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Hommage à Egon Schiele

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22 octobre 2018

Egon Schiele est un artiste majeur du début du XXe siècle : d’abord disciple de Gustav Klimt et fortement inspiré par la Sécession viennoise, il devient rapidement un des expressionnistes les plus talentueux et les plus controversés de sa génération. Les ressources de Gallica offrent un aperçu de son évolution et de son talent.

Ce jeune météore à la carrière fulgurante

Le peintre autrichien Egon Schiele est mort il y a 100 ans, le 31 octobre 1918. Les hommages artistiques et culturels rendus au peintre au cours de l’année 2018 ont été nombreux : en Autriche, bien sûr, au Palais du Belvédère et au Leopold Museum mais aussi en France, à la Fondation Louis Vuitton, depuis le 3 octobre 2018. Cette dernière exposition mérite sans doute le détour puisque cela fait 25 ans qu’une telle présentation de l’œuvre de l’artiste n’avait pas eu lieu à Paris.

Si le talent de l’artiste est aujourd’hui salué sans conteste par les spécialistes de l’art, il n’en reste pas moins que, 100 ans après sa mort, Egon Schiele peut encore défrayer la chronique. Les campagnes de promotion publicitaire des expositions sur Schiele de l’année 2018 ont pu susciter une réprobation pudibonde, et même une censure en Allemagne et au Royaume-Uni. Les parties trop dénudées des portraits ou autoportraits reproduits sur les nombreuses affiches annonçant les hommages rendus à l’artiste ont ainsi été cachées par des bannières noires et blanches.

Rappelons donc qu’une des caractéristiques essentielles des peintures de Schiele réside dans le choix même d’un sujet pictural récurrent, obsessionnel : des corps dénudés, maigres et déformés, souvent seuls éléments d’une composition sur fond clair et créant à eux seuls une atmosphère autant érotique que morbide. L’originalité de ses dessins rehaussés de peinture le distingue de ses compagnons Gustav Klimt et Oskar Kokoschka, d’autant plus qu’il s’agit souvent d’autoportraits, révélant un rapport complexe au mythe de Narcisse (Communication du Docteur Claude Lapras, Variations sur le regard p. 115).
 

     
Figure 1 et Figure 2
 

Figure 1 : Egon Schiele, Homme nu à la serviette rouge, 1914, Crayon, aquarelle et tempera sur papier, 48 x 32cm, Graphische Sammlung der Albertina, Vienne.  Urbi Centre de recherche et de rencontres d'urbanisme (Paris). Juin 1980

Figure 2 : Egon Schiele, Nu féminin, 1910, encre de Chine, tempera et aquarelle sur papier, 44.3 × 30.6 cm, Vienne, Palais Albertina, creative commons.
 

Egon Schiele : l’éternel second de Klimt ?

La comparaison avec Gustav Klimt est constante dès que l’on évoque Egon Schiele. En effet, celui-ci a été longtemps cantonné au rôle d’imitateur du grand peintre autrichien de la Sécession viennoise, de 28 ans son aîné.

Ce serait en 1907 que Schiele rencontre Klimt et que commence une amitié nourrie par l’art. Lors de l’exposition internationale des Beaux-arts de Vienne en 1908 (la « Kunstschau »), Klimt, qui expose 16 toiles, s’impose comme le maître incontesté de la peinture viennoise. Cette exposition apparaitra comme une révélation artistique pour Schiele.

 

 

Gustav Klimt a été très influencé par le mouvement artistique du « Jugendstil », et en particulier par l’égalité de traitement accordée au champ pictural et à la figure représentée. Ce mouvement a son pendant en France avec « l’Art Nouveau », bien représenté par la figure d’Eugène Grasset. Les peintures de Klimt se caractérisent par des contours nettement délimités et des aplats de couleurs vives ; ses fonds se distinguent par une surcharge d’ornements décoratifs. C’est grâce à son engagement que le mouvement artistique de la Sécession viennoise prendra véritablement son essor, en 1897. Bien que très proche du « Jugendstil », le mouvement de la Sécession viennoise accordera plus d’attention à l’expressivité.

Egon Schiele imite d’abord le maître puis préfère dépouiller ses fonds et se concentrer sur la rapidité et la précision du trait, deux compétences dans lesquelles il excelle : un entraînement intensif de dessin chronométré qui lui a été imposé à l’Académie des Beaux-arts de Vienne où il a été admis en 1906, n’y est sans doute pas pour rien. Aussi, chez Schiele, la dimension figurative l’emporte-t-elle sur les éléments plus abstraits. L’élément figuré a une place majeure quand le fond, désespérément vide et monochrome, se charge d’une connotation métaphysique.

Egon Schiele a donc été reconnu comme un dessinateur aux traits rigoureux et d’une grande précision dans l’élaboration des corps et des traits du visage. En témoignent l’article qui suit, paru dans La Revue d’art en 1929, ainsi que deux reproductions en noir et blanc de l’artiste placées côte-à-côte. La première est le Portrait of Johann Harms, son propre beau-père, peint en 1916 ; la seconde est le Portrait of Victor Ritter von Bauer, un industriel majeur de Brno, peint en 1918.

Les talents de dessinateur de Egon Schiele ont été salués en 1914 lorsque celui-ci a dessiné Charles Péguy, mort au combat au début de la Première guerre mondiale, et à qui il souhaitait rendre hommage. Walter Benjamin, le philosophe, écrivain et critique d’art allemand, a souligné « la mélancolie maîtrisée [1] » du regard de Péguy, visible dans ce portrait cubiste dessiné par Egon Schiele. On retrouve dans ce portrait des éléments essentiels de l’esthétique du peintre, comme l’importance graphique accordée aux mains.

L’art d’Egon Schiele a des affinités électives avec celui de Klimt mais aussi avec Van Gogh - dont l’année de mort correspond à l’année de naissance de Schiele - avec George Minne et Ferdinand Hodler. Pourtant, comme tous les grands peintres, Egon Schiele se démarque rapidement des modèles, aussi grands soient-ils, et crée un univers pictural qui lui est propre. Il s’éloigne à la fois des calmes portraits ornementés de Klimt et des sculptures à la grande simplicité formelle de Minne.

                       
Figure 3, Figure 4 et Figure 5

 

Figure 3 : Gustav Klimt, Jeunes femmes, 1916-1917 in Bulletin des musées de France  [rédacteur en chef : Paul Vitry], mai 1937

Figure 4 : George Minne, L’Adolescent à la coquille in La Revue d’art. Nouvelle série de l’ « art flamand et hollandais »,  janvier 1925

Figure 5 : George Minne, Mère et Enfant in La Revue de l'art ancien et moderne, juin 1926
 
Egon Schiele cherchera tout au long de son parcours artistique à associer la netteté et la précision du trait à l’émotion de l’expression figurée. Il y parviendra en partie grâce à un usage audacieux de la couleur, avec lequel peu d’artistes contemporains viennois pourront rivaliser. Ses nus sont rouges ou verts, dans le même sillage que tracent en France à la même époque les Fauves, qui exposent dans la salle VII, dite « salle des incohérents », au Salon d’Automne de 1905. L’usage des couleurs devient également une des caractéristiques du mouvement expressionniste, plus tard qualifié d' « art dégénéré » par le régime nazi. À partir de l’année 1910, Schiele peut être qualifié de peintre expressionniste. Ses corps masculins tordus et nus - incarnant la condition tragique de l’homme - seront alors relégués, par la cécité artistique et ontologique d’Hitler, au statut « d’idiots déformés ».

Si Gustav Klimt est donc vu au cours des années 1910 comme un maître incontesté, il n’en reste pas moins que ses disciplines explorent chacun des chemins personnels. Egon Schiele n’est d’ailleurs pas le seul à explorer d’autres possibilités artistiques. Le jeune étudiant de l’école des arts appliqués de Vienne, Oskar Kokoschka, refuse rapidement le « Jugendstil » et oriente sa peinture du côté de l’expressivité et du psychologique, délaissant la simple ornementation décorative qui prime alors dans les milieux artistiques viennois de l’époque.

 

À suivre, deux billets intitulés Egon Schiele : un artiste perverti ? et Egon Schiele, génie ou imposteur ?
 


[1] Lettre de Walter Benjamin à Gerhard Scholem, 15 septembre 1919, Correspondance, tome I, Paris, Aubier, 1978, p. 200.
 

Commentaires

Soumis par Saïd le 30/10/2018

Merci pour cet hommage bien documenté en l'honneur d'un grand artiste ! Ça donne envie d'aller à Vienne pour la rétrospective (programmée jusqu'en mars 2019) ! Merci Mme Philibert.

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