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Quand la voiture électrique détenait le record de vitesse !

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23 juillet 2020

Aux premiers temps de l'automobile, les véhicules à vapeur côtoient voitures mues par le nouveau moteur à explosion ou voitures électriques. Dépassant les 100 km/h,  La « Jamais contente », alimentée à l’électricité, fait même figure à la toute fin du XIXème siècle d'objet technique d'avenir. Retour sur cette première époque de la voiture électrique.

La "Jamais-contente" voiture électrique de Camille Jenatzy

Les premiers temps de l'automobile sont ceux de l'expérimentation. Les Sports modernes rappellent en 1898 la concurrence que se livrent les inventeurs dans leur recherche du modèle énergétique :

Le moteur à vapeur possède une qualité essentielle, la souplesse. Au gré du conducteur, il marche vite ou lentement, il donne le coup de collier pour un démarrage (...) C'est un véritable cheval, très vigoureux et très obéissant (…) mais sa conduite n'est pas à la portée de toutes les mains.  Le moteur à pétrole possède une qualité essentielle : la sagesse (…) Un seul aliment est indispensable, le pétrole que vous trouverez en tout lieu (…) Il a ses défauts, le plus évident est sa brutalité. 

Les premiers essais réussis de voitures électriques, ou « d'électromobiles » , comme les nomme Henri de Graffigny dans son ouvrage La locomotion électrique sont dus au carrossier Charles Jeantaud (1843-1906) qui propose un premier véhicule en 1881, sorte de Tilbury « fonctionnant grâce à une machine Gramme, qui avait figurée à l'Exposition internationale d’électricité en 1881 », c'est-à-dire grâce à une dynamo.

Mais les premiers accumulateurs qui fournissent l'électricité ne donnent pas une autonomie suffisante : il faut attendre 1895 pour qu'une Jeantaud électrique prenne part à la course Paris-Bordeaux, en utilisant 15 batteries de relais disposées le long de la route.

La revue Le Chauffeur peut alors proclamer en 1897 que, de tous les modèles de voitures, « La voiture Jeantaud nous paraît être le modèle le plus abouti ». Elle offre deux places à l'avant et deux banquettes dos à dos à l'arrière. Les accumulateurs sont placés dans le coffre. Elle possède également une lanterne à trois feux et des roues en bois. Mais comment fonctionne une voiture électrique ? Plusieurs ouvrages et revues spécialisées présentent le fonctionnement du véhicule à leurs lecteurs. Les Sports modernes en dissèquent les organes à l'aide de schémas.

L'alimentation électrique est assurée par deux batteries d'accumulateurs qui occupent quasi tout l’espace à l’arrière. Le véhicule est équipé d'un moteur ou d'une dynamo « inversée » qui communique directement son mouvement à l'essieu moteur du véhicule, et d'un « robinet » ou combinateur, levier à gauche du siège permettant de doser la quantité d'électricité. A côté de la pédale du frein, le conducteur peut suivre l’alimentation en courant électrique grâce à un ampèremètre et un voltmètre. La direction est assurée par un levier devant le siège, à l'instar des autres automobiles de l'époque. La revue des Sports modernes s'enthousiasme :

L'électricité débute à peine dans la locomotion. Elle commence à réclamer sa place, et une place, qui si son règne commençait pourrait bien être la place entière. Le moteur électrique est trouvé. Il est même presque parfait. Marche avant, marche arrière, coup de collier, démarrage progressif (...) silence, absence totale d'odeur, absence de trépidation.

Les batteries, ou accumulateurs ne permettent pourtant pas au véhicule de parcourir plus de 80 kilomètres par heure sans possibilité de les recharger et sont fragiles. Leur fragilité ne réside pas dans les matériaux extérieurs, bacs en verre, porcelaine ou celluloïd, au contraire résistants, mais dans les plaques de plomb, à l'intérieur, chargées de conduire le courant, qui se déforment et qui de plus ont le désagrément d’ajouter un poids considérable à la voiture.

Pourtant, la solution semble proche à l'orée du XXème siècle et la voiture électrique gagne des partisans. En juillet 1899, sur une Jeantaud électrique, le comte de Chasseloup-Laubat effectue un voyage entre Paris et Rouen (136 Kilomètres) en 7h15 sans avoir besoin de recharger ses accumulateurs  Le modèle est une Jeantaud de 2250 kg prévue pour deux voyageurs et équipée d'éléments techniques Fulmen B17 de 830 kg soit 37 % de son poids comme l'indique  Gérard Lavergne dans son Manuel théorique et pratique de l'automobile sur route, vapeur, pétrole, électricité, paru en 1900. L'auteur relate qu'en Amérique, une autre voiture électrique a pu effectuer un trajet de 161 kilomètres en 7h45, soit une vitesse de 21 km/h sans avoir non plus besoin de recharger ses accumulateurs qui représentaient 39 % de son poids et de conclure en faveur du véhicule électrique : « Aucun autre mode de locomotion ne lui en enlèvera le premier rang comme propreté et confort ».

La voiture électrique s'illustre aussi dans le domaine des records et particulièrement du record de vitesse avec un duel de deux véhicules qui tient en haleine les passionnés : la Jeantaud du comte de Chasseloup-Laubat contre la « Jamais-contente » du belge Camille Jenatzy. Camille Jeantzy (1868-1913) est un ingénieur  constructeur automobile, qui s'est lancé dans la fabrication et la commercialisation de fiacres autotractés électriquement en fondant la «  Compagnie internationale des transports automobiles ». Il a déjà participé à plusieurs courses dont celle de Chanteloup en décembre 1898 :  1800 mètres de côte à monter sur un terrain détrempé, épreuve rapportée par la revue L'Ingénieur civil et dans laquelle il a fini premier dépassant tous les autres concurrents qui alignaient des voitures à vapeur ou pétrole.

Mais en cette fin de 1898, c'est le défi du « record du kilomètre » lancé par l'Automobile Club de France et la revue la France automobile qui alimente les passions.
Il s'agit de mesurer la vitesse sur un kilomètre, départ arrêté et départ lancé. Le comte de Chasseloup- Laubat et Jenatzy battent entre la fin 1898 et la mi 1899 successivement les records de l'autre : la vitesse de 66 km/h est atteinte, puis les 99 km/h…Chasseloup-Laubat, sur une voiture profilée, effectue en 48 secondes 4/5 le kilomètre arrêté et 38'' 4/5 le kilomètre lancé dépassant les 100 km/h !

Camille Jenatzy aligne sa « Jamais contente », surnommée ainsi par son créateur car « elle ne va jamais assez vite ». Ses concurrents la surnomme « la voiture torpille » ou « la voiture obus » en raison de son carénage et qualifie son conducteur de « diable rouge ». Avec 47''4/5 sur le kilomètre arrêté et 33 ''4/5 sur le kilomètre lancé, Jenatzy atteint le 29 avril 1899 les presque 108 km/h. La voiture électrique est alors l’automobile la plus rapide !
Mais au-delà des records remportés à la fin du XIXème siècle, la voiture électrique se diffuse-t-elle ? Le problème du rechargement demeure en effet un obstacle, même si des expériences pour inventer des lieux de rechargement sont menées. Ainsi aux Etats-Unis, imagine-t-on de combiner la fonction de garage de stationnement avec celle de station de rechargement des batteries pour voitures électriques, comme le relate la revue le Génie civil en mars 1900.

Dans cette station-garage, alimentée par l'usine d'éclairage de la ville de Newport, on propose la location de véhicules électriques que les conducteurs viennent chercher le matin et déposent le soir : la voiture est alors inspectée, nettoyée : Ses roues sont démontées avant de procéder à la mise en charge. La demande semble forte puisque jusqu'à trente personnes sont inscrites pour pouvoir louer un véhicule.
Les véhicules à pétrole finissent cependant par s'imposer à partir de 1910, battant records de vitesse et d'endurance et disposant d'un carburant dont le prix baisse. Les quelques essais de voitures mixtes (pétrole-électrique) n'aboutissent pas non plus et l’électricité qui demeure dans la voiture ne sert principalement plus qu’à l’alimentation des phares.
Pourtant, les véhicules électriques ne disparaissent pas complètement : ils trouvent de nouvelles fonctions, de loisirs, utilitaires (transport du courrier), autobus ou petits véhicules urbains. Pour le Courrier automobile en 1928, les véhicules électriques sont la solution idéale pour les villes : transports en commun, municipaux ou de livraison, ce « véhicule propre, souple, silencieux et économique » n’a besoin, conclut le journal, que d’être plus utilisé pour que les prix des voitures baissent et que les « Compagnies de distribution d’énergie électrique étudi[ent] la question de la recharge des accumulateurs. »

Pour aller plus loin, découvrez les sélections du parcours transport dédiées à l'automobile.

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