Réparer les cycles
Alors que le Tour de France 2020 vient de s’élancer, penchons-nous sur ces mécaniciens qui se spécialisent à la fin du 19ème siècle dans la construction et la réparation de cycles.
La bicyclette se perfectionne tout au long du 19ème siècle avec par exemple, l'apparition des pédales en 1869 sous l'impulsion d'Ernest Michaut. Il faut cependant attendre les années 1889 et l'Exposition universelle qui lance « la Reine bicyclette », pour que la bicyclette, nom qui remplace désormais le vélocipède, rencontre en France un vrai succès populaire.
Les constructeurs-réparateurs :
Si de nombreux charrons ou serruriers se lancent dans la fabrication de cycles, des sociétés se spécialisent dans la production de bicyclettes. Ainsi la Manufacture française d'armes et de cycles à Saint-Etienne, fondée en 1885, fabrique dès 1887 le modèle l'Hirondelle dans ses usines. Le catalogue de la manufacture, qui permet de commander à distance, présente les ateliers de construction du vélo et détaille les conditions de réparations : « Nous nous chargeons des réparations de toute espèce de cycles quelle qu'en soit l'origine ou la provenance et nous apportons autant de soin à la réparation d'une machine fournie par nos concurrents français et étrangers qu'à la réparation de nos bicyclettes (...) » La grille des tarifs indique qu'en 1912, il vous coûtera « approximativement » de 3 à 5 francs pour redresser un cadre faussé, de 8 à 12 francs pour remplacer un guidon et de 3 à 10 francs pour le remplacement d'un pignon.
L'Hirondelle, qui connaît un grand succès, se décline en version de ville, de course, pour hommes, femmes, enfants et pour les livraisons. La plupart des éléments constitutifs de la bicyclette peuvent être choisis (cadre, guidon, selle). Le modèle ne participe à aucune course car le résultat est dû, selon la société, au talent du coureur et ne prouve rien sur le matériel.
Le deuxième grand constructeur à se lancer dans la production de cycles est la société Peugeot, qui fabrique depuis 1810 différentes machines et outils comme des machines à coudre et installe son siège social près des Champs-Élysées.
Aux côtés de ces deux grandes entreprises, de très nombreux petits inventeurs constructeurs tentent l'aventure du vélo, commercialisant des modèles entiers, des pièces détachées et assurant les réparations. C'est le cas par exemple des cycles Mollière à Lyon, dont l'enseigne indique « ingénieur-mécanicien », qui construit et répare, comme le précise son catalogue de 1902 essentiellement des cycles et des machines à coudre. « La maison fait toutes les réparations de bicyclettes et de machines à coudre de n'importe quel modèle. Ces réparations sont faites consciencieusement comme travail et comme prix et dans cette partie délicate, comme dans les fournitures de divers articles, nous laissons à nos clients le soin d'attester que nous avons bien mérité le titre que nous revendiquons. Maison de confiance. »
Les revues qui accompagnent la naissance puis l'essor de la bicyclette font une large place aux encarts publicitaires, témoignant de la profusion de constructeurs- réparateurs de cycles. C'est le cas de la revue le Vélocipède, la gazette des sportmen qui présente dans son numéro de septembre 1874 des publicités de différents constructeurs de vélocipèdes, ou plus tard, de la revue la Pédale, revue hebdomadaire de la bicyclette et de ses accessoires, qui en 1924 propose des publicités des cycles Barthélémy à Ivry, ou des cycles de M. Pease à Colombes. Constructeurs et fabricants de pièces détachées, maîtrisant le travail du fer, ce que suggèrent les enclumes présentes dans les publicités, comme celle d'Alphons Mucha en 1898 pour les cycles Waverley, s'occupent donc aussi des réparations.
Un vélo se répare tout seul :
En cas de panne, une autre option est envisageable : réparer son vélo soi-même. Une partie des amateurs de bicyclettes s'intéresse en effet à la machine elle-même et à sa technique. Pour se faire, il faut tout de même se munir d'un certain équipement comme le suggère le Guide cycliste de la région de Toulouse en 1897 en préconisant de partir avec un sac de cadre divisé en trois compartiments dont le premier contient les outils utiles pour toute réparation : burette d'huile, clés diverses, chaînes, pompes, et autre nécessaire de réparation ; le deuxième compartiment étant réservé au nécessaire de soins (gaze, coton) et l'autre aux chaussettes et chemise de rechange.
Des manuels dédiés aux vélocipédistes sont édités détaillant les opérations à effectuer pour réparer sa bicyclette. Ainsi, Louis Baudry de Saunier présente, en 1900, de manière technique et détaillée, le montage et le démontage d'un vélo dans son Art de la bicyclette : Recueil complet de toutes les notions et recettes utiles à un bon vélocipédiste.
Pour les adeptes de la course ou ceux qui veulent préparer le Tour de France, le cycliste Lucien Petit-Breton conseille en 1912: « Ayez-toujours (…) avec vous tout ce qu'il faut pour réparer votre machine, clefs, pièces de rechange, une pédale et son axe, c'est ce qui se casse le plus souvent et exercez-vous avant la course à faire les réparations les plus compliquées, dans le temps le plus court. » Les pneus sont ainsi une partie de la bicyclette susceptibles d'être réparés souvent.
Aux roues en bois, puis en fer des premiers modèles de cycles, on imagine en effet assez rapidement l'ajout d'un caoutchouc. Plusieurs essais sont pratiqués : caoutchouc creux, plein, spongieux, comme le rappelle Henri de Graffigny dans son Traité pratique et manuel de poche du cycliste en 1892. Mais le poids du cycliste fait à chaque fois s 'aplatir le caoutchouc. En 1846, un premier brevet est pris par l'Irlandais Thomson pour un pneumatique, caoutchouc gonflé d'air. Son système est repris en 1889 par Dunlop, vétérinaire à Dublin et s'impose dans l'équipement des vélos. La mise au point de la valve par Clément complète le dispositif. André Michelin modifie le pneumatique, comme il l'expose devant la Société des ingénieurs civils en 1896, notamment dans la manière de construire la chambre à air. Les deux marques, Dunlop et Michelin vont alors se faire concurrence pour équiper non seulement les roues des vélos, mais aussi des voitures hippomobiles et des nouvelles automobiles. Les courses remportées par les véhicules équipés de leurs pneumatiques constituent de formidables relais publicitaires, de même que les guides de tourisme que lancent Michelin à partir de 1900, offerts « gracieusement aux chauffeurs » après l'achat de pneumatiques. Cependant, constate Henri de Graffigny « le plus grand défaut de ces bandages pneumatiques est leur fragilité. Le moindre éclat de verre, le plus petit silex tranchant, un clou de fer à cheval perfore la paroi du tube rempli d'air et oblige à un arrêt plus ou moins long ».
Lors des courses, comme le Tour de France, ce sont les coureurs qui assurent les réparations de leur vélo. André Leducq témoigne de son Tour de France 1930 dans le Miroir des sports. Victime d’un accident, c’est un autre concurrent qui l’aide à se relever et avec une clé anglaise redresse le guidon, la selle et la pédale.
Les mécaniciens et garagistes :
Mais il peut s'avérer nécessaire de recourir à un mécanicien, si la réparation de la panne est plus complexe, ou si le vélocipédiste n’est pas versé dans la mécanique. Lucien Petit-Breton estime « qu' un simple serrurier, un charron de village peut, sans connaissances spéciales aidé par un cycliste un peu ingénieux, réparer une machine à chaîne, permettre tout au moins à son propriétaire d'achever l'étape ou de gagner la gare la plus voisine.»
Les premiers mécaniciens de cycles sont en effet les serruriers, les charrons qui s'occupent des différents véhicules hippomobiles, parfois les quincailliers et tous les métiers assurant les réparations classiques d'outils et de petites mécaniques. Mais le développement de l'usage des cycles, l'ajout d'éléments techniques sur les modèles et l'exigence croissante d'une réparation réalisée par des spécialistes, conduisent à l'émergence d'un nouveau métier, le réparateur de cycles.
« C'est une situation lamentable », s'indigne l'Union vélocipédique de France en 1912 « dont nos grandes firmes cyclistes devront se préoccuper. Car si les réparateurs de bon aloi font défaut longtemps encore, la clientèle peu à peu délaissera les innovations (…) et reviendra à la machine simple, nue, débarrassée de ses accessoires.»
Comment trouver un réparateur de confiance ? Les unions de cyclistes, telles le Touring club de France fondé en 1890, proposent, moyennant cotisation, de s'appuyer sur un réseau local afin de conseiller les meilleures adresses, mécaniciens mais aussi hôtels d'étapes, ainsi que le rappelle le Traité pratique et manuel de poche du cycliste . Différents guides répondent à ce besoin d'adresses de réparateurs tel le Cyclo-guide en 1896 ou Le Guide Michelin, qui détaille les dépositaires des stocks de pneus et accessoires équipant les vélos et les automobiles et assure le conducteur de la fiabilité de ses adresses.
Les Annuaires, comme l'Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration de Paris de 1907 montrent cependant la diversité des appellations : on trouve des « mécaniciens bicyclettes » ou des « réparateurs de vélos ». La société parisienne de construction de cycles, fondée en 1875, qui s'est reconvertie en « Société parisienne de cycles et d'automobiles» se consacre en 1907 à la vente et à la réparation grâce à son grand garage. Autre témoignage de la mise en place d'un nouveau métier, la création de L'Industrie vélocipédique : organe des fabricants, mécaniciens dès 1882 devenue l'Industrie vélocipédique et automobile qui propose un répertoire des adresses liées au vélo.
La nécessité de la formation professionnelle des mécaniciens se fait également plus pressante. Le Manuel du constructeur et du conducteur de cycles et d'automobiles : guide pratique à l'usage des constructeurs édité en 1897 dans la collection Bibliothèque des professions industrielles, commerciales, agricoles et libérales se veut une aide pratique pour épauler les mécaniciens déjà formés à cette nouvelle machine qu'est la bicyclette. Le chapitre consacré aux réparations décrit pour chaque type de panne les actions à faire. Ainsi pour redresser une jante voilée, il est « souvent nécessaire, après avoir démonté tous les rayons de la faire repasser entre les galets de la pièce à cintrer », ce qui nécessite du matériel particulier. « Cependant un ouvrier adroit peut la redresser sur le tas ou la bigorne de l'enclume en la frappant au point voulu avec un maillet de bois. »
D'autres ouvrages à destination de la formation professionnelle sont édités, tels La mécanique pratique : guide du mécanicien, procédés de travail, explication méthodique, en 1904 qui à l'entrée bicyclette indique : « Tout ouvrier mécanicien doit se faire un point d'amour propre de posséder une bicyclette, une machine qui initie tous ceux qui s'en servent aux principes de la mécanique et de la construction machinale ».
La mécanique de la bicyclette est également prise en compte dans la formation initiale : ainsi le Précis de mécanique théorique et pratique, suivi de problèmes, d'Edmond Gabriel, édité en 1911 et en 1916 explique le fonctionnement des systèmes de transmission, parmi lesquels la transmission par chaîne galle utilisée par la bicyclette.
Les Cours de mécanique élémentaire à l'usage des écoles industrielles, en 1910 utilisent de même l'exemple de la bicyclette dans l'étude du mouvement.
Avec la naissance de l'automobile, de nouveaux besoins en matière de réparation et de formation se font sentir. Les garages, d'abord synonymes de parking, s'orientent vers la mécanique et combinent un temps l'activité de dépôt d'essence, de réparation de vélos et d'automobiles. Mais la complexité et la diffusion de l'automobile relègue l'activité de réparation des cycles au second plan. Ce sont désormais les vendeurs et loueurs de vélos qui prennent en charge cette activité.
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