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Paul Heuzé et l’anti-fakirisme français

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Dans la lignée du mouvement anti-spirite américain, la France donne naissance à un groupe anti-fakirique, mené par Paul Heuzé, bien décidé à démontrer que les fakirs ne sont que des illusionnistes. Pour ce faire, il n’hésite pas à singer leurs prodiges.

"Paul Heuzé", Le Journal, n° 15.817, 6 février 1936, p. 1

"Paul Heuzé dans son cabinet de travail", L’Éclaireur du Dimanche, n° 414, 7 juillet 1929, p. 9

À bien des égards, le romancier, ingénieur des mines, inspecteur du permis et journaliste Paul Heuzé (1878-1938) fait figure de Harry Houdini français, marchant sur les traces de Steens et du professeur Dicksonn. Comme eux, il connaît les secrets des illusionnistes et fait tomber les charlatans en révélant leurs trucs. Il est décrit par la presse de l’époque comme un sceptique, annonciateur de la plus tardive zététique et il est, à ce titre, un interlocuteur privilégié sur les sujets métapsychiques.

Encart pour les séances du professeur Dicksonn et de Tahra-Bey, Le Matin, n° 13.366, 27 septembre 1925, p. 4

Heuzé a consacré sa carrière à la rédaction d’opuscules, d’enquêtes et d’articles dénonçant les supercheries des sciences psychiques (Les Morts vivent-ils ? en 1922, Où en est la métapsychique ? en 1926), des animaux calculateurs (La Plaisanterie des animaux calculateurs en 1928) et plus précisément des fakirs (Fakirs, fumistes et Cie en 1926 et Dernières histoires de fakirs en 1932). Il est connu, notamment, pour avoir été à l’origine des expériences de matérialisation d'ectoplasmes de la Sorbonne en 1922, pratiquées en présence de la médium Eva Carrière et d’un groupe de savants, qui conclue à la fraude de la première.

Encart publicitaire, Gringoire, n° 15, 15 février 1929, p. 5

Considéré comme un grand polémiste, Paul Heuzé est un personnage singulier, qui mène son opération de démystification comme une guerre contre l’obscurantisme, comme un combat de boxe. Il s’en prend tout particulièrement au fakirisme, qu’il considère comme une simple branche de l’illusionnisme : "Mais, de plus, quand il s’agit de fakirisme, il n’est même pas question de simulacre, pour cette raison fort simple que le fakirisme n’existe pas, que c’est une plaisanterie inventée de toutes pièces […]".

Paul Heuzé, "Fakirs, Fumistes et Cie", L’Éclaireur du Dimanche, n° 432, 2 février 1930, p. 5

Maurice Colinon, Faux prophètes et sectes d’aujourd’hui, Paris, Plon, 1953, p. 25

Sa croisade prend des formes variées — théâtrale, didactique, contradictoire et scientifique — destinées, chaque fois, à s’adapter au compétiteur. Elle débute d’abord en 1926 dans un environnement médicalisé, devant un parterre de savants. Au sein d’un hôpital parisien, il fait une première démonstration des prodiges fakiriques, destinée à rationaliser ces phénomènes. Chaque fois, il trouve une explication simple à ces prétendus miracles. Par exemple, pour ne pas se faire transpercer par la planche à clous, il suffit de répartir son poids sur chaque pointe. La transmission de pensée avec ou sans contact consiste pour le fakir à savoir lire les signes non-verbaux de son interlocuteur.

Très vite, c’est le format du débat contradictoire qui paraît le plus approprié à sa vindicte. Sur la scène du Club du Faubourg, dirigé par Léo Poldès, il débat de sujets aussi variés que le médiumnisme, les voyantes, les expériences de la Sorbonne et le fakirisme.

"Paul HEUZÉ au Sporting", Le Journal des étrangers, n° 8, 27 janvier 1929, p. 43

Paul Heuzé, surtout, donne de sa personne : il veut montrer que n’importe qui peut être fakir. Régulièrement, il reproduit devant un public de curieux ou de savants les tours fakiriques, mais sans jamais présenter sa démonstration comme une attraction de music-hall.

"M. Paul Heuzé sur la planche à clous des fakirs", Comœdia, n° 5692, 9 août 1928, p. 3

Ainsi, quand le fakir Tahra-Bey invite Paul Heuzé à venir l’affronter publiquement en 1928, sous la forme d’un "match", l’idée séduit ce dernier : il trouve en lui un rival d’envergure, qui connaît alors un grand succès au théâtre et assurément, faire la lumière sur son charlatanisme serait une victoire de taille sur l’obscurantisme. Tahra-Bey est un adversaire d’autant plus intéressant qu’il se distingue de ses pairs dans ses mises en scène. Il se prétend "docteur", réalisant des "expérience". Il représente donc une occasion rêvée pour Heuzé de signifier la supériorité de sa méthode scientifique sur cet usurpateur, en le prenant à son propre piège.

Paul Heuzé, "Mon match avec le fakir Tahra Bey", Revue belge, sans numéro, 15 mai 1932, p. 330

Le duel entre Tahra-Bey et Paul Heuzé, "procès de sorcellerie moderne" initialement prévu pour le 21 novembre 1928 au Trocadéro, s’est tenu au Cirque de Paris le 11 décembre 1928, au profit de l’Association générale des mutilés de la Guerre.

"Le duel de Tahra Bey, Paul Heuzé", L’Intransigeant, n° 17.926, 18 novembre 1928, p. 6

Programme du 11 décembre 1928 au Cirque de Paris, dans Paul Heuzé, "Mon match avec le fakir Tahra Bey", Revue belge, sans numéro, 15 mai 1932, p. 340

On rapporte qu’une émeute a lieu aux abords de la salle car l’atmosphère est électrique. Dans la salle de 7000 spectateurs, pleine à craquer, le public est particulièrement bruyant et se bouscule. Les deux hommes, objets de tous les regards, s’affrontent de manière chorégraphiée, devant un jury composé de médecins et de psychiatres. Il ne s’agit plus d’un spectacle, mais bien plutôt d’un débat. Chaque prodige présenté par le fakir Tahra-Bey (immunité face à la douleur lors de l’expérience des aiguilles, rétention du sang, planche à clous) est répété par l’athlétique fakir repenti Karmah, et chaque fois expliqué par le démystificateur. Paul Heuzé préfère en effet déléguer les tours à cet assistant, car il ne souhaite pas que sa constitution moins athlétique que Tahra-Bey puisse le décrédibiliser aux yeux du public.

Paul Heuzé, "Mon match avec le fakir Tahra Bey", Revue belge, sans numéro, 15 mai 1932, p. 339

Les plus grands journaux de l’époque concluent en chœur que Tahra-Bey est humilié, enterré.

Paul Heuzé utilise aussi le medium cinématographique pour démolir les fakirs, dans la lignée de ses projections de photographies, déjà utilisées pour mettre en doute les phénomènes spirites. Lors de sa confrontation avec Tahra-Bey, il utilise un extrait de son film de juin 1927 intitulé Fakirs, Fumistes et Cie (Comment on devient fakir), le tour de l’enterré vivant, dans lequel son cercueil reste immergé dans une piscine durant une heure et quart. Réalisé par Alfred Machin, ce dernier met en image les principaux tours présentés dans l’opuscule du même nom.

Encart pour le film Fakirs, Fumistes et Cie, Le Petit journal, n° 24.091, 31 décembre 1928, p. 4

Paul Heuzé, "Fakirs et fakirisme devant le cinéma", extrait, Comœdia, n° 5183, 11 mars 1927, p. 3

En 1936, il sort un second "film scientifique" ou "conférence filmée" portant le même nom que le précédent, sinon accompagné du sous-titre "L’attrait du mystère" ou "Vendeurs de mystère", dont on sait qu’il a été projeté au moins jusqu’en 1940 et qu’il repose sur le même principe de la reproduction et de l’explication de tours.

"Paul Heuzé “hypnotisant” des poules", Le Journal, n° 15.899, 28 avril 1936, p. 2

Annonce, L’Intransigeant, non numéroté, 12 février 1936, p. 9

Le match entre Heuzé et Tahra-Bey a marqué l’opinion publique au point d’être représenté sous la forme d’un "char des fakirs" lors du défilé de la Mi-Carême, en mars 1929. Encadrant un Bouddha géant, se tiennent, d’une part, Paul Heuzé en smoking, comme lors de la représentation au Cirque de Paris, tenant ses opuscules à la main et caressant amicalement un serpent et, d’autre part, Tahra-Bey, un sabre enfoncé dans le cou.

Agence Rol, "Mi-Carême, char des fakirs", 7 mars 1929

À la même période, Heuzé poursuit la tournée de son spectacle intitulé Le Spiritisme dévoilé, qu’il avait débuté sur la scène de l’Empire-Music-Hall en août 1928, en compagnie du fakir bordelais Karmah. Aux Soirées des Portiques, en avril 1929, il commente, sous la forme d’une "conférence-spectacle", les tours d’insensibilité et d’invulnérabilité de son associé.

Annonce, "Les soirées des Portiques", Paris-Soir, n° 2009, 6 avril 1929, p. 4

Annonce, "Un poignard dans la tête", Paris-Soir, n° 2010, 7 avril 1929, p. 5

L’entreprise démystificatrice de Paul Heuzé est diversement reçue par le public. Fin 1928, Tahra-Bey intente un procès pour diffamation à son adversaire, qui invoque la prescription. Les associations de prestidigitateurs craignent que l’anathème soit jeté sur toute leur profession, alors même qu’Heuzé prend soin de distinguer illusionnistes et charlatans, soulignant que les premiers ne prétendent pas être détenteurs de pouvoirs mystérieux. Certains journalistes regrettent qu’il désenchante les spectacles divertissants, bien qu’une grande partie célèbre le travail du tombeur de fakirs. Certains spirites se mettent même en tête de répondre par des ouvrages, à l’image de la magnétiseuse Miss Hamida avec son opuscule La Défense du fakirisme en 1930. Les fakirs, comme le Fakir Birman, entendent prouver qu’ils sont des êtres hors du commun. Certains impresarios, comme M. de Georgis, le mettent au défi, contre une somme rondelette, de prouver la supercherie de leur fakir-star.

Les nécrologies qui paraissent à la mort de Paul Heuzé, en 1938, montrent que c’est bien son rôle d’antifakir qui reste dans les mémoires et que son duel avec Tahra-Bey en est le point culminant.

Fleur Hopkins-Loféron

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