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De Vienne à Paris, Anton/Antoine Reicha et le violoncelle

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15 avril 2022

Gallica continue à accompagner les concerts de la Saison musicale européenne de la BnF. En prévision du concert du mercredi 20 avril, nous vous présentons des manuscrits d'œuvres de musique de chambre pour cordes composées à Vienne et à Paris par Antoine Reicha.

Antoine Reicha, lithographie de Ch. Constants, d'après Salomon Guillaume Counis (1825)

À la bibliothèque de l'Arsenal, ce mercredi 20 avril, les violoncellistes Christophe Coin et Petr Skalka et les instrumentistes du Quatuor Cambini vous proposent de découvrir trois œuvres de musique de chambre, chacune pour un effectif différent, écrites à Vienne et à Paris par Antoine Reicha, un compositeur de dimensions européennes connu tour à tour sous trois identités (Antonín Rejcha en Bohême, Anton Reicha en Allemagne et en Autriche, Antoine Reicha en France) et qui signait de façon linguistiquement inclusive "Ant: Reicha" ; un compositeur qui de plus relie deux autres concerts de la Saison musicale européenne, puisqu'il naît à Prague le 26 février 1770, le jour même de la mort de Giuseppe Tartini – centre du concert du 11 avril – et que son propre décès à Paris, le 26 mai 1836, met fin aux leçons d'écriture qu'il donnait depuis un an au jeune César Franck, célébré lors du concert du 18 mars.

 

Antoine Reicha, Notes sur Antoine Reicha, copie de sa fille Antoinette Reicha, 1838. Bibliothèque-Musée de l'Opéra, RES PIECE-3

Bien que Reicha ne semble pas avoir joué lui-même du violoncelle, il devait bien connaître et aimer l'instrument, qu'il mit en valeur dans des compositions pour différentes formations, parmi lesquelles un duo avec piano et un concerto semblent hélas perdus. Quoi d'étonnant à cet intérêt puisque, très tôt orphelin de père, il avait été élevé et initié à la musique par son oncle Josef Reicha (1752-1795), violoncelliste virtuose et compositeur de talent, et par sa tante d'origine française, qu'il avait rejoints, encore tout jeune adolescent, à Wallerstein puis avait suivis à Bonn. Là, le jeune Antoine côtoie son exact contemporain Ludwig van Beethoven dans l'orchestre de la cour, que dirigeait son oncle Josef, et compose, malgré l'opposition initiale de ce dernier, ses premières œuvres, parmi lesquelles cette symphonie, peut-être celle exécutée par l'orchestre de la cour en 1787.
 

Antoine Reicha, Musique pour célébrer la mémoire des grands hommes qui se sont illustrés au service de la nation française, début du 2e mouvement (manuscrit autographe). BnF, département de la Musique, MS-2495

Envoyé à Hambourg par son oncle en raison de l'invasion française (1794), il décide de s'y consacrer à la composition. Il manifeste sa francophilie dès 1798 en envoyant à l'Institut, à l'attention de Napoléon Bonaparte, un choix de ses compositions, dont la Musique pour célébrer la mémoire des grands hommes qui se sont illustrés au service de la nation française, grandiose symphonie dans l'esprit des musiques pour les fêtes révolutionnaires, avant de se rendre à Paris l'année suivante dans le vain espoir d'y faire représenter un opéra-comique. Il s'y fait du moins remarquer comme compositeur de musique instrumentale et noue des liens avec le Conservatoire, mais se rend à Vienne en 1802 pour se perfectionner auprès de Joseph Haydn, déjà rencontré à Bonn en 1792. Il y renoue également avec Beethoven, mais les deux hommes vont progressivement s'éloigner l'un de l'autre.
 

Antoine Reicha, Quintette pour violoncelle solo et quatuor à cordes no 1 en la majeur, début du 1er mouvement. BnF, département de la Musique, MS-12028 (1)

C'est pendant cette période viennoise de Reicha (1802-1808) que voient le jour la plupart de ses compositions avec violoncelle principal. Le quintette no 1 en la majeur – dont le manuscrit contient aussi le quintette no 2 en fa majeur et le début d'un quintette en ut majeur resté inachevé, tous deux pour la même formation – porte la date du 25 juillet 1805, ce qui en fait la plus ancienne des œuvres inscrites au programme du concert. Cette date, ainsi que le rondo final basé sur un "thème russe", invitent à le mettre en relation avec les Variations sur un thème russe en ut mineur du même compositeur et pour le même effectif, datées du 26 août suivant et d'abord intitulées Finale sur un thème russe – peut-être étaient-elles destinées au quintette resté inachevé ? Et peut-on hasarder un autre rapprochement, celui-ci avec les quatuors op. 59 de Beethoven, composés en 1806 et dédiés au prince Razumovsky, ambassadeur de Russie, quatuors dont deux comportent aussi un mouvement basé sur un "thème russe" ?
 

Antoine Reicha, Quintette pour violoncelle solo et quatuor à cordes no 1 en la majeur, conclusion du Finale. BnF, département de la Musique, MS-12028 (1)

Comme dans nombre d'autres manuscrits de Reicha, l'usage de plusieurs types de papiers de formats différents ou les ratures et corrections nous montrent le travail du compositeur remettant son œuvre sur le métier. Ainsi, une note à la fin de la version définitive du finale explique que Reicha en a remplacé les six dernières mesures d'origine par une conclusion beaucoup plus étendue (88 mesures) notée sur deux feuillets de plus petites dimensions, dont le type de papier correspond à celui utilisé notamment pour le quintette pour violoncelle et quatuor à cordes no 3 en mi majeur composé en mai 1807, ce qui situe ce remaniement dans la même année.
 

Antoine Reicha, Quintette pour violoncelle solo et quatuor à cordes no 1 en la majeur, page de titre du Menuet. BnF, département de la Musique, MS-12028 (3)

Curieusement, les partitions autographes de ces deux quintettes, ainsi que celle du quintette en mi majeur de 1807, comportent seulement trois mouvements et n'ont pas de Menuet. Celui-ci, composé après coup, a été ajouté dans un fascicule autographe distinct en parties séparées. Celles des autres mouvements ont en revanche été réalisées – comme celles des Variations sur un thème russe – par des copistes non identifiés après le retour du compositeur à Paris, à l'exception du violoncelle obligé du quintette en la majeur, copié sur un papier typiquement viennois avec de nombreux doigtés ajoutés au crayon.
L'année 1807 voit naître une nouvelle série de compositions faisant la part belle au violoncelle : le quintette en mi majeur déjà cité, la symphonie concertante en mi mineur pour 2 violoncelles et orchestre et le présent trio en mi bémol majeur pour 3 violoncelles, daté du 15 juin 1807 – un effectif déjà sporadiquement employé au XVIIIe siècle par des compositeurs comme Giacomo Cervetto ou Martin Berteau.
 

Antoine Reicha, Trio pour 3 violoncelles en mi bémol majeur, début de la partition autographe. BnF, département de la Musique, MS-12009 (1)

Au demeurant, Reicha composait volontiers pour instruments égaux : dans ses années hambourgeoises, il avait publié plusieurs œuvres pour 2 à 4 flûtes et écrit un quatuor pour 4 violons, et récidivera plus tard avec des trios pour 3 cors. Les parties séparées ont été copiées d'après la partition autographe par un copiste viennois anonyme. D'assez nombreux doigtés ont été ajoutés au crayon.
 

Antoine Reicha, Trio pour 3 violoncelles en mi bémol majeur, partie de 1er violoncelle. BnF, département de la Musique, MS-12009 (2)

L'Ouverture générale pour les séances des quatuors ou Vérification de l'accord des instruments à cordes a été composée à Paris en 1816. Le titre peut se référer aux exécutions privées de quatuors mêlant professionnels et amateurs aussi bien qu'aux auditions données par les premiers quatuors professionnels constitués, comme celui du violoniste Pierre Baillot, ami de Reicha.
 

Pierre Baillot, lithographie de Jean-Baptiste Singry. BnF, département de la Musique, EST Baillot P. 2

Au-delà de l'intention humoristique évidente – faire de la vérification de l'accord de l'instrument un sujet de fugue et prescrire aux exécutants d'allumer leur bougie pendant les silences (à l'inverse du finale de la Symphonie des adieux de Haydn où les instrumentistes s'en vont après avoir soufflé leur chandelle !) –, Louise Bernard de Raymond voit dans les trois sections de l'œuvre une réflexion sur les préalables nécessaires à toute séance de quatuor à cordes : accord des instruments et mise en doigts individuelle (Allegro non troppo), vérification de la justesse d'ensemble (Andante siciliano) et enfin écoute attentive des partenaires (Allegro, aux nombreuses imitations).
 

Antoine Reicha, Ouverture générale pour les séances des quatuors, partition autographe. BnF, département de la Musique, MS-12035

Ici, Reicha a copié lui-même les parties séparées. Les indications "Accordez votre instrument", "Allumez vos bougies pendant ces pauses" et "Prélude" du premier mouvement y sont de la même encre que la musique, alors que dans la partition elles semblent avoir été ajoutées après coup avec une encre différente. La partition et les parties sont encore contenues dans leur chemise d'origine, sur laquelle le compositeur a reporté le titre et signe exceptionnellement "Antoine Reicha" avec son prénom complet et non "Ant: Reicha" comme au départ de la partition et sur la plupart de ses manuscrits.

 

Nous vous invitons à prolonger votre découverte de la vie et de l'œuvre de ce compositeur original et méconnu qu'est Antoine Reicha en visitant l'exposition virtuelle Antoine Reicha redécouvert, fruit d'un partenariat entre la Bibliothèque de Moravie et la Bibliothèque nationale de France, puis par la lecture de son catalogue riche en informations inédites, disponible en ligne sur le site de l'exposition à partir du 25 avril.

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