Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

le lapin

1
21 janvier 2023

D’aucuns l’appellent l’animal à grandes oreilles, beaucoup l’utilisent comme qualificatif affectueux. Le lapin, seul animal sauvage domestiqué en Europe, a conquis les terres et les cœurs, non sans causer quelques ravages. Bonne année du lapin !

René Martin, Atlas de poche des mammifères de la France, de la Suisse romane et de la Belgique, Paris, 1910

Une grande famille

Le terme de lapin renvoie généralement au lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus), une des espèces de la famille des Lagomorphes qui en compte bien d’autres comme le lièvre, le pika, le lapin à queue blanche ou le lapin des volcans. Cette famille se distingue de celle des rongeurs (rat, castor, etc.) car elle possède trois paires d’incisives, qui poussent en continu.

Le lapin de garenne est appelé cuniculus en latin, terme qui désigne aussi une galerie souterraine, ce qui est bien trouvé pour un animal vivant dans de grands terriers. En dérive son nom en ancien français : conin ou conil. Le terme « lapin » apparaît au 14ème siècle mais ne s’impose qu’au 17ème siècle. Quant à la garenne, elle rappelle ces espaces où les lapins étaient élevés en semi-liberté. Le mot anglais « rabbit » vient du flamand rabbe qui a également donné Rabouilleuse ou Raboliot.

Jean-Emile Laboureur, Lapin et carottes, 1898

L’Espagne : le pays des lapins

Les lagomorphes ont cinquante millions d’années, mais le plus ancien fossile de lapin de garenne retrouvé n’a que 700000 ans et provient d’Andalousie. En effet, le sud de l’Espagne est le berceau de cette espèce. Quand les Phéniciens y débarquent, ils baptisent le pays « i-shephan-im » : le pays des damans, d’après un animal présent au Proche-Orient et ressemblant – vaguement – au lapin. Le mot a donné Hispania, qui désigne par conséquent le pays des lapins. De la péninsule ibérique, le lapin atteint le sud de la France voici quelques dizaines de milliers d’années.

Ce qui va faire la fortune du lapin et le répandre dans le reste de l’Europe est le goût des Ibères pour la consommation des laurices, des fœtus de lapereaux. Les Romains, après avoir conquis l’Hispanie, adoptent cette tradition alimentaire encore présente au Moyen Âge où l’Eglise autorise d’en consommer les jours maigres car les fœtus vivent dans l’élément liquide, comme les poissons. Le lapin est le seul animal sauvage domestiqué en Europe occidentale.

 

Gaston Phébus, Livre de la chasse, 14ème siècle

La conquête de l’Europe

A partir de son aire méditerranéenne d’origine, le lapin progresse peu à peu vers le nord et l’est de l’Europe, au gré de son introduction : au 11ème siècle en Île-de-France et dans le nord de l’Italie, en Angleterre et en Allemagne au 12ème siècle, en Bretagne au 14ème siècle, etc. Les lapins vivent dans des garennes, de grands espaces enclos : le terme vient de « warenna » qui signifie garder. La rue de Varenne lui doit son nom. La garenne est un privilège féodal. Les lapins s’y nourrissent tous seuls, et les propriétaires les y chassent au filet, au collet ou au lacet. Il est considéré comme un gibier facile et amusant pour les dames. Des lapins s’échappent des garennes et essaiment dans les environs.

L’Angleterre se distingue en développant l’élevage du lapin, au point que, au 16ème siècle, le pays compte plus de garennes que le reste de l’Europe entière. Il pratique une sélection des animaux à partir du 16e siècle, à l’origine de races du lapin domestique actuel, réparti en plusieurs races pour la viande ou la fourrure, à l’image du lapin angora, qui apparaît en Angleterre au 18e siècle. Des marins anglais importent illégalement cette dernière race à Bordeaux en 1723.

Little Nemo in Slumberland, dans The New York Herald, 15 avril 1906

Un animal casanier

L’expansion du lapin est étroitement liée à l’activité humaine. Si l’animal est présent sur tous les continents sauf l’Antarctique, c’est qu’il a été introduit. Le lapin passe en effet le plus clair de sa vie dans son terrier dont il sort le soir et la nuit. Le terrier comporte plusieurs pièces et plusieurs sorties. Le lapin vit en groupes d’une dizaine d’individus partageant un même terrier dont il ne s’éloigne pas de plus d’une centaine de mètres Plusieurs groupes de lapins forment une colonie.

La lapine élève ses lapereaux dans un recoin du terrier, la rabouillère. Ils naissent nus et aveugles et se blottissent entre eux pour se réchauffer ; ils voient à dix jours et sortent du terrier à vingt jours. La lapine a de deux à cinq portées par an. Ses petits sont en âge de se reproduire dès quatre mois, d’où une croissance démographique exponentielle. Certains individus quittent le groupe et partent à l’aventure jusqu’à …un kilomètre !

Consommant légumineuses et graminées, le lapin vit dans des espaces dégagés d’où il peut apercevoir les prédateurs : prairies, talus, parcs, garrigue. Il apprécie les sols légers ou sans pierres, comme en Méditerranée. Il est désormais présent près des villes où les prédateurs sont moins nombreux. De nombreux espaces favorables s’offrent à eux comme les pistes d’aviation ou le no man’s land du mur de Berlin.

Jean Matet, Les bêtes s’amusent, 1925

Le salut dans la fuite

Le lapin est taillé pour la course. Il peut atteindre 40 km/h grâce à son puissant arrière-train. Ses muscles représentent la moitié de sa masse corporelle ; ses os, très riches en calcium, sont très légers. Il peut ainsi faire des bonds de deux mètres de longueur et un mètre de hauteur. Grâce à ses griffes, et en adaptant l’écartement de ses doigts, il peut faire de brusques virages. Ses grandes oreilles orientables lui confèrent une très bonne ouïe tout en lui permettant de réguler sa température interne (elles représentent 12% de la surface corporelle). Ses yeux, disposés de chaque côté de la tête, lui offrent une vision à 340 degrés ; sa vision nocturne est bonne. Enfin, il possède un bon odorat. Ces sens affûtés servent à l’avertir de la présence de prédateurs. Il lance l’alerte en tapant du pied sur le sol. Ses ennemis sont le grand-duc, le putois ou le furet. Ce dernier est la version domestique du putois et était utilisé pour chasser le lapin en l’introduisant dans les terriers.

Georges-Louis Leclerc comte de Buffon, Collection des animaux quadrupèdes de Buffon

Un animal d’élevage

Dans les garennes médiévales, le lapin est élevé en semi-liberté. Il faut attendre la Renaissance pour voir progresser la sélection des lapins et aboutir aux différentes variétés du lapin domestique pour la fourniture de viande et de fourrure. Des races de lapins apparaissent comme le lapin argenté, le lapin bélier, le lapin russe ou le géant des Flandres. La Révolution abolit le droit de garenne et donne le droit de chasse. Le lapin devient un élevage domestique au 19ème siècle, dans des clapiers près de la maison, ou dans des équipements dédiés. Toute une gamme de repaires, hangars, boîtes à nicher et autres tonneaux-cabanes abritent les lapins. Pour les engraisser, ils sont placés sur une planche en hauteur d’où ils ne peuvent bouger.

Chassé ou élevé, le lapin est consommé en civet ou en gibelotte. Les peaux sont collectées par des marchands ambulants de peaux de lapin. Elles sont teintées grâce à divers procédés comme la teinture à l’aniline (1882). L’élevage des lapins, appelé cuniculiculture, concerne plus d’un milliard d’individus, dont la Chine est le premier producteur. Le lapin est également un animal de laboratoire, utilisé par Pasteur pour cultiver le virus de la rage.

Poisson, Cris de Paris, 1774-1775

Dans le monde entier

Les Européens l’emmènent avec eux quand ils partent à la conquête des océans. Ils en relâchent dans leurs différentes escales afin de disposer de gibier quand ils recroiseront dans les parages. Introduit à Madère (1418), ou aux Kerguelen (1874), il bouleverse les écosystèmes insulaires fragiles peuplés d’espèces endémiques. Le cas le plus connu est celui de l’Australie. A Noël 1859, treize couples de lapins sont relâchés dans le sud-est de l’île. Ils font souche : en 1940, on compte six cents millions de lapins sur l’île-continent, soit une centaine d’individus pour un Australien. Une barrière anti-lapins est construite en 1907 en Australie-Occidentale, mais rien n’y fait, même l’introduction de prédateurs comme le renard, l’hermine ou la belette.

Louis Pasteur envoie Adrien Loir en Australie introduire le choléra des poules pour combattre le lapin. L’idée est reprise par les Australiens qui importent en 1950 la myxomatose, maladie touchant les lagomorphes américains. Les lapins australiens sont décimés avant de développer une résistance au virus. En France, un scientifique introduit la myxomatose dans sa propriété à Maillebois en 1952 ; trois ans plus tard, 90% des lapins sauvages français ont péri. Le lapin de garenne se raréfie dans son aire d’origine.

Draner, L’arbre de Noël, féérie de Mortier, Vanloo et Leterrier

Une petite boule de poils

Le lapin a fortement influencé la culture européenne et mondiale. De nombreuses expressions le concernent, affectueuses comme mon lapin, moins sympathiques comme poser un lapin, ou se rapportant à sa fécondité débridée, d’où le terme de chaud lapin. Le terme même de conil se rapportait également au sexe féminin et explique la présence d’innocents lapins dans l'art comme ces peintures et tapisseries montrant Adam et Eve, la Dame à la licorne, etc. Ils apparaissent même dans la Madone au lapin (du Titien), la Sainte Famille ou la Fuite en Egypte.

Présent dans les drôleries en marge des manuscrits médiévaux ou dans l’héraldique, le lapin devient un personnage de fiction : Pierre Lapin chez Beatrix Potter, ou le lapin de Pâques dans Alice au pays des merveilles. La littérature jeunesse abonde de personnages à grandes oreilles. Bugs Bunny a imposé l’image d’un lapin agile et malin. Gens de théâtre et marins n’appréciaient pas celui qu’ils appelaient l’animal à grandes oreilles pour ne pas prononcer son nom, à cause de sa propension à tout ronger. Le lapin est devenu un animal de compagnie. Dans les pays anglo-saxons, le lapin de Pâques apporte les œufs. Prenez gare si vous croisez des Lapins crétins. C’est aussi un symbole du calendrier lunaire chinois. Bonne année à tous les lapins !

Rues de Pékin, 18e siècle : Marchand de Tou-Eulh ou Lapins de terre et de carton

Pour aller plus loin

Retrouvez d’autres animaux de ce calendrier : le rat et le tigre.
Découvrez d’autres lagomorphes dans la sélection Zoologie du parcours Gallica La Nature en images
Le lapin, 1981 (Ethnozootechnie)
Le lapin (2e journée), 2004 (Ethnozootechnie)
Mougenot (Catherine), Le pire ami de l’homme : du lapin de garenne aux guerres biologiques, 2011
Rigaux (Pierre), Étonnants lapins : la fabuleuse histoire des grandes oreilles, 2020

Commentaires

Soumis par danièle M.N le 23/01/2023

Merci pour ces textes et images fantastiques et éclectiques sur le thème du "lapin" qui nous protègera toute l'année 2023...... et suivons le lapin blanc pour nous évader "au Pays des merveilles."... :)

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.