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Parlez au concierge !

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17 novembre 2023

Le ou la concierge est une figure incontournable du XIXe siècle. D’abord portier, puis concierge, la logeuse ou son alter ego masculin occupe une position ambivalente entre protection et contrôle. C'est eux qui gardent l’immeuble, qui tiennent la loge, qui veillent aussi à l’ordre, qui surveillent, qui bavardent soit disant comme des pipelettes. Pour mieux les connaître, entrons dans leurs loges…

Charles Léandre, « Monsieur et madame Terméchu, concierges », défet du Journal amusant, 1901

Je ne suis qu’un portier. Mais souvent à la loge on rit plus qu’au premier.

Collin-Harleville, Le vieux célibataire, 1793

Du portier au concierge, chacun sa porte…

« Les deux faces de Mr Janus », La Presse illustrée, 2 janvier 1875

Janus est un personnage allégorique considéré comme le portier de l’Olympe, à la fois dieu des portes et portier des dieux.

Faustin, « Le portier du N° 15 », 1872 ; Eugène Giraud, « Portrait du concierge Hénaut », Les Soirées du Louvre, 1851-1870 ; Henry Monnier, « La portière dans son fauteuil », défet d'illustration pour Les Français peints par eux-mêmes, 1841

Qui de mieux placé que La Loge : journal des concierges de Paris et des départements pour faire l’éloge des portiers (numéro du 15 juin 1842) :

La loge du portier, c’est de là que tout monte, et c’est de là que tout descend. Sans les loges de portiers, Paris s’écroulerait ; sans les concierges, on ne saurait plus ni d’où l’on vient, ni chez qui l’on va ; la confusion serait dans la capitale du monde. 

La grande encyclopédie (1885-1902) rappelle l’étymologie du portier-concierge et en retrace son origine : le portier est le serviteur chargé de garder la porte extérieure des édifices publics ou privés. À Rome, le portier, esclave de dernier ordre, occupait dans le vestibule, la place réservée jadis au chien de garde. Au Moyen-Âge, il était le gardien des châteaux en cas d’attaque et en ville, il avait des devoirs plus pacifiques comme sonner la cloche des repas, ouvrir la porte à deux battants pour les gens de distinction, balayer le pavé public ou orner les niches des saints etc. Les logis bourgeois du Moyen-Âge n’avaient pas de portiers. Seules les maisons nobles ou riches se permettaient ce luxe.

Sa Majesté Pipelet Ier : Roi du terme, Prince du cordon, Seigneur du Paillasson, de l'Escalier et autres lieux

F. Fabiano, « Sa Majesté Pipelet Ier», défet d'illustration de périodique, 1908-1916

Dans La Maison réglée et l'art de diriger la maison d'un grand seigneur et autres… publiée en 1692, Audiger, maître limonadier à Paris, préconise que toute maison de grands seigneurs doit avoir parmi ses domestiques un concierge, un Suisse ou portier. Il énumère ensuite leurs devoirs : qu’ils prennent garde à tous ceux qui vont et qui viennent dans le logis, qu’ils gardent la porte fermée pendant la messe ou le dîner, qu’ils ne soient ni débauchés, ni ivrognes, qu’ils prennent soin de balayer la cour et de la tenir propre, etc.

À la fin du XVIIIe siècle, la plupart des maisons de Paris étaient pourvues d’un portier. Son emploi, écrit Louis-Sébastien Mercier dans Le tableau de Paris (1782-1788) était « de siffler quand on vient vous rendre visite autant de coups qu’il y a d’étages pour arriver à l’appartement que vous occupez ». Dans un autre chapitre, il cite encore : « Le plus souvent, le portier est invisible et il faut crier : le cordon ; il le tire et la porte s’ouvre. En sortant, on la referme ». Mais pas à n’importe quelle heure… Il a ordre du propriétaire de « ne pas tirer le cordon après minuit »  précise Étienne de Jouy dans Guillaume le franc-parleur (1815-1817).

Monsieur le concierge, allant en soirée avec mon épouse... j'ai l'honneur de vous demander l'autorisation de nous laisser rentrer aujourd'hui passé minuit !!!...

Le Charivari, 30 novembre 1858

Henry Monnier, « La portière », défets d'illustration pour Les Français peints par eux-mêmes, 1841 (fig. 1 ; fig. 2)

Au XIXe siècle, le concierge remplace le portier. La construction des maisons à appartements a donné naissance à un emploi, celui de concierge. Les propriétaires distribuent des loges aux concierges.

Demander au concierge où est le portier ! qui faut être bête !

Gavarni, Le diable à Paris, 1845-1846

Parlez aux concierges !

Eh ben Mme Potin l'ex-roi Charles X vient de s'évacuer sur l'étranger....
c'pauvre homme, c'est y malheureux.....!
.......Encore ces gens là, si ça savait s'occuper....... si ça avait l'amour
du travail comme nous autres....!

Victor-Hippolyte Delaporte, planche parue dans La Caricature, n° 7 (16 déc. 1830)

Eugène Atget, photographies de loges de concierge, rue Domat (1914) et rue Sauval (1908)

Henry Monnier« La portière », défet d'illustration pour Les Français peints par eux-mêmes, 1841

Le concierge est le gardien de la demeure parisienne : « Parlez au concierge » mais avec déférence, sinon le sanctuaire vous sera fermé ; lui seul peut vous en tirer le cordon.

Constant de Tours, Vingt jours à Paris, pendant l'Exposition universelle de 1900, 1900

Au service de la porte…

Le concierge est comme le portier au service de la porte, mais ses attributions se sont étendues.
En tant que représentant du propriétaire, il est investi, par délégation, d’une partie de ses droits et de son autorité. Il est chargé du soin de la porte et participe à l’entretien des parties communes de l’immeuble. Il fait voir les appartements vacants, il loue, il transmet le congé ; lors de l’échéance du terme, il reçoit des locataires le montant du loyer et leur remet en échange la quittance, mais il fait aussi souvent office de police de l’immeuble pour la garde et la surveillance de la maison.

…du propriétaire et du locataire,

Dans Droits et devoirs respectifs des propriétaire, locataire et concierge publié en 1891, Maître Zède décrit les devoirs du concierge : « Le concierge est un homme de service aux gages qui tient la loge. C’est un domestique au service du locataire et du propriétaire. Comme les domestiques, il peut être renvoyé sous huit jours ».

L’œil du maître…

« Le concierge est tenu de surveiller et de garder la maison. Sa surveillance doit être incessante et il ne peut par conséquent abandonner sa loge » souligne Émile Neret, avocat à la cour d’Appel, dans le Petit dictionnaire des droits et obligations des propriétaires et locataires  (1921).

…ne voit parfois pas d’un bon œil le locataire…

Le concierge doit tous les services qui dérivent de la location. Avec les locataires, il est tenu d’être poli, discret et complaisant. Il ne doit pas se faire l’auxiliaire de la police et ne pas lire les cartes postales ni les journaux destinés aux locataires.

Ce qui peut créer  jurisprudence …

En cas de manquement à ses devoirs de politesse, le locataire peut demander des dommages-intérêts ou le renvoi du concierge. La Gazette du Palais du 1er janvier 1902 édicte les règles concernant les concierges. Bien entendu tous ne les respectent pas…

La Gazette du Palais, 1er janvier 1902

En forme de code pour rire, Auguste Hardy trace les devoirs des portiers envers les locataires :

Auguste Hardy, Les nouveaux devoirs des portiers envers les locataires, 1871

 

Dans un prochain billet nous verrons comment la littérature, les vaudevilles, les caricaturistes et les chansonniers se sont emparés de la figure du « tire-cordon » et s'en sont donné à cœur joie...

Pour aller plus loin…

Didier Chappet, Les mal-logés, Blog Gallica, 8/12/2023
Didier Chappet, Les concierges font parler !, Blog Gallica, 24/11/2023
Sophie Robert, "L’Anti-concierge" de Jules Jouy et Sapeck, 1881-1883, Blog Gallica, 13/09/2023

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