dans son témoignage à la première personne repris intégralement dans Un cas de dématérialisation partielle du corps d’un médium (1896) : lors d’une séance à Helsinki le 11 décembre 1893 la moitié de son corps disparait ! L’hôte des lieux, Monsieur Seiling, en voulant palper ses genoux n’y touche que ses jupons :

« Je sentis que sa main me touchait aux genoux mais il répliqua : « Non, il n’y a rien que vos jupons ! »

Constat confirmé par un autre homme de l’assistance, le capitaine Toppelius :

« Pas même la moitié de votre corps n’est resté ! »

L’auteur de l’ouvrage, Aksakow, prend soin de dessiner pour ses lecteurs un petit croquis afin de montrer les endroits où siégeait le séant de Mme L’Espérance et où sa main n’a rencontré que vide …

 

 
 

La démonstration de sérieux de nos expérimentateurs, qui revendiquent d'utiliser leurs sens à des fins toutes vérificatoires, tranche parfois avec la tactilité bien taquine de quelques uns des esprits qui se matérialisent lors des séances, comme nous le verrons dans le troisième billet de la série : « Esprits tactiles ».

 

Pour consulter le billet précédent, c'est ici :

 

Pour aller plus loin

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.