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Egon Schiele : un artiste perverti ?

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25 octobre 2018

Egon Schiele a une réputation d’artiste dépravé, obnubilé par les corps nus et ses parties intimes, féminins comme masculins. Mais qu’en est-il du sens esthétique et de la signification psychologique de ses peintures érotiques ? Comment interpréter cette récurrence dans son œuvre ? Gallica nous offre quelques réponses…

Les corps dénudés et tordus de Egon Schiele ont suscité bien des interrogations et des critiques artistiques, souvent liées à des réflexions d’ordre psychanalytique. La récurrence du thème de la sexualité dans ses peintures serait, d’après l’auteur Martin-Laurent Ziegler, à relier avec l’enfance difficile qu’a eue Egon Schiele : trois frères mort-nés, une sœur qui meurt alors qu’il a 3 ans et surtout un père dominateur et violent, interné dans un asile puis mort de démence suite à une syphilis tertiaire, et qui avait semble-t-il coutume de brûler les dessins de son fils. Pourtant, selon Martin-Laurent Ziegler, ce serait la faute du double rôle joué par la mère - à la fois épouse présente et femme critique envers son mari - qui aurait perturbé le rapport d’Egon à sa propre sexualité. Un inceste avec sa jeune sœur Gerti, peu de temps après la mort du père, aurait parachevé le processus de perversion.

 
Ainsi, une lecture psychanalytique s’offre au spectateur contemplant certaines peintures d’Egon Schiele : les corps dénudés dérangeants et bizarres, ployés ou noueux, révéleraient de manière sans doute inconsciente une honte sexuelle personnelle. Le questionnement psychanalytique sur le moi, à une époque qui plus est où les écrits de Freud se font connaître, semble une donnée importante des œuvres de Schiele.

Les drames de la mère et la relation entretenue avec sa jeune sœur ne sont peut-être pas les seules raisons d’une vision du monde tourmentée et douloureuse : le père aurait eu aussi sa part. Les « positions acrobatiques-perverses » de ce dernier, malade, a pu marquer le jeune artiste, qui n’aurait alors eu de cesse de reproduire dans ses toiles ces visions érotico-morbides.

 

 

Inceste, obsession des corps dénudés, passion pour les portraits sensuels de Klimt, proximité avec des enfants, condamnation pour diffusion de dessins « immoraux »,  Egon Schiele détonne clairement dans une société autrichienne au carcan moral strict. C’est pourtant cette subversion des valeurs qui en font un artiste confirmé, un artiste « moderne » aurait pu dire Rimbaud : Egon Schiele n’a pas eu peur d’inspecter « son âme monstrueuse », « [d’]épuise[r] en lui tous les poisons […] de devenir entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit »[1].

Quoi qu’il en soit, la réputation d’artiste érotomane de Schiele est enracinée depuis longtemps. Encore aujourd’hui, Egon Schiele est associé aux thèmes de la sexualité dans tout ce qu’elle peut avoir de sulfureux, d’interdit, de cru.  En témoigne la nouvelle érotique intitulée « Quarante-huit heures avec Egon Schiele », de Philippe Cousin, accessible en intégralité sur Gallica. L’auteur de la nouvelle a choisi pour point de départ le dernier tableau d’Egon Schiele, une huile sur toile de grande dimension intitulée de façon posthume La famille. Ce tableau, peint l’année de sa mort et alors que sa femme est enceinte, représente la projection mentale de la famille à venir. Un certain malaise peut naître de la contemplation du tableau, où les thèmes de la sexualité et de l’angoisse mortifère sont liés ici à un pari possible sur les forces de la vie, ainsi que l’a interprété Alain Fleischer, pari néanmoins anéanti par la création d’un dernier « espace funeste ».

La nudité des peintures de Egon Schiele a bien sûr fait naître d’autres interprétations, notamment en lien avec la période trouble au cours de laquelle il a vécu et peint.

Egon Schiele a peut-être pressenti les troubles historiques terribles qui allaient marquer le XXe siècle. Ses tableaux portent en creux « l’épreuve de vide » qu’a subi l’Europe, ce « malaise dans la civilisation » qu’a si bien incarné le mouvement expressionniste allemand et qu’ont transfiguré les artistes sensibles, en proie à un « univers où tout se dérobe », victimes consentantes d’une « société s’étourdissant délibérément dans des entreprises perverses ». Certaines de ses toiles peuvent être vues comme une préfiguration symbolique et personnifiée de la Première guerre mondiale, menant à l’effondrement de l’Empire austro-hongrois, moment correspondant à l’année de sa mort. Enfin, certains ont pu voir dans ces corps dénudés et souffrants la manifestation d’une vision prémonitoire, celle de l’horreur des camps de concentration, d’une humanité nue et à genoux.

[1] Lettre dite du « Voyant », Rimbaud, 1871

Commentaires

Soumis par Lucie Phil le 26/10/2018

Cet artiste tourmenté (pléonasme ?) a un parcours des plus atypique dont l'auteur en a très bien fait la synthèse dans cet article. Son parcours de vie m'interpelle et m'amène à me poser d'autres questions, si l'on voudrait aller plus loin dans sa psychanalyse.
En effet, comment se construire dans une famille où la mère est castratrice lorsqu'elle n'est pas absente, où le père est à la fois violent, malade, névrosé, et où son unique point de repère meurt lorsqu'il n'est encore qu'un enfant ? Quelle place lui a-t-on accordé en étant non pas l'enfant unique mais l'enfant survivant ? N'a-t-il pas essayé d'aller plus loin que les normes sociétales pour extérioriser un mal être qu'il n'a peut être pas pu exprimer durant son enfance ? Pourquoi sur le tableau La famille, l'enfant est le seul à porter des habits quand la mère et le père en sont dénués ?
Cet érotisme n'est-il pas juste une manière de se mettre à nu ?

Bien que son passé ne soit pas des plus typiques, est-il cependant le seul facteur à prendre en compte pour expliquer ses œuvres ?
Sommes-nous diriger uniquement par les vestiges de notre passé dont nous essayons, certaines fois en vain, de contrer, ou tout au contraire d'y trouver un soutien ? Ou l'environnement dans lequel nous évoluons (les rencontres, les normes de la société dans laquelle nous vivons) joue-t-il un rôle prédominant ?

La psychanalyse est intéressante dans le fait qu'elle prend en compte plusieurs prismes et ne s'arrête pas uniquement au passé. Dans l'idéal, il faudrait savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va. Mais le chemin n'est pas direct. Nous évoluons autant que l'environnement dans lequel nous vivons.

Soumis par Victor E. le 11/11/2018

Merci pour ce beau blog que j'ai vu et lu après avoir visité l'exposition à la fondation Vuitton. C'était très intéressant et les liens aux documents de gallica sont très enrichissants.

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