Madeleine Brès, première femme médecin
Il y a cent ans mourait Madeleine Brès (1842-1921), la première doctoresse française. Faisant fi de tous les obstacles qui se dressaient devant elle, elle a ouvert la voie aux femmes dans un milieu particulièrement misogyne en cette fin du XIXe siècle.
Amphithéâtre de l'école de médecine / Gustave Doré, 1854
Une jeune femme volontaire et combative
Rien ne prédisposait la jeune femme à ce parcours hors normes : née dans un milieu modeste, elle fait des études sommaires avant de se marier à l'âge de 15 ans avec un conducteur d'omnibus et d'avoir trois enfants. Grâce à l'autorisation de son mari, à 22 ans elle décide d'entreprendre des études de médecine, mais le doyen de la Faculté de médecine de Paris, Charles-Adolphe Wurtz, pensant sans doute l'éconduire, lui enjoint de passer d'abord les deux baccalauréats. Premiere difficulté à une époque où les lycées de jeunes filles n'avaient pas encore été créés et où celles-ci devaient se satisfaire d'une instruction à vocation mondaine qui ne les préparait pas à l'obtention du diplôme. Pourtant Madeleine Brès devient bachelière ès-lettres, puis ès-sciences en 1869 à l'âge de 28 ans grâce au soutien financier de la baronne James de Rothschild. Elle postule à nouveau et le doyen Wurtz, surpris par cette ténacité, en réfère à son ministre Victor Duruy ; lequel tout aussi indécis soulève la question à un conseil des ministres présidé par l'impératrice Eugénie. Nous pouvons donc voir en cette dernière une féministe avant l'heure puisqu'elle appuie chaudement cette candidature en formulant le voeu que d'autres femmes suivent cet exemple.
La première femme reçue docteur en médecine à Paris en 1875 (Collection de la BIU Santé)
Madeleine Brès devient donc stagiaire malgré l'opposition du nouveau doyen Vulpian qui s'oppose à la mixité des cours. Pendant le siège de 1870 et la Commune, elle est interne provisoire à l'Hôpital de la Pitié ; mais ce n'est pas pour autant qu'on l'autorise à se présenter à l'externat en 1871. Le directeur de l'Administration de l'Assistance publique précise que ce refus n'est pas lié à sa candidature personnelle, mais au fait que cela créerait un précédent fâcheux, d'autres femmes pouvant alors y prétendre ! Il leur faudra attendre encore dix ans avant que ce veto ne se lève.
Des patientèles dévolues aux femmes médecins
En 1875, à l'âge de 33 ans, elle est la première Française à soutenir sa thèse de doctorat De la mamelle et l'allaitement dont le contenu est jugé original et très valable sur le plan médical. A l'issue de sa soutenance de thèse, cela n'empêche pas le directeur du jury, le doyen Wurtz de déclarer sur un ton sentencieux :
Votre thèse restera dans nos archives comme ouvrage scientifique, et permettez-moi de vous féliciter de la délicatesse que vous avez apportée dans le choix de votre sujet. Votre rôle devra se borner à la guérison des maladies des femmes et des enfants, et je vous félicite de l'avoir si bien compris.
Autrement dit, on ne lui décerne son diplôme de docteur en médecine que dans la mesure où elle accepte de limiter son champ de compétences à des spécialités où le fait d'avoir affaire à une doctoresse peut faciliter la consultation des femmes et des enfants. Et de fait, Madeleine Brès se conforme aux attentes de la Faculté de médecine en ouvrant un cabinet privé de pédiatrie à Paris. On peut imaginer qu'après avoir tant bataillé, elle était lasse de tous ces obstacles sur son chemin : il ne faut pas oublier l'atmosphère houleuse que suscitait sa présence dans les amphithêatres à la population estudiantine exclusivement masculine jusqu'alors. Mais désormais la brèche est ouverte et d'autres jeunes filles tentent à leur tour de s'introduire dans la place en dépit des questions à caractère sexiste des professeurs :
Si vous êtes enceinte mademoiselle, comment pourrez-vous avec votre gros ventre vous pencher sur le lit du malade ?
Sa spécialité : la puériculture
Cependant la première doctoresse semble s'être satisfaite de sa spécialité et se passionne pour l'hygiène et la pédiatrie. En 1877, elle rédige un ouvrage :
L'allaitement artificiel et le biberon / par Mme Madeleine Brès, 1877
En 1885, elle fonde sur ses propres deniers une crèche doublée d'une école d'hygiène dans le quartier ouvrier des Batignolles à Paris. Elle est plusieurs fois récompensée pour son oeuvre dans le domaine de la puériculture.
Vue d'une salle de récréation de la crèche fondée par Mme le Docteur Madeleine Brès
(Collection de la BIU Santé)
Pourtant, malgré cette reconnaissance officielle de son oeuvre, devenue presque aveugle elle vit dans une profonde misère et sollicite un hébergement auprès de l'Assistance publique. Laquelle peu reconnaissante lui propose un lit dans un dortoir commun. C'est finalement une association caritative qui lui verse une petite rente jusqu'à sa mort à l'âge de 79 ans.
Le nom de Madeleine Brès est resté dans les mémoires, comme celui de la première femme ayant bravé un interdit à une époque où les études médicales étaient strictement réservées aux hommes, les femmes s'étant contentées jusque là du métier de sage-femmes ou d'infirmières. Mais confrontées à la difficulté de se fabriquer une clientèle privée, les premières doctoresses vont se spécialiser en pédiatrie, gynécologie, hygiénisme ou médecine sociale.
Pour aller plus loin :
- Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité.
- Voir tous les billets de la série.
- L'accession des femmes aux études de médecine en France (1870-1900) : conférence du jeudi 3 février 2011 / Simone Gilgenkrantz. ( extrait sur l'accès des jeunes filles aux études à partir de 00.09 : 06 ; extrait sur Madeleine Brès à partir de 00.38 : 12)
Commentaires
Femmes médecins
Je me permets de vous signaler la parution d'un article :
Michel Aussel, "Franceline Ribard (1851-1886) première ophtalmologue de France : de l'École de médecine de Nantes à la mission Paul Bert au Tonkin", dans les Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, tome 127, décembre 2020, n° 4. https://doi.org/10.4000/abpo.6492
Cordialement. M. Aussel
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