Protection des animaux au 19e siècle : 2. la protection de tous les animaux
Après la création de la Société Protectrice des Animaux en 1846, la législation évolue d'abord vers la protection des animaux utilisés par les hommes pour leur force motrice, les « bêtes de somme », et progressivement vers une protection étendue à tous les animaux domestiques.
L’extension de la protection à l’ensemble des animaux domestiques est très vite apparue comme une nécessité. Le terme d’animal domestique est, d’ailleurs, à prendre au sens large. Un juriste souligne, en s’appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 1861, que cette protection étendue est bien dans l’esprit de la loi Grammont : en effet, d’après la Cour de cassation
la dénomination d’animaux domestiques « s’applique à tous les animaux qui vivent, s’élèvent, sont nourris et se reproduisent par les soins de l’homme. Il faut donc entendre par animaux domestiques tous les animaux de service, les bêtes de trait, les bêtes de somme, les bêtes de monture, le bétail , la volaille, enfin tous les animaux qui vivent à l’état domestique, qui sont acclimatés et élevés parmi nous ».
(La Protection légale des animaux en France par F. Florens, 1890, page 15)
Le Dr Henry Blatin, soutenu par d’autres membres de la SPA, se bat sur tous les fronts : défense des chiens utilisés comme bêtes de somme, attelage des bœufs, transport des animaux de ferme, mode d’abattage, vivisection, oiseaux insectivores. Par ailleurs, véritable inventeur, il met au point divers appareils destinés à soulager les chevaux (une boucle avec ardillon à retrait permettant de dégager instantanément un cheval à terre, un arcanseur aidant à gravir les côtes, différents freins appliqués aux voitures de travail) pour les bœufs attelés un demi-joug en remplacement du collier, ou encore une muselière perfectionnée pour les chiens afin d’éviter la propagation de la rage (Notice biographique sur le docteur Henry Blatin…29 mars 1869, inventions page16)
La vie des "bêtes de somme" et des chiens errants
L’utilisation des chiens comme bête de somme est courante. Attelé à la manière d’un cheval à une charrette ou une voiture à deux roues pesant sur son dos, le chien de trait doit supporter des charges que sa constitution ne permet pas. Les photos permettent de constater la surcharge de ces charrettes, leur mauvais équilibre ; elles étaient totalement inadaptées à la traction canine. Par ailleurs, le travail demandé au chien est excessif et les recommandations pour l’adoucir peu respectées. De l’avis même des vétérinaires de l’époque le chien attelé est usé avant l’âge et ne dépasse pas cinq ans. « Il meurt, d’un coup, souvent d’anévrisme » écrit Paul Marmottan dans son article « La question de l’attelage des chiens en France » qu’il publie dans le Bulletin de la Société protectrice des animaux de décembre 1909.
La SPA voudrait obtenir l’interdiction de cette pratique à l’instar des Anglais. En effet, dès 1839, une ordonnance avait interdit d’utiliser les chiens comme animaux de trait à Londres. Elle avait été étendue à tout le Royaume-Uni en 1854 (Albert Delacourt, Les animaux et la loi pénale (étude d’histoire du droit) : thèse pour le doctorat, 1901, page 82). A Paris, une ordonnance du préfet de police du 1er juin 1824 interdit la circulation des voitures traînées par des chiens. Afin qu’elle soit appliquée, cette ordonnance figurait dans les guides destinés aux agents de police en activité à Paris.
Mais, en 1897, les attelages sont toujours autorisés dans la majorité des départements. Dans seulement 28 départements, des arrêtés préfectoraux s’appuyant sur la loi Grammont, interdisent formellement l’utilisation des chiens comme bête de somme. Les plus anciens ont été pris en 1853 en Haute-Saône et en Seine-et-Marne, et en 1854 dans l’Eure. (Les attelages de chiens, étude administrative par Edg.Trigant-Geneste. Extrait de la Revue générale d’administration, 1897)
En 1909 les protecteurs déplorent que les attelages de chiens n’aient toujours pas disparu dans les zones limitrophes de la Belgique où cet usage est très répandu. (Paul Marmottan, La question de l’attelage des chiens en France, Bulletin de la Société protectrice des animaux, décembre 1909). En réalité, les attelages de chiens ne disparaîtront totalement qu’avec le développement du vélocipède, et l’apparition de l’automobile.
Les protecteurs de la SPA cherchent, par ailleurs, à résoudre le problème de la prolifération des chiens errants dans les villes. L’idée d’une taxe sur les chiens proposée plusieurs fois depuis 1845 est reprise par le Dr Henry Blatin et acceptée. La Loi relative à l’établissement d’une taxe municipale sur les chiens du 2 mai 1855 est publiée au Moniteur universel le 5 mai 1855 et inséré au Bulletin des lois. Le texte a immédiatement des effets pervers qui n’avaient pas été envisagés, car les ouvriers et les petits employés étaient incapables de la payer. La SPA ne peut que constater son échec.
Une nécessaire réforme de la loi du 2 juillet 1850 (loi Grammont)
Depuis sa promulgation, la loi du 2 juillet 1850 avait fait l’objet de nombreuses critiques. En effet, pour qu’elle soit applicable, il fallait que l’animal soit maltraité publiquement et par son propriétaire. Or, se posait la question des mauvais traitements dans des lieux considérés comme clos tels que les abattoirs, les tueries de bouchers, les écuries des équarrisseurs.
Ces questions de l’abattage des animaux de boucherie et du transport des animaux de ferme préoccupaient depuis longtemps les défenseurs des animaux. La question des différents modes de transport (terre, mer et voies ferrées) et celle de l’abattage avaient fait l’objet de travaux présentés dans les congrès internationaux de protection des animaux à Paris (1867 et 1878), Zurich (1869), Londres (1874), Bruxelles (1880), Vienne (1883).
Les sociétés protectrices des divers pays avaient adopté un « Code international de l’Union protectrice des animaux » renfermant toutes leurs propositions. Il comporte huit articles, les articles 5 et 7 sont consacrés au transport des animaux. Ce « Code » est cité intégralement, en 1899, par André Hesse dans sa thèse de doctorat De la protection des animaux (note 1 page 122 et page 123).
La Cour de cassation avait souvent eu à statuer sur les mauvais traitements imposés aux animaux par un transport défectueux. Ses arrêts étaient parfois contradictoires pour des cas similaires : le fait de transporter des animaux à l’abattoir entassés dans une voiture les pieds liés et la tête en bas constituait une infraction à la loi Grammont dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 août 1857, et dans un autre arrêt rendu le 13 août 1858. Cependant, pour un cas semblable, la Cour avait décidé par un arrêt rendu, également, le 13 août 1858 qu’il n’y avait pas d’infraction. Divers exemples de ce type sont analysés par André Hesse dans sa thèse de doctorat soutenue, en 1899, devant l’Université de Paris sous le titre De la protection des animaux (pages 70 à 71).
On le voit, la loi Grammont méritait d’être réformée. A plusieurs reprises, la nécessité de lois plus protectrices avait été évoquée devant les pouvoirs publics. Deux tentatives de réforme en 1866 et 1885 n’avaient pas abouti.
Enfin, un rapport suivi d’un décret du Président de la République, en date du 24 novembre 1896, (publié au Journal officiel du 29 novembre 1896, page 6494), institue une commission chargée de préparer la révision de la loi du 2 juillet 1850 (loi Grammont). Le texte du projet de loi, plus répressif adopté par la commission le 23 juin 1897 constituait un progrès par rapport à la loi Grammont, car il interdisait, tous les combats d’animaux et, en particulier, les corridas. Cependant, les protecteurs n’obtiendront pas le vote de cette nouvelle loi.
Les législateurs n’étaient pourtant pas hostiles à une évolution de la protection animale. La loi sur le Code rural du 21 juin 1898 (publiée au JORF du 23 juin 1898 page 3861 à 3966 ) dans son chapitre III « De la protection des animaux domestiques » (page 3865, 2ème colonne). contenait des dispositions d’une étonnante actualité quant aux obligations des transporteurs d’animaux vivants. A titre d’exemple, voici ce qui est exigé dans l’article 66 : obligation d’abreuver les animaux et les nourrir au moins toutes les douze heures ; en cas de présence d’un gardien, obligation de fournir gratuitement tout le matériel nécessaire pour pourvoir à leur alimentation et à leur abreuvement. Obligation de fournir l’eau.
Plaque, protection des animaux, Agence Rol, 1911
Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que le texte de la loi Grammont figure en tête de ce chapitre III consacré à la protection des animaux domestiques (Loi sur le Code rural). En effet, la commission du Sénat avait jugé utile de reproduire ce texte « afin que les habitants des campagnes sachent bien qu’il n’est pas permis d’exercer impunément des mauvais traitements à des animaux domestiques » (Duvergier Collection complète des lois et décrets, ordonnances…, 1898, page 372. Voir les notes de bas de page).
En guise d’épilogue
A la fin du 19ème siècle, malgré des espoirs déçus, le bilan de la protection animale est loin d’être négatif. La sensibilité du public s’est ouverte à la souffrance animale, et à défaut d’une législation plus protectrice, la SPA compte aussi sur l’éducation des familles pour changer les comportements et les mentalités. Il n’est, d’ailleurs, pas anodin qu’en 1896 un américain, John Haines, adapte la présentation et la méthode du catéchisme dans son livret La Bonté envers les animaux. Petit manuel à l’usage des écoles et des familles.
A suivre ... avec un autre combat mené par la SPA au 19ème siècle, la corrida
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