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Les concierges font parler !

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24 novembre 2023

La littérature, les vaudevilles, les caricaturistes et les chansonniers se sont emparés de la figure du «tire-cordon » et s'en donnent à cœur joie. Laissons les parler…

« Le roman chez la portière », L’Assiette au beurre (28 janvier 1905)

Au service du propriétaire « Monsieur Vautour », terme crée en 1806 pour qualifier les propriétaires, le concierge est mal considéré.

« Vautours », Gustave Doré, 1854 ; Le Plutarque des pipelets, J. Brantôme, 1863

On lui donne des surnoms désagréables, on l’affuble des sobriquets de « Pipelet », « Bignole » ou « Cloporte ». C’est le cerbère, la bête noire, le tyran de l’immeuble et des locataires. Celui qui connaît tous les secrets, lit les cartes postales et les journaux des locataires, raconte tout ce qui se dit, papote à tort et à travers, cancane, diffame même… Que de mal n’en dit-on pas ? Mais on se garde bien de le dire tout haut car on le redoute. Il est le Janus des lieux, le maître des clés…

Le tableau paraît bien noir même s’il ne concerne qu’une minorité de concierges qui abusent de leurs pouvoirs. Mais c’est toute la profession qui va pâtir de cette image négative qui a alimenté la littérature, le vaudeville, la caricature et les chansonnettes au XIXe siècle.

La portière est essentiellement tracassière ; il semble que son importance et que son pouvoir s’accroissent de chaque petite tyrannie qu’elle fait subir aux hôtes de la maison

James Rousseau, Le roman chez la portière, 1841

Tout un roman à votre porte !

Les portraits de concierge abondent dans la littérature et les caricatures. Honoré de Balzac, Eugène Sue, Henry Monnier, ou Honoré Daumier se sont illustrés dans cet exercice.

Le portrait de Madame Cibot du Cousin Pons de Balzac (1847) a marqué son époque : Madame Cibot, ancienne écaillère du Cadran bleu qui planta son tablier pour suivre son « n’amour de Cibot » dans une loge.

Madame Cibot atteignait l’âge où ces sortes de femmes sont obligées de se faire la barbe. N’est-ce pas dire qu’elle avait quarante-huit ans ? Une portière à moustache est une des plus grandes garanties d’ordre et de sécurité pour un propriétaire. Si Delacroix avait pu voir madame Cibot posée fièrement sur son balai, certes il en eût fait une Bellone

Balzac, Le Cousin Pons,1847

Le couple Pipelet créé par Eugène Sue pour Les Mystères de Paris (1842-1843) s’imposa comme l’incarnation des concierges, à tel point que ce sobriquet deviendra, dans les années 1870, le terme populaire pour désigner le concierge.

Monsieur et Madame Pipelet, Les Mystères de paris, 1844

Dans Le roman chez la portière qui paraît dans les Scènes populaires (1830), Madame Desjardin n'est autre que le portrait de la propre concierge d'Henry Monnier. Son roman fut un succès, il en tira un vaudeville en un acte qui fut joué au Palais-Royal en 1860. James Rousseau, journaliste de la Gazette des tribunaux publie La Physiologie de la portière en 1841, illustrée par Honoré Daumier. Le portrait de la concierge n’y est guère plus flatteur :

Pour peu que vous ayez fait une observation à la portière, que vous ayez négligé de la saluer en passant, ou d’ajouter s’il vous plaît à la demande du cordon, vous pouvez être sûr qu’elle vous jouera des mauvais tours

James Rousseau, Physiologie de la portière, 1841

Les portes qui claquent… dans les vaudevilles

Au XIXe siècle, les vaudevilles mettent souvent en scène les portières ou concierges. Le public a l’embarras du choix parmi Paméla, ou la Fille du portier (1826), Le Fils du portier (1837), Père et portier (1847), Le Portier de sa maison (1852), ...

Les deux plus connus sont La loge du portier (1823) d’Eugène Scribe, comédie-vaudeville en un acte qui fut représentée pour la première fois au théâtre du Gymnase le 14 janvier 1823, et le vaudeville adapté du Roman chez la portière d’Henry Monnier.

Draner, Illustration pour Le roman chez la portière, [après 1861] ; Nadar, « Henry Monnier assis en train de lire Le roman chez la portière »

…On tire leurs portraits !

Ils sont aussi régulièrement tournés en ridicule dans les journaux satiriques.

Charles Genty, « Monsieur et Madame Pipelet », défet d'illustration du Sourire, [19..]

Daumier publia dans Le Charivari, vers 1850, des planches intitulées « Les portiers de Paris ». La planche numéro 28 de la série « Locataires et propriétaires » est présentée dans Les essentiels de la BnF. Le personnage de la concierge, véritable intermédiaire entre le locataire et son propriétaire, y est central, tout comme l’immeuble parisien, que Daumier explore, des caves inondées aux soupentes.

Le Charivari, numéros des 20 décembre 1847, 11 décembre 1858, et 10 décembre 1858

Mon escalier n'est pas fait pour votre chien...je ne vous permets de lui faire prendre l'air que par la fenêtre...

Messieurs les concierges, un numéro spécial du Journal pour rire (16 septembre 1854) dirigé par Charles Philipon tourne en dérision les concierges : aujourd’hui, les concierges sont habillés comme des propriétaires et exercent une profession de rentiers…

« Messieurs les concierges », numéro spécial du Journal pour rire, (16 septembre 1854)

L’Assiette au beurre publie aussi un numéro spécial concierge en janvier 1905, et d’autres caricatures comme le gérant, la pipelette ou les indiscrets se multiplient au fil des numéros…

Numéro spécial concierge, L’Assiette au beurre, janvier 1905

L'Assiette au beurre, N°4 (1901) et N°104 (28 mars 1903)

La gueule enfarinée ou bien le chapeau bas, Que vous soyez larbin, commis, grue ou bégueule ,
Madame Pipelet en se croisant les bras, Du haut de son escalier se paiera votre gueule 

Les articles de Jean Gallotti paru dans Vu : journal de la semaine (31 octobre 1934) et de Louis Vauxelles publié dans Le Monde illustré (13 octobre 1934) présentent une exposition sur les concierges à Paris en 1934, ayant rassemblé les plus grands caricaturistes du XIXe siècle : Daumier, Gavarni, Monnier et divers autres dessinateurs et graveurs...

Jean Galloti, « Monsieur Vautour, Monsieur Pipelet », Vu, 31 octobre 1934 ; Louis Vauxelles, « Propriétaires, locataires et concierges », Le Monde illustré, 13 octobre 1934

Et pour finir en chanson !

Les chansonniers poussent la chansonnette…

Camille Martin (composition), Louis Michaud (texte), Ah quel guignon ! , 1886

Auguste Grenet (composition), P. Avenel (texte), Le Concierge ou le Dieu de la maison, 1872

« Un gala chez la portière », Paris qui chante, 22 février 1903

Loin des caricatures évoquées ici, la réalité sociale est autre comme nous le verrons dans le dernier billet de cette série consacrée aux concierges.

Pour aller plus loin

Didier Chappet, Les mal-logés, Blog Gallica, 8/12/2023
Didier Chappet, Parlez au concierge !, Blog Gallica, 17/11/2023
Sophie Robert, "L’Anti-concierge" de Jules Jouy et Sapeck, 1881-1883, Blog Gallica, 13/09/2023

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