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Egon Schiele, génie ou imposteur ?

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29 octobre 2018

Egon Schiele a longtemps été décrié par une partie de la critique : ses peintures érotiques teintées d’angoisse existentielle et révélatrices d’une souffrance personnelle ont été jugées trop osées, trop crues. Pourtant, la fulgurance de son esprit torturé est aujourd’hui saluée comme celle d’un génial visionnaire.

 

Outre la dimension érotique - parfois obscène - de ses peintures, c’est le style général du coup de crayon de Schiele qui a pu choquer. Ce qui fait aujourd’hui la force artistique et l’originalité du peintre a été perçu comme grossier, sommaire et rustre.
Pour exemple, cet extrait d’article d’avril 1912 paru dans la revue L’art et les artistes, revue mensuelle d’art ancien et moderne, qui assimile les grands aplats de Schiele à « des plaques pachydermiques ». La vulgarité du peintre est fustigée, sous la plume du critique journaliste William Ritter.
 

 

Pourtant, deux ans plus tard, le même critique, William Ritter, dans la même revue, semble avoir radicalement changé de point de vue.
 

 

Il faut dire que c’est sans doute le propre des artistes de génie de susciter autant de sentiments contradictoires, d’engendrer des clivages marqués. Gustav Klimt, bien avant Egon Schiele, a été confronté à des passions antagonistes, comme le révèle l’article suivant à propos des prix d’honneur décernés par le jury de peinture en 1900. À cette époque, Gustav Klimt n’était pas des plus connus en France et il n’avait guère exposé qu’en Autriche et en Allemagne.

 

 

On a en effet pu reprocher à l’art de Klimt de pécher par la forme, trop « frêle », la composition, trop « compliquée », la recherche générale, trop « affectée ». Son style, jugé outrancier et criard a été caricaturé.

Lorsqu’en 1937 est organisée à Paris une exposition sur l’art autrichien, soit 20 ans après la mort de Schiele, l’art de celui-ci suscite toujours autant d’oppositions. Cette exposition majeure présentait des œuvres du Moyen-Age jusqu’à la période la plus récente, incarnée par les artistes de la Sécession viennoise, dont Klimt bien sûr et Egon Schiele. Voici un tour d’horizon des journaux de l’époque qui relatent l’évènement :

Pour Le Figaro, si Klimt est le maître du raffinement, la peinture de Egon Schiele est une décadence vers la laideur et la vulgarité. Le portrait de Mme Schiele date de 1917 ; il représente la belle-sœur de l’artiste, avec qui il avait une liaison et qui était son modèle.

 

 

 

Pour le journal La Croix, Egon Schiele mérite le détour et la comparaison de sa peinture avec celle de Toulouse-Lautrec est flatteuse. Le dessin en question- qui ne propose pas une représentation dérangeante du corps - est un portrait d’Edith Harms, que le peintre épouse en 1915.

 

Pour L’Humanité, la conception même de cette exposition semble une aberration et la métaphore péjorative qui assimile l’art autrichien à un vin de faible qualité est acerbe. Néanmoins, le journal souligne l’originalité des artistes du XXe siècle et les noms de Klimt, Schiele et Kokoschka sont sauvés de l’opprobre.

Pour le journal Marianne, les talents d’expressionniste de Egon Schiele en font un peintre plus intéressant que Klimt ; la comparaison cette fois à Van Gogh est évidemment méliorative. L’histoire des arts retient que Schiele avait en commun avec le peintre hollandais une frustration sexuelle, un grand isolement et un terreau schizoïde, d’ailleurs visible dans un certain nombre de ses peintures. Egon Schiele était incontestablement réceptif à la peinture de Van Gogh : la référence à ce dernier est palpable dans ses peintures qui ont pour thème la nature et les paysages urbains.
 

 

Egon Schiele, une virtuosité éclair

Egon Schiele est mort à l’âge de 28 ans, emporté par la grippe espagnole de 1918 qui a fait plus de 2 millions de morts en Europe. Malgré son jeune âge, Egon Schiele a laissé une œuvre prolifique : environ 3 000 dessins, aquarelles ou gouaches, trois cents peintures, presque une vingtaine de gravures et lithographies, deux gravures sur bois, de nombreuses sculptures, plusieurs poèmes. Une de ses dernières œuvres est l’affiche intitulée La compagnie à la table, pour la 49e exposition de la Sécession viennoise, dont il a pris l’organisation en charge. Egon Schiele rejoue la Cène et se voit en Christ; il trône en bout de table, face à la chaise vide du maître Klimt, mort quelques mois auparavant. Gustav Klimt, 20 ans auparavant, avait créé l’affiche intitulée Thésée tuant le Minotaure, pour la première exposition de la Sécession viennoise. Klimt affirmait avec cette affiche la volonté d’une victoire d’un monde nouveau sur l’ancien monde, une libéralisation des arts.

 

 

Pour en savoir plus vous pouvez consulter les précédents billets de blog « Centenaire Egon Schiele » : Hommage à Egon Schiele et Egon Schiele : un artiste perverti ?

 

Pour aller plus loin :

Le dossier en ligne intitulé La modernité viennoise 2018
L’ouvrage intitulé Art in Vienna 1898-1918: Klimt, Kokoschka, Schiele and their contemporaries par Peter Vergo.
En accès libre sur les postes publics de la BnF, dans la base de données Art index, les articles suivants : Egon Schiele treescapes. Work and world: unframing the autonomous landscape; Egon Schiele at MOMA; The Schiele moment; Vienna art and design; Significant Scenery.
 

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