Nouvelle-Calédonie : vue générale du
pénitencier de l'Île Nou
Deux billets de cette série sur la Nouvelle-Calédonie porteront sur les condamnés politiques déportés aux antipodes,
Louise Michel et
Henri Rochefort. Il convient de définir, en amont, le contexte de leur déportation, en dressant un tableau de la Nouvelle-Calédonie au temps de la colonisation pénale, objet du présent billet, qu’un second viendra illustrer de témoignages de l’époque.
Découverte par les Européens d'un archipel peuplé par les Kanaks
Les premières traces de présence humaine sur l’archipel datent de 1100 avant notre ère. De l’an mil à la fin du XVIIIe siècle, s’élabore la société traditionnelle kanak, marquée par une diversité linguistique, la culture de l’igname et du taro, et par une division du travail entre la femme et l’homme.
Au XVIIIe siècle, navigateurs britanniques et français sillonnent le Pacifique en quête de découvertes. James Cook découvre la Grande Terre, le 4 septembre 1774, et la baptise « New Caledonia », par référence au nom latin de l’Ecosse, qu’elle lui rappelle. Il aperçoit ensuite Kunié, qu’il baptise l’îÎe des pins, mais ce sont les Français, Bruny d'Entrecasteaux et Huon de Kermadec qui y accostent le 7 juin 1792, et en 1825, un de leurs compatriotes, Jules-Sébastien-César Dumont d'Urville, entreprend un relevé des côtes de la Nouvelle-Calédonie.
Les Britanniques ont déjà colonisé la Nouvelle-Zélande et l’Australie, terre de bagne de 1788 à 1840. Ce sont les Français qui coloniseront la Nouvelle-Calédonie…
La colonisation par les Français
Des missionnaires protestants et catholiques tentent de convertir les autochtones à partir de 1840. La Mission mariste française s’installe dans les îles, le 21 décembre 1843, sous l’égide de Monseigneur Douarre. Face à l’agressivité des naturels, l’évêque demande la protection de la marine de guerre.
Dès 1844, les premiers militaires français débarquent donc sur la Grande Terre. Des violences sont commises à l’égard des Mélanésiens, qui ripostent. En novembre 1850, ces derniers tuent une partie de l’équipage du navire
L'Alcmène, dont la mission était d’étudier la possibilité d’une colonisation. Au nom de l’Empereur
Napoléon III, le contre-amiral
Febvrier-Despointes prend possession de la Grande Terre, le 24 septembre 1853, et de l’île des Pins, le 29. A son départ, il laisse l’un de ses officiers,
Tardy de Montravel, gérer la nouvelle colonie. C’est ce dernier qui fonde
Port-de-France, rebaptisée en 1866
Nouméa.
Une colonisation libre peu nombreuse
Une
brochure vante, en 1874, les avantages rencontrés par les colons calédoniens : « On a introduit le sucre, le café, le coton, qui ont pleinement réussi. Sept usines à sucre sont actuellement en plein exercice et en parfaite prospérité. On a également introduit le riz, le maïs, le blé, l’orge, l’avoine, la pomme de terre, la betterave, la patate douce, l’igname de la Chine, le taro (espèce de haricot), et le tabac, qui s’y sont admirablement acclimatés. Enfin, nos légumes européens viennent aussi bien que chez nous ». L’archipel promet des cultures florissantes : le café, le coton, le bois de santal, « un genre de pin », le cocotier et la noix de bancoul, la vigne, ainsi que « quelques plantes indigènes qui, une fois bien étudiées, donneront de belles et solides teintures » et un élevage tout aussi rentable de gros bétail ».
« Quant à l’industrie, la constitution géologique du sol répond à sa fertilité : la pierre pour bâtir, la chaux pour l’amendement des terres argileuses, le kaolin, le sable, qui offrent à l’industrie céramique les moyens de se développer avec succès, abondent en ce pays. Les usines qui se créeront trouveront la houille presque à fleur de terre, à Ouaraï ; elles auront aussi le cuivre et le fer. Enfin, le colon aventureux qui se consacrera à
la recherche de l’or, sera largement payé de ses efforts, en retrouvant, en Nouvelle Calédonie, les richesses analogues à celles que la Californie offrait jadis à ses explorateurs. » Le
nickel, découvert en 1864 par
Jules Garnier, est étonnamment oublié !
En réalité, peu de métropolitains choisissent de venir s’installer sur ces terres éloignées de quelque 18 000 kilomètres de la métropole. Des personnalités tentent bien de « montrer l’exemple ». C’est le cas, en 1898, de
Marc Le Goupils, professeur de français au lycée Louis le Grand, qui part exploiter une plantation de caféiers, accompagné de ses deux frères, Joseph, médecin, et Isidore, professeur agrégé, ainsi que du beau-frère de ce dernier, Félix Roumy, receveur de l'enregistrement.
La population des colons, « qui, au 1
er janvier 1866, n’était que de 777, [selon
Henri Rivière] ne s’était élevée au 1
er janvier 1877 qu’au chiffre de 2752. C’est peu de monde [déplore-t-il] pour coloniser un territoire aussi vaste que la Nouvelle-Calédonie ».
Une publication de 1905 d’Emile Vallet, éditée par le « Comité de l’Océanie française », véritable manuel du colon calédonien, vise donc de nouveau à encourager l’émigration vers cette belle colonie. Elle intervient après l’abandon de la colonisation pénale.
La colonisation pénale : transportés, déportés, relégués... ?
Trois types de colons pénaux séjournent en Nouvelle-Calédonie, selon qu’ils subissent
la transportation, la déportation ou la relégation.
La transportation est régie par la loi du 30 mai 1854 sur l’exécution de la peine des travaux forcés. Il s’agit d’un mode d’exécution de cette peine. A partir de 1854, tous les condamnés aux travaux forcés jusque l’âge de 60 ans sont « transportés » dans une colonie pénitentiaire. La transportation s’applique à des condamnés de droit commun. La loi précise, en outre, en son article 11, que « les condamnés qui se seront rendus dignes d’indulgence par leur bonne conduite, leur travail et leur repentir », pourront obtenir la concession d’un terrain. Un décret du 2 septembre 1863 institue le bagne de Nouvelle-Calédonie. Le premier convoi de transportés est arrivé à Port-de-France le 9 mai 1864. A l’apogée de la transportation, soit en 1886, l’administration pénitentiaire compte près de 700 agents, encadrant 7600 condamnés et 1900 libérés. La plupart des condamnés effectuent leur peine sur l’île Nou.
La déportation est l’objet de la
loi du 8 juin 1850. Peine politique, elle s’applique aux participants à l’insurrection de la
Commune de Paris, à
l’insurrection kabyle de 1871, et sera infligée aussi aux
insurgés canaques de 1878. La loi distingue la déportation dans une enceinte fortifiée de la déportation simple, moins rigoureuse. La
loi du 23 mars 1872 désignant de nouveaux lieux de déportation dispose : « Art. 2. La presqu'île Ducos, dans la Nouvelle-Calédonie, est déclarée lieu de déportation dans une enceinte fortifiée. Art. 3. L’île des Pins et, en cas d’insuffisance, l’île Maré, dépendances de la Nouvelle-Calédonie, sont déclarées lieux de déportation simple ». Elle sera complétée par un
décret du 31 mai 1872, et par la
loi du 25 mars 1873 ayant pour objet de régler la condition des déportés à la Nouvelle-Calédonie.
La loi du 27 mai 1885, dite loi sur la relégation des récidivistes, définit la relégation comme « l’internement perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises des condamnés que la présente loi a pour objet d'éloigner de France. » Sont relégués les récidivistes qui, dans un intervalle de dix ans, ont encouru, plusieurs condamnations, dont la loi définit le nombre et la gravité.
Opression et résistance kanak
Les échanges entre les populations naturelles et d’origine européenne sont parfois tendus, voire violents. Ce qui s’explique par l’emprise croissante de l’administration coloniale sur les terres et les
spoliations imposées aux autochtones. Un des épisodes les plus graves est en janvier 1857,
l’assassinat de colons dont Louis Bérard, et de leurs employés.
La révolte des Canaques, Le Monde illustré, 28 septembre 1878
La résistance kanak atteint son paroxysme en 1878. Au cours de l’insurrection qui éclate en juin 1878, plusieurs chefferies adverses se sont entendues pour combattre colons et administration coloniale. L’insurrection est réprimée. L’officier de marine, Henri Rivière (1827-1883), est en charge de l’organisation de cette répression.
Certains insurgés survivants ont été
déportés, en vertu de la loi du 8 juin 1850, dans les îles voisines… La politique coloniale se durcira avec la mise en place de
l’indigénat, le cantonnement territorial et l’absence de droits.
Le nombre des transportés, en Nouvelle-Calédonie, s’est élevé à plus de 20 000 hommes et 250 femmes. L’archipel reçut 4250 déportés entre 1872 et 1880, à la suite des condamnations prononcées consécutivement à la Commune de Paris de 1871. Une loi d’amnistie les libère en 1880. Après l’insurrection de Kabylie, de 1871 également, près de 2000 Algériens sont également déportés. Ils ne seront amnistiés qu’en 1895. Quant aux relégués, de 1885 à 1894 –date de l’arrêt des convois de relégués, ils furent plus de 3300 hommes et 457 femmes, en Nouvelle-Calédonie. Le dernier centre pénitentiaire ferme en 1931, mettant un point final à l’expérience controversée de colonisation pénale calédonienne.
Les témoignages de contemporains sur cette époque sont nombreux et riches. Ils méritent un billet dédié…
Sélection bibliographique, sitothèque
- Boyer, Philippe, «
Présentation de la Nouvelle-Calédonie : histoire », site du vice-rectorat de la Nouvelle-Calédonie. URL :
https://www.ac-noumea.nc/spip.php?rubrique41
- Guiart, Jean,
La terre qui s'enfuit : le cadre social de l'insurrection de 1878, avant et après, Nouméa : les Éd. du Cagou : le Rocher-à-la-voile, 2010.
- Merle, Isabelle,
Expériences coloniales : la Nouvelle-Calédonie, 1853-1920, Paris, Belin, 1995.
- Petit, Jacques-Guy, Castan, Nicole, Faugeron, Claude, Pierre, Michel,
Histoire des galères, bagnes et prisons, XIIIe-XXe siècles : introduction à l'histoire pénale de la France, Toulouse, Privat, 1991. (Bibliothèque historique Privat)
- Pierre, Michel,
Le temps des bagnes : 1748-1953, Paris, Tallandier, 2017.
- Pisier, Georges, «
Les déportés de la Commune à l'île des Pins, Nouvelle-Calédonie, 1872-1880 »,
Journal de la Société des océanistes, n°31, tome 27, 1971. pp. 103-140. URL :
www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1971_num_27_31_2322
- Terrier, Christiane,
L’Histoire de la Nouvelle Calédonie, Paris, Maison de la Nouvelle-Calédonie, 2010. URL :
http://www.mncparis.fr/uploads/histoire-mnc.pdf
- Tonnerre-Seychelles, Stéphanie, « Nouvelle-Calédonie : écrits et témoignages sur la colonisation pénale », blog Gallica, 2018. URL :
https://gallica.bnf.fr/blog/27072018/ecrits-et-temoignages-sur-la-colonisation-penale
- Accès aux cartes, aux enregistrements sonores, à la presse, aux publications officielles de la Nouvelle-Calédonie sur Gallica :
ici.
- Accès aux photographies de la Société de géographie sur la Nouvelle-Calédonie :
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