Les boîtes scolaires : témoins d’une nouvelle politique agricole
On ne pourrait saisir pleinement ce que sont les boîtes scolaires sans connaître l’histoire botanique et l’histoire coloniale de l’Empire français. Ce deuxième article d’une série de trois retrace les changements et la mise en place d’une nouvelle politique agricole, dite de "mise en valeur" des colonies.
Jardin colonial de Nogent-sur-Marne : les serres en 1909
Parallèlement à l’expansion de l’Empire colonial français, se développe une approche particulière des sciences du vivant dont elle semble être le témoin. Pour comprendre ses fonctions, il faut avant tout la situer dans le temps. En effet, ce n’est pas un hasard si les boîtes scolaires sont consacrées aux plantes considérées comme "utiles" par l’Empire français. En regardant de plus près les choix politiques liés aux usages et à la circulation des plantes, on observe qu’un glissement s’est opéré au fil du temps, depuis la botanique de terrain (l’étude scientifique des végétaux) à l’agronomie tropicale (la science de la terre cultivable).
De la botanique à l’agronomie, l’histoire contenue dans la boîte scolaire
Lorsqu’on analyse le fait colonial par le prisme botanique, il apparaît comme une entreprise globale de circulation, de diffusion et d’acclimatation des végétaux. Au 16e siècle, les Occidentaux découvrent des continents qu’ils ne connaissaient pas et s’approprient, sur ces terres, des végétaux qu’ils considèrent alors utiles pour l’alimentation et la médecine. Pour organiser et développer ce savoir en métropole, les botanistes créent des cabinets d’histoire naturelle, étudient des espèces et cherchent à les nommer.
Entre le 18e et le 19e siècle, les savoir-faire et espèces végétales des empires coloniaux se concentrent principalement dans les jardins botaniques (ou jardins coloniaux), qui sont à la fois lieux de pratique de l’horticulture, pépinières, et lieux de monstration du vivant. Leurs missions étaient celles-ci : connaître, conserver, préparer et diffuser, cultiver, et acclimater les végétaux.
A partir de la naissance de ces jardins, les botanistes commencent à distinguer les plantes dites "utiles" de celles qui ne le sont pas en fonction des besoins économiques de l’Empire colonial français. C’est aussi à cette période, à la fin du 19e siècle jusqu’au début du 20e que les premières boîtes scolaires sont préparées au Jardin colonial de Nogent-sur-Marne.
Dans les boîtes scolaires sont mis en scène uniquement les gestes botaniques et leurs usages compatibles avec l’industrie, participant pleinement à faire fructifier le commerce de ces plantes en métropole. Derrière l’esthétique attirante de ces boîtes, qui rappelle l’imaginaire des cabinets de curiosités, se dissimule un tournant historique en matière de botanique.
Le 20e siècle est celui de l’apogée de la volonté expansionniste de l’Empire colonial français. L’économie prend alors le pas sur la botanique et le développement agronomique devient une priorité. La pratique de la botanique de terrain est métamorphosée par une logique de rendement s’affirmant de plus en plus au sein de la communauté scientifique. Selon le schéma voulu par les autorités coloniales, l’Empire devient alors initiateur, l’indigène producteur et le métropolitain est consommateur.
Débute alors l’ère des Jardins d’essais dans les colonies. Comme leur nom l’indique, ils permettaient aux colons français, par une série d’essais, de déterminer quelles espèces étaient les plus appropriées à la culture outre-mer pour en tirer eux-mêmes des bénéfices économiques. On y introduisait des plantes afin de déterminer leur degré d’acclimatation. On les multipliait ensuite, puis on distribuait les plus productives aux fonctionnaires du Ministère des Colonies qui géraient leur mise en culture sur de grandes surfaces, dites stations agronomiques où travaillaient des ouvriers agricoles "indigènes" dans les colonies.
L’agronomie coloniale sera alors priorisée. On cesse d’introduire de nouvelles plantes, on compare les variétés, les essais sont systématiques et les surfaces de monocultures agrandies. On forme également des techniciens et scientifiques spécialisés.
Au cours des années 1920, les autorités coloniales attribuent à chaque colonie une ou plusieurs plantes "utiles" (ou "favorites") à cultiver massivement afin qu’elles approvisionnent la métropole. Les jardins d’essais sont renommés "stations agronomiques et techniques spécialisées", et concentrent leur nouvelle politique agricole scientifique sur la sélection génétique. L’agronome calcule les coûts liés à la culture d’une plante et analyse techniquement les conditions de production (jusqu’à analyser la disposition au travail de l’ouvrier "indigène") pour que ses recommandations puissent être appliquées par le plus grand nombre de colons outre-mer.
Nous sommes alors aux prémices de ce que sera la recherche agronomique tropicale. La monoculture en grandes surfaces s’opposera à la culture en jardin, et l’agronome colonial s’opposera petit à petit au botaniste, à l’herboriste et au pépiniériste de terrain. Il cultivera, en se formant, un sens de la botanique intéressé. En s’éloignant petit à petit de la complexité botanique, on cherche à resserrer au plus vite le savoir-faire vers ce qu’il a d’essentiel pour produire en masse et en retirer un bénéfice économique conséquent. La boîte scolaire, sorte de musée d’échantillons miniature assumé, devient alors le témoignage de ce tournant botanique.
La fabrication des boîtes scolaires se situe à une période charnière de l’histoire botanique. Elles apparaissent avant la réduction totale du savoir-faire botanique vers ce qu’il a d’essentiel pour l’Empire français, la génération d’un capital économique. La justification du fait colonial, en matière de botanique, tenait par l'amélioration supposée des conditions d'existence des individus peuplant ce qui était appelé la "France Coloniale". En réalité, cette expropriation des ressources et cette exploitation au travail dans le domaine botanique annonçaient déjà les ravages du capitalisme tels qu'on les connait aujourd'hui. Nous verrons, dans un troisième article qu’en plus de témoigner d’une approche du vivant et d’une période spécifique de l’histoire botanique, les boîtes scolaires sont de réels outils de vulgarisation de la connaissance au profit d’un système colonial.
Pour aller plus loin
- Photothèque du patrimoine, Région Bretagne (collections pédagogiques du lycée Émile-Zola de Rennes) : boîtes scolaires sur le manioc, le café et le riz
- Série sur le Jardin colonial de Nogent-sur-Marne
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