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Augusta Klumpke-Déjerine, pionnière en neurosciences

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 D’origine américaine, Augusta Klumpke (1859-1927) quitte la Suisse et arrive en 1876 en France. Elle va entamer des études médicales et des certitudes bien établies.

Faculté de médecine de Paris : le grand amphithéâtre, 1908 (Collections de la BIU Santé).

Une ténacité payante

Lors de sa demande d’inscription aux cours, le doyen de la Faculté de médecine de Paris, le neurologue Alfred Vulpian, tente de la dissuader :

Mais mademoiselle, vous êtes-vous rendu compte de la longueur et de l'aridité des études ?  Connaissez-vous le milieu de la Faculté de médecine ?  Les allures  indépendantes de cette jeunesse médicale jalouse de ses libertés, ardente, turbulente, parfois véhémente et violente, malaisée à conduire, difficile à régenter ? Je vous en parle, en doyen, fit-il en souriant... Vous allez être ONZE femmes inscrites à la Faculté et réparties sur les six années d'études. Ce sont pour la plupart des femmes de 30, 40, 45 ans. Et vous, vous êtes toute jeune !!! ...

Devant la ténacité de ces candidates, le doyen céde, mais à une condition : elles entreront dans l’amphithéâtre sous la protection du professeur. Très mauvaise idée : cela crée au contraire un chahut indescriptible à leur entrée. Néanmoins la Faculté de médecine parisienne est la première en France à accepter les femmes.
La première étudiante en médecine, Madeleine Brès avait échoué dans sa tentative d'accéder au concours de l'externat. Blanche Edwards-Pilliet et Augusta Klumpke sont autorisées à s'y présenter et réussissent toutes les deux en 1882. Cependant le concours de l'internat leur reste inaccessible. Elles se heurtent à une véritable opposition de la part de leurs détracteurs ; avec une mauvaise foi flagrante, ils tentent de démontrer l'inaptitude féminine à la carrière médicale et manifestent bruyamment leur désaccord au Quartier-Latin :

Boul'Mich où s'égosillaient si consciencieusement en des boucans formidables les futurs magistrats et les docteurs destinés à devenir graves.

La presse contemporaine prend la défense des étudiantes, battant en brèche les arguments de la partie adverse :

La femme-docteur, dit-on, peut encore, dans l'exercice de son art, protéger sa pudeur contre certains désagréments professionnels auxquels aucune femme ne saurait se résigner sans une vive répugnance ; elle se consacrera spécialement aux maladies de son sexe ou à celles de l'enfance. Mais à l'hôpital, ce n'est plus cela. C'est un blessé qu'on amène, un malade qui a besoin d'un prompt secours. Vite, écartons les linges et les draps, mettons à nu ce corps secoué par la souffrance. Il ne s'agit pas ici de faire la petite bouche. Il faut voir, il faut toucher. Voilà, certes, une préoccupation très morale; mais il me semble  que ceux qui s'en font une arme pour défendre le privilège se montrent bien empressés à  protéger la pudeur d'autrui et qu'ils se font bien aisément plus royalistes que le roi.

Finalement, le préfet de la Seine autorise les femmes à se présenter à l'internat en 1885. Après un premier échec dû à l’absence totale d’objectivité du jury, Augusta Klumpke devient en 1886 la première femme interne en médecine. Un premier pas qui suscite des vocations puisque l''année suivante, à la Faculté de médecine de Paris, on dénombre 12 Françaises sur 114 candidates issues en majorité des pays de l’Est. 

Un renoncement surprenant

Nommée à l’hôpital de Lourcine, Augusta Plumpke se heurte à l’hostilité de ses confrères qui lui interdisent l’accès à la salle de garde, la contraignant à manger seule. Dans un article qui lui est consacré, on mesure à quel point les tentatives de la nouvelle interne de se faire la  plus discrète possible sont vouées à l’échec et quel problème organisationnel pose son arrivée à l’administration hospitalière.
En 1889, elle découvre la paralysie du plexus brachial inférieur connu sous le nom de syndrome de Déjerine-Klumpke et soutient sa thèse de doctorat :

Des Polynévrites en général et des paralysies et atrophies saturnines en particulier,
étude clinique et anatomopathologique / par Mme Dejerine-Klumpke,... 1889

Or, celle qui vient de réussir l’internat renonce à poursuivre ses études un mois après son mariage alors que l’on sait tous les obstacles que Blanche Edwards-Pilliet et elle-même ont surmontés pour y parvenir. En effet, après huit ans de fiançailles, elle épouse Jules Déjerine, neurologue rencontré pendant ses études. Le mystère demeure quant à la raison de cette interruption. A-t-elle été rebutée par l'accueil si particulier qu'on lui a réservé à l'hôpital de Lourcine ou bien est-ce pour se conformer aux desiderata de son mari ? Toujours est-il qu’elle va  travailler désormais sans poste officiel ni salaire dans le laboratoire de celui-ci d’abord à l’hospice de Bicêtre, puis à partir de 1895 à celui de la Salpêtrière. Elle ne sera d’ailleurs jamais sympathisante des suffragettes contrairement à certaines de ses consoeurs.

Madame Déjerine au laboratoire (Collections de la Biu Santé)

Simple collaboratrice ou chercheuse ?

Les Déjerine se sont faits connaître par leurs recherches sur les maladies du système nerveux central ; leur ouvrage Anatomie des centres nerveux est considéré comme une oeuvre maîtresse en neurologie. Augusta Déjerine-Klumpke se spécialise dans l’anatomie pathologique du système nerveux. Elle supervise les dessins des planches anatomiques des centres nerveux  à partir de ses préparations minutieuses :  avec une machine appelée microtome, elle découpe  les cerveaux au préalable durcis en tranches fines pour pouvoir les étudier. Elle a donc mis au point la méthode histologique  i.e. l'anatomie microscopique - des coupes en série. Pour cette raison, tous deux sont souvent caricaturés dans la presse contemporaine sous les traits de charcutiers. Dans leurs ouvrages commmuns, Jules Déjerine apparaît comme auteur principal, son épouse étant reléguée à la fonction de collaboratrice. Cette distribution des rôles interroge, d'autant plus que les historiens des sciences auraient découvert les manuscrits originaux de son écriture à elle. Sans doute à l’époque la caution intellectuelle d'un homme est-elle nécessaire : les femmes devront attendre le vingtième siècle pour signer leurs travaux.

Le Professeur Jules Déjerine (Collections de la BIU Santé)

Pendant la Grande guerre, le couple crée le service des blessés militaires à la Salpêtrière et à la mort de Jules en 1917, elle dirige le service des paraplégiques et des blessés des nerfs à l’Hôpital des Invalides.
En définitive, la première étudiante ayant réussi l'internat de médecine a préféré devenir simple collaboratrice de son mari. Cependant le couple formé par Jules et Augusta Déjerine-Klumpke, tous deux considérés comme des pionniers en neurosciences, apparaît comme indissociable.

Pour aller plus loin

Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité.
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